Le Third World Network, voix du Sud et censeur de l'OMC |
LE MONDE | 09.09.03 |
L'association basée en Malaisie décrypte et critique les jeux de l'Organisation depuis les années 1980.
Elle est moins spectaculaire que Greenpeace, moins héroïque que Médecins sans frontière, moins tonitruante qu'Attac, moins activiste que Via Campesina - mais le Third World Network ("Réseau tiers-monde") est sans doute, au sein du mouvement altermondialiste, une des associations les plus influentes. C'est que le Third World Network s'est engagé dans la critique de l'OMC avant tout le monde, et que son enracinement en Malaisie lui confère une légitimité particulière pour porter la voix du Sud.
"Je suis très impressionné par la qualité de leur travail", dit Raoul Marc Jennar, d'Oxfam-Belgique, tandis que Pat Mooney, d'ETC, au Canada, salue leur capacité "à travailler sur les problèmes à long terme et à s'y tenir, ce qui leur permet de connaître tout le monde et tous les détails".
Le Third World Network est bien sûr présent à Cancun, où son directeur, Martin Khor, affirme que "le principal problème sera de voir si la démocratie peut s'affirmer à l'OMC, ou si les grands pouvoirs vont continuer à dominer l'organisation et à dicter leur politique".
L'histoire remonte à 1969 quand, dans la Malaisie à peine sortie de la colonisation, Mohammed Idris, un homme d'affaires qui s'est engagé dans la lutte pour l'indépendance, crée l'Association des consommateurs de Penang, ville du nord du pays. Il admire Ralph Nader, et veut adapter la lutte pour une consommation saine à son pays. Ce qui signifie, dans un tiers-monde où les firmes s'affranchissent des règles qui s'imposent dans les pays développés, se battre pour l'environnement et pour les droits des gens.
L'association défend donc des communautés de pêcheurs contre les rejets dans la mer de déchets chimiques, critique les zones franches où les grandes firmes polluent sans complexe, proteste contre la vente de médicaments mal testés, etc.
En 1975, un jeune économiste, Martin Khor, rejoint l'association. Il est né en 1952, a étudié l'économie à Cambridge, en Angleterre, et enseigne à l'université. "Mais à l'université, on ne parlait pas de la vie réelle, dit-il, je pensais que le travail à la base était plus important." Il devient directeur en 1978 de l'association, qui grandit et s'attaque maintenant à la déforestation en Malaisie ou à la construction de grands barrages.
Ces luttes permettent de constater que les mêmes politiques sont à l'œuvre dans toute l'Asie du Sud, et qu'elles sont souvent inspirées et promues par la Banque mondiale."On s'est rendu compte que les problèmes locaux découlaient en fait de politiques globales, et qu'il fallait pouvoir lutter à ce niveau là", poursuit-il.
Le Third World Network est créé en 1984, afin d'agir au niveau mondial. La lutte est lancée contre la politique en forêt tropicale de la Banque mondiale, et s'élargit à la critique des grandes institutions financières. Une rencontre décisive se produit vers 1988 avec Chakravarthi Raghavan, un journaliste indien qui s'est installé à Genève en 1980. Il y édite un bulletin quotidien qui décrit les négociations commerciales menées au sein du GATT, et qui vont conduire à la création de l'OMC. Il est le premier journaliste à percevoir l'importance de ce qui se trame dans les palais genevois.
De la rencontre avec le Third World Network, dont il devient l'œil à Genève, découle une critique cohérente du processus en cours, exprimée en 1990 dans le livre Recolonization. Dès lors, le Réseau ne va plus cesser de dénoncer "la théologie de la globalisation", selon l'expression de Raghavan, la colonisation que favorise le libre-échange en assurant la liberté d'action des grandes firmes multinationales face à des Etats du Sud encore faibles, l'inégalité persistante entre le Sud et le Nord.
Le Third World Network approfondit son expertise sur l'OMC, ainsi que sur la question, essentielle à ses yeux, des plantes transgéniques, conseille les gouvernements asiatiques, multiplie les séminaires et les contacts avec les grandes ONG occidentales, crée des bureaux à Accra (Ghana) et à Montevideo (Uruguay). Dans toutes les grandes conférences, on croise Martin Khor, expliquant avec pédagogie les mécanismes de l'OMC.
"Si tous les pays pouvaient voir leurs préoccupations reflétées à l'OMC, si les citoyens avaient leur mot à dire, je serais plus confiant dans les règles qu'elle édicte, dit Martin Khor. Mais aujourd'hui, ce n'est pas le cas, et nous n'acceptons pas l'OMC sous cette forme."
Il est toujours difficile de mesurer l'influence d'une association : mais le fait que de plus en plus de gouvernements du Sud deviennent sceptiques sur le processus de la libéralisation des échanges a incontestablement à voir avec l'activité inlassable du Third World Network.
Hervé Kempf
IRE
Création de l'article : 11 décembre 2003
Dernière mise à jour : 11 décembre 2003
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