Une organisation où chantage et menaces... |
Le Monde - 06.09.03
Une organisation où "chantage" et "menaces" sont le lot quotidien, accusent les petits pays
Pour M. Cuello, ambassadeur : "ce qui se passe à l'OMC n'est ni juste ni transparent".
Genève de notre correspondante
"Supposé être le chemin vers le jardin d'Eden, en réalité, ce n'est qu'un sentier dans la jungle, bourré de mines, d'embuscades de guérillas, de tigres et de piranhas." C'est ainsi que le ministre cambodgien du commerce, Cham Pradisha, avait décrit, le 22 juillet, le processus de l'adhésion à l'OMC des pays les moins avancés.
Un témoignage qui à l'évidence relate ce que beaucoup à l'OMC pensent tout bas. Beaucoup le chuchotent, tous demandent l'anonymat : "Trop d'intérêts sont en jeu, explique un délégué, ici à l'OMC, on ne parle pas "humanitaire", on parle argent, chaque dollars compte, et on se bat pour chaque dollar, acclamer ouvertement ce genre de propos risque de nous coûter justement des dollars." "Comparés à ceux de l'OMC, les membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU sont des enfants de chœur, dit un autre, ici les délégués sont impitoyables, coupe-gorge, c'est la loi de la jungle, chacun pour soi."
A la tête de la liste des coupables désignés se trouvent, comme partout, les Etats-Unis, "dont l'énorme déficit commercial démontre l'inefficacité en matière de commerce, mais ils restent le plus grand marché et nous avons tous quelque chose à leur vendre". Les mots le plus souvent entendus à propos des Américains à l'OMC sont "chantage" et "pressions". "C'est normal, répond sans état d'âme un interlocuteur américain, il n'y a pas de cœur dans le commerce, et nous aussi, nous avons nos propres piranhas sous forme de lobbies puissants qu'il faut nourrir chaque jour."
A l'OMC, dit-on, "il faut se battre avec tous les moyens". Les "riches" en "tordant les bras" et les "pauvres"en parlant à la presse. C'était le cas, jeudi dernier, lorsque quatre ambassadeurs auprès de l'Organisation ont participé à une conférence de presse pour soutenir la publication d'un brûlot sur l'Organisation (Derrière les portes à l'OMC, Zed Books). Ces délégués - ougandais, tanzanien, kenyan et dominicain - sont venus assurer que "tout ce qui est dans le livre est vrai". A tour de rôle, ils ont décrit : "Les pressions, les menaces et les chantages politiques économiques, voire physiques, qui sont le lot quasi quotidien de certains ambassadeurs de petits pays à l'OMC." Déjà "renvoyé" pour "avoir dit la vérité", l'ambassadeur de la République dominicaine n'a pas mâché ses mots : "Croyez moi, je sais de quoi je parle, a dit Federico Cuello, ce qui se passe à l'OMC n'est ni juste ni transparent."
Il n'a pas hésité à vider son sac contre les gouvernements des pays en développement : "Tout ce que disent les ONG sur les grandes puissances à l'OMC est vrai, mais il est aussi vrai que nous, les pays en développement, nous n'avons pas le leadership politique capable de faire face aux pressions des grands, on s'écrase, regardez mon pays, nous avons même envoyé des soldats en Irak !" Puis c'est à l'ambassadeur de la Tanzanie d'accuser l'OMC d'avoir été "détournée pour faire avancer les intérêts des puissants". Pour Charles Mutalemwa, "là où les riches établissent les règles du jeu, ce sont toujours les pauvres qui perdent". Et son collègue ougandais de dénoncer "des pressions parfois insoutenables de Washington sur nos gouvernements". "Dès qu'un ambassadeur arrive à faire avancer un dossier à l'OMC, son ministre reçoit tout de suite des appels de Washington ou de Bruxelles, et on n'avance plus", déclare Nathan Irumba. "Ils créent des divisions entre nous et nos capitales, et le plus souvent ce sont nos capitales qui cèdent."
Bouche bée, les journalistes n'ont guère posé de questions, sauf un, qui a dit : "Vous n'avez pas peur de dénoncer ainsi vos propres gouvernements ?" "Apparemment non", a répondu le délégué kényan. "Cela dit, si vous ne me voyez plus après Cancun, vous saurez pourquoi !", a-t-il ajouté.
Afsané Bassir Pour
IRE
Création de l'article : 10 décembre 2003
Dernière mise à jour : 10 décembre 2003
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