Intervention de Lori Wallach |
Directrice de Global Trade Watch, Public Citizen
9 décembre 2003, Conférence de presse, Assemblée Nationale
Après Seattle et Cancun, le 15 décembre :
troisième fiasco de l'OMC
C'est sans doute parce que nous sommes pris dans des crises simultanées sur toute la planète que la crise de l'OMC, moteur des moteurs de la globalisation, est à peine perçue. La réunion du Conseil Général du 15 décembre va sans doute être un flop magistral. Ce sera le troisième dans les cinq années qui viennent de s'écouler. Il serait plus exact de dire que ce sera la troisième exposition publique d'une crise qui a toujours été là, mais est restée confinée au sein de l'organisation. Seattle, Cancun, et maintenant le 15 décembre, sont autant de crises qui manifestent les impasses. La ministérielle de Doha au Qatar (nov. 2001), doit compter comme une demi-crise. En fait, s'il n'y avait pas eu le 11 septembre, si elle ne s'était pas déroulée dans un pays où l'on a pu exercer les pressions maximales pour faire céder les pays du Sud, elle se serait soldée par un échec.
Il faut se prémunir contre la propagande qui va maintenant sévir. Comme un ouragan qui se prépare, la propagande est extrêmement dangereuse. Après le 15 décembre, nous "apprendrons" sans doute des bonnes nouvelles du directeur de l'OMC, de Pascal Lamy, ou de Robert Zoellick. Ils déverseront des pelletées entières de mensonges pour mieux nous enfumer. Paroles d'une organisation qui a raté toutes ses dates butoir ces trois dernières années et qui est censée parvenir à un accord dans les trois prochains mois, on entendra que : "l'heure est enfin venue d'atteindre de vrais progrès", qu'"enfin la voie est libre, on peut aller de l'avant", ou encore que "maintenant qu'on s'est compris, le futur devient clair", etc. J'ai l'air de prendre cela à la légère, mais il est très important d'aller débusquer la réalité sous les couches de propagande.
Or la réalité c'est que l'OMC traverse une telle crise qu'en l'absence de changement radical, à la fois dans les contenus et dans les procédures, elle va entrer en phase terminale. Impossible d'envisager, comme le voudrait Pascal Lamy, une expansion de l'OMC, de ses prérogatives et de ses champs d'intervention. En fait, jusqu'à ses règles mêmes sont aujourd'hui remises en cause. Si nous sommes dans la situation actuelle, c'est que les USA et l'Europe se retrouvent dans un groupe de pays de plus en plus restreint qui essaient à tout prix de maintenir le statu quo. Ils s'obstinent, alors que la crise provient du bilan même des neuf ans de l'OMC, de son fonctionnement, de ses règles qui, loin d'apporter des bienfaits, entraînent partout des dégâts croissants.
Dans leur bagarre solitaire pour la défense du statu quo à l'OMC, l'UE et les USA ont recours à des tactiques de plus en plus douteuses. Cancun a été le théâtre de menaces européennes et américaines sur les pays ACP, y compris de chantage à la suspension de l'aide au développement… Malgré toutes ces tactiques et malgré le forcing, le fait est qu'à Cancun tout a explosé et la ministérielle a déraillé. Maintenant que 15 décembre approche, il devrait en théorie y avoir une modification dans l'opinion des pays sur la nature de l'OMC. Il suffit d'examiner l'Union Européenne et les USA pour constater à quel point le modèle de l'OMC est un échec. Où sont les nouveaux emplois que devaient créer les échanges commerciaux ? Où est la croissance économique promise ? En fait l'OMC sert aujourd'hui à créer des tensions entre les Etats-Unis et l'Europe. Les USA utilisent l'OMC pour attaquer votre protection alimentaire, vous imposer les OGM, la viande aux hormones et attaquer la protection de l'environnement. L'Union Européenne se venge en attaquant la politique de taxes américaines qu'elle pratique elle même par ailleurs, et cette bagarre va s'envenimer. Chacun attaque les défenses commerciales de l'autre y compris celles qui sont autorisées par l'OMC. En fait, il s'agit de bagarres sur des questions non commerciales. Alors que chaque pays devrait pouvoir décider de ses normes alimentaires, de sa protection de l'environnement, …
L'OMC, dans sa nature même, de par ses prétentions à imposer des règles uniformes sur toute la planète, porte en germe cette crise gigantesque. Je voudrais répondre à la propagande de Pascal Lamy au sujet des ONG qui se réjouissaient à Cancun de l'échec de la ministérielle et auraient manipulé les pays du Sud. Si nous avons célébré cette issue, c'est parce que les projets d'expansion de l'OMC ont été mis en échec par la majorité des pays du sud.
Il y a effectivement lieu de discuter de ce que pourraient être des règles mondiales différentes de celles qui sévissent actuellement. Des propositions ont déjà été formulées après Seattle pour la transformation de l'OMC. L'appel international "l'OMC la soumettre ou la supprimer" reste d'actualité. Il s'agit évidemment de propositions pour une vision très différente des règles commerciales multilatérales et pour l'élimination complète d'accords qui n'auraient jamais dû se retrouver dans l'OMC, comme l'accord sur la propriété intellectuelle par exemple, ou sur les normes alimentaires, ou sur les dépenses internes des pays… Une organisation mondiale du commerce devrait s'occuper de commerce, et le commerce devrait être organisé selon des principes bien différents.
Le commerce peut être un moyen pour des objectifs sociaux, mais ne doit jamais être une fin en soi. Les pays membres de l'OMC peuvent avoir et ont souvent des buts assez similaires. Ils veulent des emplois pour leurs populations, pouvoir garantir la sécurité alimentaire, etc. N'est-il pas logique de demander que les peuples qui doivent en subir les conséquences aient le droit de participer aux décisions, à l'élaboration des règles ? Il n'y a là rien de très compliqué. Imaginez que lundi prochain à Genève, on commence à discuter de ce genre de règles. Les pays pourraient se mettre d'accord sur le fait que 70 % de l'agriculture serve à couvrir les besoins de l'économie locale, et que le droit de recourir, pour que cela marche, aux subventions nécessaires soit reconnu. Par contre, ce que l'on veut exporter devrait être sous les règles d'une OMC. Si vous avez besoin de protéger un secteur, très bien, mais vous n'avez pas le droit d'exporter ce que vous avez subventionné. Donc, que ce soit aux USA ou en Europe, si on veut avoir recours aux subventions pour l'autosuffisance alimentaire ou pour la protection des paysans, parfait. Mais cela n'est pas valable pour les denrées d'exportation. En revanche, les pays comme le Brésil ou l'Afrique du Sud qui n'ont pas besoin de subventions pour exporter sur le marché mondial doivent pouvoir le faire. Pour tous les secteurs la même règle pourrait s'appliquer.
Voilà des propositions dont on pourrait discuter. Par contre, les tentatives de faire revenir les fantômes et les squelettes des chambres vertes sont vouées à l'échec. Les manœuvres qui ont déjà échoué ne marcheront pas davantage demain. Des USA, c'était amusant de voir que l'Europe obligeait Bush à abandonner certaines politiques, tandis que la morgue et le mépris conjoints des USA et l'Union Européenne risquent de nous ramener à l'autarcie qu'ils dénoncent. Le système actuel ne peut pas perdurer. Nous devons trouver les moyens de le transformer en profondeur. Faute de quoi les changements interviendront de manière brutale, d'une manière que personne ne pourra contrôler. Quand des centaines de millions de paysans sont en danger de mort, quand le chômage et la pauvreté se répandent partout sur la planète, on ne peut pas s'attendre que les gens l'acceptent et restent sagement gouvernables. Ou nous nous occupons de ces changements et de ces transformations, ou nous serons submergés par des explosions de frustration et de colère.
IRE
Création de l'article : 18 décembre 2003
Dernière mise à jour : 19 décembre 2003
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