Machiavel (Niccolo Machiavelli), auteur italien de la Renaissance (1469-1527), a été le premier à théoriser l'exercice du pouvoir politique. Le Prince, son ouvrage le plus célèbre, se présente comme un mode d'emploi hallucinant de cynisme à l'intention des princes, qui doivent être à la fois "renard et lion". C'est le point de départ de la "politique moderne", qui y trouve, de la manière la plus absolue, son autonomie par rapport aux canons de la morale et de l'éthique.
Le texte ci-dessous, de Sylvie Coma, a été publié dans les numéros 569 et 570 de Charlie Hebdo.
[...] Quand un gouvernement vient d'arriver au pouvoir, il lui faut "insister, voire en exagérant, sur la gravité des déséquilibres, souligner les responsabilités des prédécesseurs et le rôle des facteurs exogènes défavorables" (p. 24).
[...] Le nouveau gouvernement devra "se ménager le soutien d'une partie de l'opinion, au besoin en pénalisant davantage certains groupes" grâce à un "programme discriminatoire" très simple. "Par exemple, si l'on réduit les salaires des fonctionnaires, il faut les baisser dans tel secteur, les bloquer en valeur nominale dans un autre, et même les augmenter dans un secteur-clé politiquement" (p. 31). La règle est facile à comprendre. "Chaque mesure fait ainsi des gagnants et des perdants, de telle sorte que le gouvernement peut s'appuyer facilement sur une coalition des bénéficiaires pour défendre sa politique" (p. 5).
[...] "Les réactions politiques ont lieu au moment de l'application des mesures plutôt qu'à leur annonce. [...] Lorsque le gouvernement annonce un programme et en trace les grandes lignes, la plupart des personnes concernées ne sont pas capables d'avoir une idée claire des conséquences de ce programme pour elles, ou pensent qu'il touche surtout les autres" (p. 11).
[...] Tout gouvernant doit donc profiter de cette période de crétinisme généralisé pour lancer un programme de communication basé sur le principe suivant : "seule importe l'image que donne le gouvernement et non la portée réelles de ses intentions" (p. 28).
[...] "On peut supprimer des primes dans certaines administrations, en suivant une politique discriminatoire pour éviter un front commun de tous les fonctionnaires. Evidemment, il est déconseillé de supprimer les primes versées aux forces de l'ordre dans une conjoncture politique difficile où l'on peut en avoir besoin" (p. 30).
[...] "Toute politique qui affaiblirait les corporatismes serait souhaitable [...] Le gouvernement y gagnerait une liberté d'action qui peut lui être précieuse [...]" (p. 23).
[...] "La première précaution à prendre est d'éviter une politique laxiste en période de prospérité, car celle-ci créée des droits qu'il est difficile ensuite de remettre en question" (p. 29).
[...] "En cas d'épreuve, le poids politique d'un chef d'Etat représente un capital déterminant [...]. C'est le cas quand le même parti contrôle la présidence, le Parlement et le principal syndicat" (p. 18).
Quoi ? Que viennent faire les mots "présidence", "Parlement" et "syndicat" dans un écrit de la Renaissance ?
Ben oui. On en aura peut-être eu quelques-uns d'entre vous. Les passages ci-dessus ne sont pas extraits du Prince de Machiavel, mais, comme le note Sylvie Coma, d'"un cahier publié par le Centre de développement de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), bourré de conseils et d'astuces [... machiavéliques] afin d'aider les gouvernements à faire passer la pilule de la mondialisation sans provoquer de troubles sociaux. Ils résument, en quelques points, la théorie de la "bonne gouvernance" selon l'OCDE."
Pas mal, hein ?
On croit rêver.
Ben non. Après le FMI, la Banque Mondiale, l'OMC, on pourrait peut-être mettre l'OCDE dans notre collimateur, non ?
Dans Charlie, Sylvie Coma se livre à un passionnant parallèle entre les conseils de l'OCDE et la politique sociale actuelle du gouvernement Raffarin. Dont un exemple succulent, dans le contexte actuel de crise sociale dans l'Education Nationale. "Au chapitre intitulé : "comment éviter les risques politiques ?" du cahier 13, il est écrit : "Si l'on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d'élèves ou d'étudiants. Les familles réagiront violemment à un refus d'inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l'enseignement, et l'école peut progressivement et ponctuellement [...] supprimer telle activité. Cela se fait au coup par coup, dans une école mais non dans l'établissement voisin, de telle sorte qu'on évite un mécontentement général de la population."
On vous conseille vivement la lecture des deux articles de Charlie. Quant à nous, plutôt que de le retranscrire in extenso, nous avons préféré en modifier son approche, histoire de montrer une nouvelle fois que... l'Histoire est un éternel recommencement. Et dire que le libéralisme est basé, entre autres, sur la notion de progrès... Que celui d'entre vous qui le rencontre nous contacte !
Machiavel est parmi nous ? Il est enfoncé, ouais...
Gilles Gesson
Création de l'article : 5 juin 2003
Dernière mise à jour : 28 mai 2003
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> Machiavel est une de nos meilleures armes
1er août 2003, par
merci monsieur bardichini pour tenter de réhabiliter notre ami malaimé Machiavel.
j'espere que tous qui passez par ici saurez lire ou relire ses écrits, et saisir mieux l'horreur et la mécanique subtiles des rouages collés à nos dos.
Dans son si-unique dictionnaire, Ambrose Bierce proposait une definition : Society : "that which provides the fork for the anarchist" Société : "ce qui fournit la fourchette à l'anarchiste"
ça, en revanche, c'est du cynisme...
car il veut bien oublier qu'elle produit aussi sa propre fourchette, celle sur laquelle elle est assise ;)
ciao !
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> Machiavel est parmi nous
15 juillet 2003, par
Gilles, Tu n'as peut-être pas compris le sens des écrits de Macchiavelli. Et c'est bien dommage, en faisant mine de donner des conseils aux potentats, souvent corrompus, il donnait souvent aux êtres lucides et justes de son époque et au-delà, les armes de la critique. D'ailleurs, n'utilises-tu pas ce que tu as compris de ses écrits, pour mettre en lumière, la violence et la veulerie des crapules qui mettent tout à sac ? Sa "trace" te regarde avec bienveillance. Et je te souhaite sincèrement de relire et de comprendre le sens de ses mots. Amicalement (ce qui nous rapproche est sans infiniment plus grand que cette petite divergence)
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