Cancun, avis de tempête sur l'OMC |
COMMUNIQUE - 28 AOUT 2003
Institut pour la Relocalisation de l'Economie
La prochaine réunion ministérielle de l'OMC à Cancun, du 10 au14 septembre, va-t-elle à nouveau consacrer l'iniquité d'une organisation qui ne respecte pas même ses propres règles de fonctionnement ? C'est l'opinion des pays du Sud, dont les ambassadeurs à Genève s'indignent presque quotidiennement des méthodes employées pour leur forcer la main et les évincer des réunions préparatoires.
Or les enjeux de cette 5e ministérielle de l'OMC sont d'autant plus graves que le "menu" de Cancun est chargé. Les Ministres de l'économie et des finances des 146 pays membres de l'Organisation doivent, en quatre jours, parvenir à une déclaration commune sur deux séries d'accords de commerce :
1 - La révision d'accords existants, dit de "l'agenda incorporé", soit principalement :
L'accord agricole, dont la teneur scellera le sort de milliards de paysans du Sud,
L'accord sur la libéralisation du commerce international des services, - à travers la révision de AGCS, visant cette fois la privatisation des services les plus vitaux (eau, éducation, santé)
L'accord sur la propriété intellectuelle (ADPIC), la promesse faite à Doha de tolérer l'accès aux médicaments sans droits de brevets pour les pandémies (Sida, malaria, tuberculose) qui déciment en particulier l'hémisphère Sud n'étant toujours pas pleinement concrétisée.
2 - Les nouveaux accords, ou "matières de Singapour", que les pays puissants n'avaient pas pu imposer aux pays du Sud ni à Singapour ni à Seattle :
L'accord sur l'investissement, retour déguisé de l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI) négocié en secret à l'OCDE, retiré en 1998 sous la pression de mouvements de la société civile.
L'accord sur les politiques de concurrence, l'accord sur la transparence des marchés publics, l'accord sur la facilitation commerciale, autant de cadres juridiques contraignants visant à restreindre encore davantage la marge de manœuvre des Etats face aux opérateurs transnationaux.
Le projet de déclaration ministérielle, mis en circulation à Genève la nuit du 24 Août (1 mois après la date promise !) a été rédigé en contournant les ambassadeurs des pays du Sud, pourtant majoritaires à l'OMC. Faute de pouvoir leur "extorquer" un consensus, dans un mauvais remake de Doha, ce texte transcrit les intérêts des économies dominantes, au mépris de l'opposition formelle de pays tels l'Inde, la Chine, le Brésil...
En ce qui concerne l'agriculture, la manœuvre est particulièrement flagrante. Le §4 reprend en annexe la proposition euro-américaine qui contraint les pays de Sud à s'ouvrir encore davantage aux exportations du Nord, dont les subventions sont maintenues grâce à un tour de passe-passe.
Selon Martin Khor, directeur du Third World Network, le principal danger du texte réside dans son extrême technicité. Alors que durant plus de trois ans, les négociateurs n'ont pas réussi à se mettre d'accord, les ministres quant à eux devront en moins de 2 jours trancher sur des disciplines absconses.
En ce qui concerne les services, malgré les démentis à répétition de Monsieur Lamy, le projet de déclaration ministérielle stipule (§6) "qu'aucun service ni mode de fourniture n'est a priori exclu". De surcroît, les pays membres sont sommés d'"intensifier les efforts pour conclure les négociations" sur la réglementation intérieure (art. 6-4 de l'AGCS), sur les marchés publics (art.13) et sur les subventions (art.15). Un tel engagement, s'il était suivi, conduirait à étendre dangereusement la portée de l'AGCS, accord attrape-tout permettant d'englober les nouvelles négociations (marchés publics, politiques de concurrence, investissement).
Les conditions de préparation du projet de la déclaration ministérielle - déclaration qui donne le mandat "politique" pour le contenu et les échéances des négociations à venir - augurent un climat de tempête à Cancun. Une chose est sûre et la démonstration est faite : l'OMC n'avance qu'en imposant, et non en négociant son programme. À Cancun, les pays puissants iront-ils jusqu'à exclure - comme ce fut le cas à Doha - la plupart des ministres pour imposer aux forceps une déclaration finale conforme à leurs intérêts ?
Ce serait sans compter sur les leçons tirées par les représentants du Sud, sur leur indignation désormais partagée face aux méthodes inacceptables utilisées à leur encontre. " Désormais, avant de nous jeter à l'eau, nous nous assurerons qu'elle n'est pas infestée de piranhas et de crocodiles" prévenait à Genève l'ambassadrice d'un pays africain.
IRE
Création de l'article : 11 décembre 2003
Dernière mise à jour : 11 décembre 2003
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