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Entreprises coopératives, citoyennes, autogérées |
Cet article expose le projet d'un secteur constitué d'entreprises coopératives, citoyennes, autogérées autant que possible, et qui ne soient pas parasitées par le profit capitaliste ; mais qui en même temps soient efficaces au point de pouvoir concurrencer les entreprises capitalistes sur le marché. Ce secteur pourrait attirer des travailleurs, servir d'exemple pour contester les règles du jeu capitalistes, et de banc d'essai pour une alternative au capitalisme, capable de le supplanter quand les conditions politiques seraient réunies. Cet article est long. Pour le consulter avec plus de confort, voir sur mon site : http://joel.martine.free.fr, rubrique Alternatives Economiques.
POUR UN SECTEUR DE LA PROPRIETE SOCIALE, VIABLE DANS L'ENVIRONNEMENT ECONOMIQUE ACTUEL.
deuxième version, juin 2001 Joël Martine tél. 04 91 92 61 77 (répondeur) e-mail : joel.martine@free.fr
Pourquoi ne pas essayer ?
Cet article expose le projet d'un secteur constitué d'entreprises coopératives, citoyennes, autogérées autant que possible, et qui ne soient pas parasitées par le profit capitaliste ; mais qui en même temps soient efficaces au point de pouvoir concurrencer les entreprises capitalistes sur le marché. Ce secteur pourrait attirer des travailleurs, servir d'exemple pour contester les règles du jeu capitalistes, et de banc d'essai pour une alternative au capitalisme, capable de le supplanter quand les conditions politiques seraient réunies.
Je reprends, en le simplifiant et en le modifiant, un modèle présenté par Tony Andréani .C'est un des projets possibles. Il y en a d'autres. Cet article est une manière de présenter le débat.
Ce projet s'appuie sur l'efficacité de la gestion coopérative, tout en utilisant certains facteurs d'efficacité développés par le capitalisme : souplesse du marché, mobilité du capital, etc. Le secteur aurait un système de financement autonome, indépendant des bailleurs de fonds capitalistes (actionnaires, banques, spéculation financière). Comme on le verra, il y a dans ce projet des dispositifs originaux, parfois paradoxaux, visant à lever les obstacles au développement des entreprises coopératives, ainsi qu'à prévenir les dérives capitalistes d'une économie coopérative : empêcher la mainmise des détenteurs de capital sur les entreprises, empêcher la concentration de pouvoir entre les mains des entreprises les plus prospères.
Je soumets ce projet à la discussion. S'il s'avère qu'il n'est pas viable, qu'on me le dise. Pour concrétiser le projet et voir s'il est réalisable, il faudrait encore rassembler des informations et des avis sur la situation et les problèmes que rencontrent aujourd'hui les scop, les banques coopératives, et l'économie alternative et solidaire.
Remarques préliminaires
En théorie, les différentes composantes de ce secteur doivent exister ensemble. Nous le présenterons comme un tout complètement articulé. Cela dit, on peut commencer à construire ce secteur " en pièces détachées ". Nous laisserons ouverte la discussion sur la façon de se procurer les pièces détachées, dont bon nombre existent déjà à petite ou à grande échelle, comme nous le signalerons au passage.
Il s'agit d'un secteur marchand, qui ne constitue pas à lui seul une alternative macro-économique au capitalisme. Il peut, dans une politique anticapitaliste, se combiner avec un secteur d'économie administrée, ce qui peut se faire par des réformes radicales du secteur public. Nous en parlerons dans un paragraphe ultérieur.
A première vue ce projet ne répond pas à la question d'une réorientation écologique de la société. Il faut pour cela envisager une économie qui non seulement satisfasse les besoins sociaux, mais surtout réoriente et réinvente ces besoins dans le sens d'une préservation, voire d'un enrichissement, de l'environnement naturel. C'est là une véritable révolution dans les finalités de l'économie. Je crois pouvoir affirmer que le fonctionnement d'une économie coopérative, s'il ne produit certes pas automatiquement une telle révolution, la rendrait néanmoins tout à fait possible. _ En effet, les entreprises ne seraient pas soumises à une exigence de profit capitaliste, et seraient très sensibles à la discussion démocratique. Ce d'autant plus qu'une partie des entreprises de ce secteur feront également partie de ce qu'on appelle le " tiers secteur d'utilité sociale et environnementale ", comme nous le préciserons plus loin.
De même, le projet que je présente semblera peut-être très insuffisant à ceux qui restent attachés à la perspective du communisme au sens où l'entendait Marx (et les anarchistes). Je crois que ce reproche n'est pas justifié, et je m'en expliquerai vers la fin de ce texte.
Quelques modèles de référence, réels et imaginaires.
L'économie alternative et solidaire. D'ores et déjà il existe un secteur alternatif au capitalisme au niveau de ses choix éthiques et de ses modes de gestion : c'est l'économie alternative et solidaire, qui utilise les techniques capitalistes (le fonds commun de placement à risque, par exemple) pour des finalités qui sont l'entretien du tissu économique local, la création d'emplois, la dignité des travailleurs, la préservation de l'environnement. Grâce au savoir-faire alternatif, les entreprises de ce secteur ont fait la preuve de leur viabilité. Le projet que nous présentons ici se fonde sur les valeurs et les méthodes de gestion " alternatives et solidaires ", mais il comporte en outre des règles du jeu originales, au niveau de la propriété des entreprises et au niveau de l'investissement du capital. Il existe d'autres projets d'ensemble qui font référence à l'économie alternative et solidaire. A mon avis ces différents projets peuvent et doivent se combiner dans une démarche de transformation radicale de la société. Notamment on peut envisager d'imposer tout ou partie des critères de l'économie solidaire à l'ensemble des entreprises , ce qui demanderait une forte bataille sociale.
Un autre projet consiste à formaliser un secteur spécifique, ayant ses marchés, et ses règlements propres (finalités de l'entreprise, aides de l'Etat) : c'est le " tiers secteur d'utilité sociale et environnementale ", présenté notamment dans le rapport d'Alain Lipietz intitulé Pour le tiers secteur . Ce secteur est composé d'entreprises et d'associations qui produisent des services que ni la libre entreprise sur le marché, ni la fonction publique, ne sont capables d'assurer. D'où son nom de " tiers " secteur. Je précise d'emblée que le " secteur de la propriété sociale " que je vais présenter ici n'est pas un tel tiers secteur, mais qu'en même temps il n'enlève rien à la nécessité d'un tel tiers secteur : il est souhaitable qu'un certain nombre d'entreprises du secteur de la propriété sociale fassent aussi partie du tiers secteur et satisfassent à ses critères. Nous verrons plus loin comment ces deux secteurs peuvent se recouvrir en partie, s'alimenter l'un l'autre, et prendre place dans une stratégie de dépassement du capitalisme.
Les " nouveaux modèles de socialisme " en discussion dans le marxisme anglo-saxon . Ce sont des modèles macro-économiques abstraits, qui essaient d'imaginer des systèmes socialistes avec marché, en partant du bilan des facteurs d'enrayement mis en évidence par l'échec des expériences de socialisme étatique, et des tentatives de socialisme de marché (en ex-Yougoslavie par exemple), mais aussi en essayant d'utiliser les mécanismes de marché et les techniques financières qui ont fait la preuve de leur efficacité dans le capitalisme, tout en imaginant des " règles du jeu " pour contrecarrer la tendance à la reproduction des rapports de domination capitaliste. Les différents modèles articulent de diverses façons l'économie administrée (démocratiquement), le(s) marché(s), l'autogestion.
Les expériences d'entreprises autogérées. Le bilan qu'on peut en tirer, c'est que la gestion par les travailleurs eux-mêmes est viable. Cela dit, tout ne peut pas être autogéré en permanence : il faut des règles de délégation de pouvoir, il faut former des équipes gestionnaires, notamment pour une grande entreprise. Certes la gestion directe est décisive pour que les travailleurs s'approprient l'organisation de leur travail concrètement et au quotidien. Sans démocratie concrète dans le travail, la citoyenneté est mutilée (nous y reviendrons tout à la fin de cet article). Mais l'idée de l'autogestion ne doit pas être galvaudée et il vaut mieux parler de gestion par les travailleurs (labour management) et de citoyenneté dans la gestion.
Les entreprises propriété de leurs travailleurs sont dans l'ensemble efficaces techniquement, car les travailleurs sont motivés et ont une attitude participative. Leurs choix sont plus justes socialement que ceux des entreprises capitalistes : souci de l'amélioration de la qualification, répugnance aux bas salaires et aux travaux non qualifiés. _ _ _ Toutefois, ces entreprises sont freinées par un certain manque de souplesse dans l'investissement, qui s'explique par la réticence des travailleurs à licencier leurs collègues et à prendre des risques. Certains mécanismes imaginés dans les " nouveaux modèles de socialisme " visent à lever ces blocages.
Un autre facteur qui entrave le développement des scop (Sociétés Coopératives Ouvrières de Production), c'est la difficulté qu'elles ont à obtenir des capitaux à la hauteur des projets dont elles sont techniquement capables. Ce d'une part parce que leurs capitaux propres sont limités, d'autre part parce que les banques demandent des garanties que ne peuvent donner que les entreprises ayant déjà des fonds propres suffisamment solides : c'est un cercle vicieux. Et au cas où l'entreprise ait un projet qui laisse espérer de forts bénéfices, la tentation est forte pour ses travailleurs de se laisser racheter par une entreprise capitaliste bien dotée en capital, qui pourra lancer le projet et qui les paiera mieux. _ Ainsi le secteur des scop, malgré ses bonnes performances, est entravé dans son développement, voire condamné plus ou moins à végéter, et ses entreprises les plus dynamiques ont toujours la tentation de le quitter. Si l'on mettait en place un fonds public de financement des coopératives, le problème serait supprimé : une entreprise n'aurait pas besoin d'avoir sa propre réserve de capital pour pouvoir élargir ses investissements. C'est l'un des aspects du projet présenté dans ce texte.
Les réseaux de coopératives, comme il en existe par exemple à Mondragon au Pays Basque espagnol , et qui permettent aux coopératives de tenir tête à la concurrence capitaliste.
Description du projet : liste des pièces et présentation de la mécanique
1. Chaque entreprise est propriété de l'association de ses travailleurs, et est autogérée. Ce mode d'entreprise constitue la propriété sociale sous sa forme la plus directe. Ces entreprises empruntent des capitaux, mais un détenteur de capital ne peut ni acheter de parts dans l'entreprise, ni siéger à sa direction : il n'y a pas d'actionnaires. La formule qui résume l'esprit de ce secteur, c'est que ce n'est plus le capital qui loue le travail, mais à l'inverse les travailleurs associés en entreprises qui louent du capital.
2. Les travailleurs d'une entreprise en sont à la fois salariés et propriétaires. Ils ont deux sources de revenu : leur salaire, et leur part des bénéfices faits par l'entreprise après remboursement des capitaux empruntés. Le salaire est réglementé, les bénéfices sont variables.
3. Au plan financier, la finalité de ces entreprises n'est pas de rémunérer des actionnaires capitalistes, mais d'augmenter les bénéfices à partager entre les salariés-propriétaires. C'est cela qui remplace le profit capitaliste dans son rôle d'aiguillon financier à la performance des entreprises. (Et il y a aussi les motivations sociales et environnementales, comme dans l'économie alternative et solidaire. Nous y reviendrons).
4. Les entreprises achètent et vendent sur le marché, en concurrence entre elles et avec les entreprises capitalistes. Elles doivent faire la preuve de leur viabilité dans la concurrence, ce qui les incite au dynamisme et à l'élimination des faux frais. C'est donc un secteur de libre entreprise, qui n'a rien à voir avec une économie administrée, facteur de bureaucratie et de protectionnisme corporatiste .
5. La concurrence n'exclut pas la coopération. Les entreprises sont obligatoirement affiliées à un réseau d'échange d'informations sur leurs modes de gestion et leurs projets de recherche-et-développement . Ce réseau anticipe les évolutions technologiques et les restructurations, de façon à éviter la concurrence sauvage, et à organiser le reclassement des travailleurs dont l'emploi serait menacé. Ce réseau peut s'inspirer des Chambres de Commerce et d'Industrie, ou des network inter-entreprises qui existent au Japon dans les nouvelles technologies. Mais c'est un service public, mis en place par l'Etat (ou la région, ou les institutions européennes) avec des garanties d'indépendance pour éviter qu'il ne soit manipulé par les entreprises les plus influentes. Il sera certes difficile d'empêcher les entreprises capitalistes de pirater ce réseau. Mais d'un autre côté les salariés des entreprises capitalistes pourront aussi prendre appui sur ces informations pour exiger, dans leur secteur, d'être mieux traités et d'avoir leur mot à dire sur la gestion .
6.Pour éviter que le corporatisme ne bloque les évolutions technologiques, comme ce fut le cas dans le système soviétique, il importe que ce secteur ne garantisse pas les travailleurs contre la suppression éventuelle de leur emploi. Cela dit, comme les managers des entreprises et leurs représentants dans le réseau d'information seront élus et contrôlés par les travailleurs, on peut supposer qu'ils prendront des décisions favorables à l'emploi. Si par exemple les travailleurs d'une entreprise ont le choix entre maintenir leurs bénéfices en supprimant des emplois, ou diminuer leurs bénéfices en diminuant le temps de travail pour maintenir tous les emplois, il n'est pas probable qu'ils opteront pour la première solution, comme auraient tendance à faire des actionnaires capitalistes en pareil cas. Plus généralement, si un tel secteur a une ampleur suffisante, il est vraisemblable qu'il pourra tenir l'objectif de ne mettre personne au chômage.
7. On peut imaginer un code des salaires, valable dans l'ensemble du secteur, qui fixe un minimum excluant les bas salaires pratiqués dans le secteur capitaliste, qui interdise également les salaires faramineux offerts aux dirigeants des entreprises capitalistes, et qui assure une prise en compte de l'ancienneté pour que les reclassements internes au secteur ne soient pas pénalisants. Le réseau inter-entreprises, pourrait mettre en place un fonds d'assurance salaires (il en existe au Japon). Cela dit, cet esprit d'équité ne doit pas empêcher qu'il y ait certains hauts salaires, de façon à attirer et retenir dans le secteur les professionnels ayant une qualification élevée ou rare.
8. Les entreprises ont accès, comme les entreprises capitalistes, à des crédits bancaires pour financer leurs projets. Les entreprises sont tenues d'être rentables, c'est-à-dire de rembourser les capitaux empruntés et leurs intérêts (sous peine d'être mises en faillite à terme). La rentabilité comptable est donc le critère d'une bonne gestion, et l'investissement est aussi mobile que dans le secteur capitaliste, le capital s'orientant vers les projets jugés rentables. On utilise dans ce secteur le capital comme un outil de gestion à la fois souple et rigoureux. Mais ce secteur est fondamentalement différent du secteur capitaliste, comme on va le voir maintenant.
9. Pour le système de financement, plusieurs variantes sont envisageables, avec deux composantes : d'une part un fonds public de financement, d'autre part des banques elles-mêmes entreprises coopératives. Le fonds public, garanti par l'Etat, est nécessaire pour que le secteur dispose d'une assise financière large et sûre, surtout à son démarrage. L'une des possibilités est que le fonds public prête directement aux entreprises de production. On verra plus loin pour quelles raisons il est préférable qu'il y ait aussi des banques, qui fassent l'intermédiaire entre le fonds public de financement et les entreprises. Mais pour simplifier l'exposé, nous ne parlerons pas des banques dans un premier temps : nous discuterons de leur rôle une fois que le lecteur aura vu les grandes lignes du projet.
10. Le secteur est déconnecté des marchés financiers. Les entreprises ne proposent pas d'actions en bourse. Le capital leur est prêté par le fonds public de financement. Donc les entreprises peuvent compter sur un financement qui dépend uniquement de leurs perspectives de rentabilité, et pas du tout des mouvements imprévisibles de la spéculation financière.
11. Le fonds public, lui non plus, et pour les mêmes raisons, ne doit pas faire appel à un financement spéculatif. La meilleure solution est qu'il soit approvisionné, au départ, par l'épargne , à laquelle il garantit un taux fixe : il délivre des bons qui ne peuvent pas être négociés sur le marché. (Garantir un taux fixe de rémunération des placements est possible : c'est ce que font d'ores et déjà les caisses d'épargne. Toutefois, pour être attractive, cette rémunération ne doit pas trop s'écarter de celle qu'on peut espérer d'un placement spéculatif. Mais elle reste déconnectée des mouvements spéculatifs à court terme). D'autre part ce fonds se développe grâce aux intérêts des prêts qu'il fait aux entreprises. A terme, si le secteur socialisé marche bien, cela peut constituer la principale source d'accumulation de capital dans les caisses de ce fonds. Mais il est souhaitable qu'il fasse toujours appel à l'épargne, pour avoir des ressources suffisamment importantes, et relativement indépendantes des hauts et des bas de la rentabilité du secteur socialisé .
12. Il est également important politiquement que ce fonds gère une part de l'épargne populaire, pour que les épargnants aient conscience de participer au financement de l'expérience socialiste (à plus forte raison si les succès de ce secteur permettent d'augmenter la rémunération de leur épargne…). Le fonds public est donc l'une des formes indirectes de la propriété sociale (l'entreprise coopérative en étant la forme directe). Cela suppose que sa gestion soit supervisée de façon démocratique et transparente, par un conseil de contrôle (composé comme peuvent l'être les Conseils Economiques et Sociaux) représentatif des forces sociales impliquées dans le secteur, et par les assemblées parlementaires.
13. Les entreprises sont donc libérées de la charge du profit capitaliste. Dans le capitalisme, la rentabilité pour les actionnaires est la condition sine qua non du maintien d'une activité. Dans le secteur de la propriété sociale ce n'est pas le cas : pourvu qu'une entreprise rapporte assez d'argent pour payer ses salaires et rembourser ses prêts avec les intérêts (et payer ses impôts), elle est viable. L'entreprise doit obligatoirement réaliser cet équilibre financier, pour inspirer confiance aux experts du fonds public de financement. C'est ce qui discipline la gestion. En plus, l'entreprise va essayer de faire des bénéfices : c'est incitatif pour ses travailleurs, mais ce n'est pas obligatoire. Premier avantage : cela permet le maintien d'entreprises qui, bien que non rentables d'un point de vue capitaliste, répondent à un besoin social ou environnemental, et en donnent la preuve par leur équilibre financier, expression d'une demande solvable par les consommateurs. Ou par les aides des pouvoirs publics : c'est ici précisément qu'un " tiers secteur d'utilité sociale et environnementale " peut être présent à l'intérieur du secteur socialisé ; une partie des entreprises socialisées peuvent décider de ne pas faire de bénéfices et de s'intégrer dans le tiers secteur. D'où une interpénétration et une synergie entre secteur socialisé et tiers secteur, sur laquelle nous reviendrons. Autre intérêt de l'absence de profit capitaliste : ce sont les travailleurs de l'entreprise qui décident si les gains de productivité seront utilisés pour augmenter leurs bénéfices ou pour diminuer leur temps de travail. D'où un frein au " productivisme " (" productionnisme " serait un mot plus exact) généré par la compétition marchande. Certes, une banque peut contraindre une entreprise à faire des choix productionnistes, comme on le voit aujourd'hui clairement dans l'agriculture. Contre cela, il importe, comme on le verra, qu'il y ait une concurrence entre les banques, ou/et une offre de financements alternatifs, par des banques d'orientation alternative ou directement par le fonds public de financement.
14.Ce qui remplace le profit des actionnaires dans son rôle d'aiguillon financier à la performance des entreprises, c'est l'intérêt qu'ont les travailleurs à augmenter leurs bénéfices hors salaire, ou à diminuer leur temps de travail. (Il en va de même pour les employés des banques, s'il y a des banques). Cette disposition conduit à des inégalités, certes, mais sa fonction est d'éviter l'un des facteurs de stagnation qui existe dans le fonction publique, et qui s'est amplifié dans le système soviétique : qu'on travaille bien ou mal, on est payé pareil. D'autre part, une équité de base est assurée par les garanties salariales en vigueur dans le secteur : les salariés d'une entreprise peuvent devenir riches, mais ne peuvent pas devenir pauvres. Enfin, la richesse ne donne pas de pouvoir sur le travail d'autrui : personne ne peut acheter de part dans une entreprise ; l'entreprise reste propriété de ses travailleurs selon le principe " une personne, une voix ".
15. Les agences du fonds public de financement (ou mieux : les banques) font une expertise de la gestion des entreprises auxquelles elles accordent des prêts. En effet, ces prêts doivent en fin de compte rapporter des intérêts. Ainsi, comme dans le capitalisme, le bailleur de fonds remplit une fonction de contrôle extérieur sur l'entreprise. Pour le faire dans un esprit alternatif et solidaire, il existe les méthodes du " micro-crédit " (plusieurs porteurs de projet sont co-responsables et il y a un suivi social) et mieux encore du " fonds commun de placement à risque ".
16. Le fonds commun de placement à risque est une forme souple de socialisation des bénéfices et des pertes par le marché des prêts, sans intervention directe de l'Etat, à généraliser pour le financement des activités fragiles ou en rapide mutation technologique. On prête en parallèle à par exemple une vingtaine d'entreprises, en prévoyant que les bénéfices que dégageront les trois ou quatre qui marcheront très bien serviront à éponger les pertes de celles qui seront en difficulté ou en faillite. Le fonds de financement s'engage à couvrir une part importante des pertes de l'entreprise en cas d'échec, et réciproquement l'entreprise emprunteuse s'engage à laisser une part importante de ses bénéfices au fonds de financement en cas de réussite. Le droit à l'erreur n'est plus le privilège des riches, ou des laboratoires de la recherche publique. Cela suppose, comme on le verra au paragraphe suivant, que les entreprises bénéficiaires ne capitalisent pas elles-mêmes les bénéfices qui leur resteront après en avoir distribué une part à leurs travailleurs, mais que ces bénéfices soient récupérés par le fonds public pour alimenter les autres entreprises du secteur. L'intérêt qu'a une entreprise performante à s'intégrer dans un système de capital-risque, c'est de gagner la confiance de son banquier, qui lui ouvrira l'accès à des crédits intéressants pour la suite de ses activités. C'est aussi le prestige moral et politique d'une position de leader qui lui sera reconnue par le réseau d'information inter-entreprises.
17. Une innovation paradoxale : pas d'autofinancement, une entreprise ne peut pas accumuler de capital. Les entreprises du secteur fonctionnent entièrement sur des crédits et n'ont pas de fonds propres. (On peut faire une petite exception à ce principe : pour une entreprise qui souhaite entrer à l'essai dans le secteur, et préfère garder les fonds propres qu'elle avait précédemment accumulés, afin d'en disposer au cas où elle ne resterait pas dans le secteur). La plus-value produite par une entreprise ne reste pas dans ses caisses : une partie est absorbée sous forme d'intérêts par le fonds public de financement (et éventuellement par la banque qui fait l'intermédiaire), l'autre partie est distribuée en tant que bénéfices aux salariés-propriétaires. Cette disposition est paradoxale, elle heurte les habitudes de pensée que nous a imprimées l'économie capitaliste. En effet la libre entreprise socialisée vend des produits pour faire fructifier un capital, mais elle ne s'approprie pas le capital ainsi accumulé. Cette innovation, que l'on doit aux théoriciens des " nouveaux modèles de socialisme " cités plus haut, est importante pour la viabilité du secteur (et pour le maintien de son caractère alternatif, comme nous le verrons au point suivant). Dans ce secteur, pas besoin de posséder des capitaux pour lancer une entreprise. C'est la libre entreprise pour tous, pas seulement pour les riches. Il suffit d'avoir un projet suffisamment convaincant aux yeux des experts du fonds de financement pour obtenir les prêts permettant de lancer l'activité. Le fonds de financement ne demande pas de garantie financière à l'entreprise, il ne lui demande qu'une garantie de viabilité fondée sur la qualification de ses travailleurs et une estimation des gains que l'on peut espérer sur le marché. C'est le fonds lui-même qui s'assure contre les pertes éventuelles, par la largeur de l'assise financière qui est la sienne en tant que collecteur de l'épargne.
18. En outre, l'absence de fonds propres évite que les entreprises socialisées les plus bénéficiaires en viennent, de par leur seule puissance financière, à dicter leurs prix et leurs projets aux entreprises moins rentables, ce qui restaurerait une subordination de type capitaliste entre entreprises socialisées riches et pauvres, comme cela s'est passé en ex-Yougoslavie. L'absence de fonds propres est un mécanisme pour empêcher une dérive capitaliste du secteur, c'est un élément d'une future régulation macro-économique socialiste. (Certes il restera toutes sortes d'inégalités entre entreprises, la plupart néfastes, contre lesquelles une politique économique démocratique devra lutter, mais au moins ne seront-elles pas amplifiées automatiquement par la possession du capital).
19. Venons-en enfin, comme je l'ai annoncé plus haut, au rôle possible des banques dans ce secteur. Le prêt de capitaux aux entreprises et l'expertise de leur gestion pourrait être fait par des banques, elles-mêmes entreprises coopératives et en concurrence entre elles. Elles emprunteraient du capital au fonds public de financement et feraient le montage financier des prêts aux entreprises, sur la base d'une expertise à la fois technique et financière qui serait leur principale compétence. Elles incarneraient la propriété sociale directe de cette richesse immatérielle que sont les services de gestion financière. Comme les entreprises de production, et pour les mêmes raisons, ces banques n'auraient pas de capitaux propres ; de même elles auraient comme but financier l'accroissement des bénéfices de leurs salariés-propriétaires. L'intérêt de ce système, c'est que la concurrence jouerait comme facteur d'efficacité : les experts d'une banque en libre entreprise seraient peut-être moins tentés par la routine que les fonctionnaires du fonds public. D'autre part il y a le risque que les managers des banques, étant en position de contrôler l'allocation des ressources, deviennent de quasi-capitalistes vis-à-vis des entreprises dont ils gèreraient le capital. Dans tout système où il y a du capital, même si le détenteur du capital ne possède pas directement les entreprises de production, ces dernières sont de fait soumises à ses décisions (comme aujourd'hui les paysans " indépendants " sont en fait dépendants de leur banque, fût-elle coopérative). Contre ce facteur de recomposition spontanée de la domination capitaliste, quels sont les meilleurs remèdes ? Vaut-il mieux un système financier étatique, qui même avec toutes sortes de contrôles démocratiques risque de se scléroser, devenant la chasse gardée de clans bureaucratiques internes ? Ou vaut-il mieux un système de libre concurrence ? On peut imaginer une combinaison des deux, les banques en libre entreprise, et aussi le fonds public, étant soumis à un cahier des charges discuté démocratiquement au sein du secteur et au parlement.
20. Je mentionnerai encore que le modèle présenté par Andréani prévoit des structures d'entreprises complexes, avec des maisons-mères et des filiales, structures à la fois souples et ramifiées, dont on voit l'efficacité dans le capitalisme actuel, mais qui auraient des règles de gestion démocratique un peu complexes pour organiser et garantir le pouvoir des salariés-propriétaires.
21. D'autre part, les entreprises du secteur seraient amenées à passer des alliances commerciales, technologiques, voire financières avec des entreprises capitalistes. On trouve dans le texte d'Andréani des propositions sur le " mode d'emploi " de telles alliances et les règles à respecter.
22. Le secteur doit être appuyé par une volonté politique. Certes, le projet est guidé par le souci d'une certaine " automaticité " économique du secteur socialisé : il doit se développer de lui-même, par le libre jeu de la course au bénéfice sur le marché. C'est la condition pour qu'il ne soit pas laminé ou absorbé par le capitalisme. Il ne doit pas être tenu à bout de bras par les institutions politiques. Néanmoins il s'agit d'une économie citoyenne qui peut mobiliser politiquement une partie de la société, et qui doit le faire dans sa compétition avec le capitalisme.
23. Il est souhaitable que chaque entreprise se dote d'une association des amis de l'entreprise, qui mobilise les énergies des bénévoles au bénéfice de son projet social et environnemental (comme cela se fait dans l'économie alternative et solidaire). C'est un " plus " pour la gestion de l'entreprise, non négligeable dans sa compétition avec les entreprises capitalistes. C'est aussi une façon d'affirmer le caractère citoyen de l'entreprise, son lien avec la démocratie locale, et de peser dans le rapport de force politique général en faveur du secteur .
24. On peut envisager également que les riverains et les consommateurs soient associés d'une façon ou d'une autre à la direction de l'entreprise. Mais il me semble moins lourd et plus rationnel qu'ils soient représentés dans le réseau d'information inter-entreprises.
25. Le lancement du secteur doit être décidé par l'Etat (ou peut-être par un pouvoir régional). Certes, on peut faire l'expérience à petite échelle. Par exemple une banque alternative pourrait proposer à quelques entreprises le système de financement que nous venons de décrire (Certaines banques coopératives sont déjà engagées dans le financement de l'économie alternative et solidaire). Ou encore, un réseau de coopératives peut se constituer à l'échelle locale, comme cela existe à Mondragon. Mais pour qu'un tel secteur ait les moyens de ses ambitions et puisse être attractif, il faut qu'il atteigne une certaine masse critique. Sa construction pourrait par exemple faire partie d'un contrat de gouvernement entre un parti alternatif et un parti de centre gauche. Puisqu'il ne s'agit initialement que d'une expérience sectorielle, on n'est pas obligé d'attendre que la majorité de l'électorat soit convaincu : il suffit que l'idée soit portée par une forte minorité, incontournable dans une alliance de gouvernement. Le secteur doit être appuyé par des collectivités locales, au titre de sa participation au développement local, ainsi que par des mouvements sociaux : mouvements de consommateurs, syndicats, mouvements féministes, etc. Ce secteur s'inscrit dans le paysage institutionnel de la démocratie (au même titre que la Sécurité Sociale ou le statut de la fonction publique), de sorte qu'il ne puisse pas facilement être supprimé lors d'un changement de gouvernement. A cet égard il vaut mieux que le fonds public de financement ait une autonomie de gestion. Il faudra pour la mise en place du secteur une bataille d'opinion contre les libéraux : en effet, l'argent récolté par le fonds public de développement échappera à l'accumulation capitaliste, et les libéraux s'y opposeront au même titre qu'ils s'opposent actuellement aux systèmes de retraite par répartition. Il y aura une bataille institutionnelle entre les tenants du capitalisme et les défenseurs du secteur socialisé. Dans cette bataille le conseil de contrôle du secteur, dont nous avons parlé plus haut, devra être une force de proposition politique. Secteur coopératif marchand et secteur public
La montée en puissance d'un secteur d'entreprises coopératives peut être fortement favorisée par un partenariat avec des entreprises publiques et des services publics, principalement pour obtenir des marchés. Ce qui pose le problème d'une politique de réformes radicales du secteur public. Politiquement, les deux choses sont complémentaires. C'est pourquoi, avant d'envisager comment un secteur de la propriété sociale pourrait participer à une alternative macro-économique au capitalisme, nous devons évoquer ce que pourrait être une réforme radicale du secteur public. J'évoquerai ici cette question de façon sommaire et sans entrer dans la discussion, en m'inspirant de deux textes dont je négligerai les différences : l'article déjà cité de Tony Andréani, Propositions offensives concernant le secteur public, 1999, consultable sur http://hussonet@free.fr, et le livre d'Yves Salesse, Réformes et révolution, propositions pour une gauche de gauche, éd. Agone, 2001. Un gouvernement qui voudrait mettre en œuvre des réformes radicales pourrait d'abord se prévaloir de ce qui fonde la légitimité des services publics : la nécessité de mettre à la disposition de tous, gratuitement ou à un prix accessible, un ensemble de services et de biens qui sont nécessaires à l'exercice de la citoyenneté et au bien-être du citoyen : sécurité, justice, santé, logement, éducation, qualité de l'environnement, téléphone, information, transports… On peut ajouter à cette liste un certain nombre de biens sur lesquels la collectivité estime politiquement devoir exercer un certain contrôle : l'eau, l'énergie, l'alimentation… La liste de ces biens peut être étendue à tout ce qui n'est pas superflu ; à l'inverse on peut la limiter à ce qui est nécessaire à la citoyenneté dans la civilisation contemporaine. C'est un débat politique que nous ne trancherons pas ici. Dans une optique démocratique, la mission de l'Etat est de produire ces biens dans la mesure où la plupart d'entre eux ne pourraient pas être produits par le privé sans que cela génère de graves injustices. Toutefois, certains de ces biens peuvent très bien être produits par des entreprises privées, mais l'Etat doit en contrôler la qualité, la distribution et le prix. Ce raisonnement, plus une enquête sur ce que les entreprises privées coûtent souvent à la collectivité, suffit à légitimer le renforcement des services publics non marchands ainsi que la mise en place d'entreprises publiques (propriété de l'Etat ou des collectivités locales) là où c'est la seule façon d'orienter la production vers le bien public. Par exemple il n'est ni nécessaire ni souhaitable que tous les transports ou toutes les chaînes de télévision soient publics, mais il serait très néfaste d'un point de vue démocratique qu'ils soient tous privés. L'existence de la libre entreprise est suffisamment légitimée par les dangers bien connus de l'économie administrée : le risque d'une dictature de l'appareil d'Etat sur la société, et la tendance à la sclérose bureaucratique. (Cette légitimation de la libre entreprise, on l'aura compris, n'est pas une justification du capitalisme). Toutes ces considérations conduisent d'abord à légitimer le renforcement de services publics ne fonctionnant pas selon une rentabilité marchande mais selon des missions et procédures administratives, et une forte démocratisation de leurs mode de direction et de gestion. Sur la base de ce noyau dur que devraient constituer les services publics, l'Etat dispose de personnels qualifiés et de moyens matériels permettant de mettre sur pied, complémentairement aux services publics, des entreprises capables d'intervenir dans la sphère marchande. Les finalités et les objectifs de ces entreprises ne doivent pas rester la chasse gardée de leur technocrates, mais doivent être débattus démocratiquement et tranchés par des votes du parlement. Ces entreprises peuvent être la propriété de l'Etat (ou de pouvoirs publics locaux, ou européens), ou peuvent être, à condition qu'elles restent contrôlées par l'Etat, des sociétés d'économie mixte, ce qui peut faciliter le drainage de capitaux privés et des alliances. Dans ces entreprises doivent être mises en place des formes de participation démocratique à la gestion de la part des salariés et des usagers. A partir de là on peut imaginer l'exploration d'une alternative macro-économique au capitalisme, avec deux volets complémentaires : d'une part un secteur public, en fait un capitalisme d'Etat, mais dont les objectifs seraient décidés démocratiquement et non imposés par le marché ou par les technocrates, secteur qui, démocratisé à tous les niveaux (des débats d'orientation jusqu'à la gestion quotidienne et locale), pourrait être le lieu d'une appropriation sociale de l'économie ; et d'autre part un secteur coopératif, lieu de la propriété sociale directe. Une partie du secteur coopératif peut seconder les services publics, sous le label du " tiers secteur ", dont nous allons parler à l'instant.
Intersection et synergie entre tiers secteur et secteur socialisé.
Comme on l'a vu au point 13, certaines entreprises peuvent décider de ne pas dégager de bénéfices et de participer à ce qu'on appelle le " tiers secteur d'utilité sociale et environnementale ". Dans l'optique d'une transformation démocratique et écologique de l'économie, il me semble que tiers secteur et secteur de la propriété sociale sont complémentaires.
a. Définition Ce secteur (nous suivons ici le projet d'Alain Lipietz cité plus haut) est composé d'entreprises et d'associations qui produisent des services que ni la libre entreprise en secteur marchand ni la fonction publique ne sont capables d'assurer. D'où le nom de tiers secteur. Par exemple, un restaurant dans un quartier pauvre, ou un service de restauration à domicile pour personnes âgées : cette activité n'est pas assez bénéficiaire pour attirer une entreprise privée ; et d'un autre côté une partie de la clientèle est solvable, la demande est mobile, de sorte que l'on peut préférer recourir à la libre initiative des citoyens, certains bénévoles, d'autres salariés, plutôt que de mettre en place un service public fonctionnant selon des procédures administratives relativement uniformes. (Cela dit, on peut aussi imaginer des services publics aux missions flexibles et adaptables). Le tiers secteur se caractérise par une mixité modulable des ressources de l'entreprise, une partie provenant de la vente de ses services aux clients, une autre de l'aide des pouvoirs publics : subventions ou dispenses d'impôts, financement public d'une part des salaires notamment sous forme de dispense de charges sociales. Pour que ces aides soient justifiées, méritées, l'entreprise ou l'association doit satisfaire à certains critères : utilité sociale et environnementale, non-lucrativité (ne pas distribuer de bénéfices à ses membres) ou lucrativité limitée, transparence de la gestion. En donnant ces aides, l'Etat crée une demande solvable pour des biens, comme par exemple les services aux plus pauvres, dont les consommateurs ne sont pas solvables individuellement, ou pour des biens publics dont aucune valeur d'échange ne peut être fixée par le mécanisme du marché (exemples : la reconstitution des liens sociaux à l'échelle locale, l'entretien de la nature, la sécurité des générations futures, etc.). Sans ce financement spécifique, de telles activités ne pourraient pas être présentes dans l'environnement marchand.
b. L'intersection Quels rapports avec notre projet d'un secteur de la propriété sociale ? Il y a une intersection entre les deux secteurs. Les entreprises du tiers secteur ne peuvent pas toutes faire partie du secteur de la propriété sociale : toutes ne sont pas propriété de leurs travailleurs, loin de là. Certaines, dans le cadre des dispositifs de mise au travail des chômeurs mis en place par l'Etat, offrent principalement des emplois à bas salaires (par exemple les Contrats Emploi Solidarité, un mi-temps payé un demi-SMIC), ou des " contrats à durée déterminée ". De tels emplois, vu l'état du marché du travail, peuvent jouer un rôle utile " d'insertion ". Mais ce type d'entreprise et d'emploi ne peuvent pas servir de point d'appui pour une alternative au capitalisme. D'un autre côté, une partie des entreprises du secteur de la propriété sociale peuvent faire partie du tiers secteur : il suffit pour cela que leur gestion soit transparente et à finalité sociale (ce qui est réalisé par l'autogestion et l'affiliation au réseau d'information inter-entreprises), qu'elles négocient avec les pouvoirs publics un cahier des charges concernant les services qu'elles assurent à la collectivité, enfin qu'elle ne soient pas lucratives, ce qui, on l'a vu, est un choix possible. Cela dit , la plupart des entreprises en propriété sociale ne feraient pas partie du tiers secteur puisque leur but est de faire des bénéfices sur le marché et de les distribuer à leurs salariés-propriétaires.
c. Changer la vie. Grâce aux financements de type tiers secteur, l'autogestion n'est pas enfermée dans l'égoïsme d'entreprise : les entreprises qui le souhaitent peuvent expérimenter une économie guidée par la solidarité, et par la créativité non-utilitaire. Une politique de tiers secteur est un outil indispensable pour introduire dans l'économie des finalités non-économiques (écologiques, ou artistiques, spirituelles, scientifiques, etc.), en faisant vivre des activités qui autrement ne seraient pas viables économiquement, et ce en laissant libre cours à l'inventivité et à l'initiative qui sont nécessaires pour détecter les problèmes écologiques ou sociaux et leur trouver des solutions. Dans le tiers secteur on a une marge de manœuvre pour expérimenter des choix économiques qui ne soient plus dictés par les besoins existants produits par le système dominant, mais par des projets de société (même minoritaires) visant à réorienter les besoins selon des valeurs. Même sans aller jusque là, l'entreprise ou l'association de tiers secteur est une des formes indispensables de la démocratie participative, locale, et de projet, dans une relation clairement contractuelle avec les pouvoirs publics. C'est l'un des canaux de la prise en main démocratique concrète de la vie économique, sachant que l'autogestion pure et simple, la pleine propriété de l'entreprise par les travailleurs, n'est pas toujours réalisable. Bref, aucun projet de démocratisation radicale de l'économie, qu'il s'agisse d'aménager le capitalisme ou de rompre avec lui, ne saurait se passer d'une politique de tiers secteur. D'où l'intérêt de penser l'intersection entre secteur de la propriété sociale autogérée et tiers secteur.
d. Contre la privatisation des acquis du tiers secteur. Si le tiers secteur est dynamique, il risque fort de se voir privé de ses activités les plus rentables, qui seront reprises par des entreprises capitalistes, et de se voir confiné dans la gestion de ce qui est difficile et non rentable. Prenons un exemple. Imaginons une entreprise non lucrative et subventionnée, qui livre des repas à domicile sur un quartier, à des personnes âgées à faibles revenus. Cette entreprise, fournissant des prestations de qualité, et connaissant bien les gens, d'autant qu'elle emploie des femmes du quartier sur des postes " d'insertion ", commence à intéresser une clientèle plus riche, notamment des jeunes ménages de la classe moyenne qui n'ont pas le temps de préparer à manger tous les jours, et des personnes qui sont prêtes à payer un bon prix pour d'autres services, comme faire les courses. Voilà un marché potentiellement lucratif, et une entreprise privée s'y installe, copiant en partie les méthodes imaginées dans le tiers secteur. Cette entreprise est lancée, pourquoi pas, par un agent immobilier du quartier, qui trouve intéressant, par ce biais, de recueillir des informations sur les logements susceptibles d'être à vendre. Ou, plus simplement, le marché est pris par une grande entreprise privée de la restauration collective : les repas sont de qualité douteuse mais le service est correct et les prix accessibles, grâce à des salariés surexploités et très hiérarchisés. Dans cet exemple, le tiers secteur, avec ses savoir-faire, ses financements publics, le dévouement de ses bénévoles, aura servi de banc d'essai à la modernisation du capitalisme, mettant au point des formes de gestion avisées, et faisant apparaître une demande qui jusqu'ici n'avait pas été détectée. L'entreprise qui a " défriché " le terrain ne pourra pas se lancer dans une activité lucrative : elle n'en a pas le droit. On peut imaginer qu'elle essaie de combiner un service bénéficiaire auprès des clients riches et un service à perte auprès des clients pauvres, en restant globalement non lucrative, pour continuer à recevoir des subventions… mais l'entreprise privée pourra l'attaquer en justice pour concurrence déloyale. Le plus probable est que l'entreprise du tiers secteur abandonnera ce qui est rentable et se cantonnera à la clientèle non solvable. Mais si maintenant il existe un secteur de la propriété sociale, avec son fonds de financement, l'équipe qui aura acquis une expérience dans le tiers secteur pourra envisager de lancer une entreprise à but lucratif qui pourra, en s'appuyant sur le savoir-faire acquis et le tissu de sociabilité local, tenir tête à la concurrence privée, d'autant que sa trésorerie ne sera pas alourdie par la nécessité de dégager un profit capitaliste. A travers cet exemple, j'ai voulu montrer que la présence d'un secteur de la propriété sociale est décisive pour que les acquis du tiers secteur en matière de démocratisation de l'économie puissent être étendus à d'autres entreprises, pour que le tiers secteur contribue à une démarche de transformation sociale radicale, et pour qu'il ne se trouve pas confiné dans un rôle d'auxiliaire du développement capitaliste.
Le pari stratégique
Dans un premier temps, le pari, c'est que le secteur de la propriété sociale non seulement puisse survivre face à la concurrence capitaliste, mais qu'il conquière des parts de marché et apparaisse comme un secteur dynamique. Notamment dans les domaines à la pointe de l'innovation technologique. L'un des défis est de pouvoir attirer des travailleurs hautement qualifiés (ce que ne fait guère l'économie alternative et solidaire, qui a besoin d'aides publiques et souvent ne les obtient que pour des emplois dits d'insertion) en leur proposant une ambiance de travail à la fois stimulante et solidaire (diamétralement opposée à la " loi de la jungle " qui règne dans le secteur capitaliste), mais aussi des rémunérations qui, sans être aussi élevées que celles des quelques élus de la réussite capitaliste, seraient attractives. Je pense par exemple à la production et à la diffusion musicale : dans ce secteur étroitement lié à la vie sociale des quartiers et des communautés, l'innovation artistique et technologique est constante, mais les créateurs souffrent d'un manque chronique de capitaux ; la plupart des groupes de musique ne sont pas rentables financièrement, mais ceux qui arrivent à percer peuvent générer énormément de bénéfices ; or ils sont obligés de passer par les entreprises capitalistes du spectacle et de la distribution, qui leur pompent ces bénéfices ; dans ce secteur, des systèmes de capital-risque à but solidaire permettraient d'une part de créer de nombreuses PME innovantes, d'autre part réinjecter les bénéfices dans le développement local.
A terme, le pari, c'est que le secteur socialisé serve de référence pour imposer des règles sociales progressistes dans l'ensemble de l'économie, mais aussi qu'il grignote le secteur capitaliste. Si le secteur socialisé offre de bonnes perspectives aux travailleurs, les salariés du privé pourront demander que leur entreprise passe en secteur socialisé, par rachat de son capital par le fonds public de financement. Et quand les conditions politiques le permettront on pourra envisager une socialisation de la majorité de l'économie : le système, avec ses possibilités et ses difficultés, aura été expérimenté ; il existera un savoir-faire de la propriété sociale (comme il existe aujourd'hui un savoir faire de l'économie alternative et solidaire, qui en France a mis une quinzaine d'années à se construire et à se légitimer). Quelles conditions politiques ? Soit l'élection d'un gouvernement de gauche accompagné d'un fort mouvement social, soit une crise politico-culturelle comparable à mai 68, ou encore une situation économique catastrophique (comme on en connaît dans les pays de l'Est européen ou dans certaines régions des pays riches) exigeant des mesures de " salut public ".
Vers quel socialisme ? Le système qui résultera d'une telle rupture avec le capitalisme sera une économie plurielle, comportant :
Un secteur d'économie administrée, fortement démocratisée, centré sur les services publics.
Un tiers secteur d'utilité sociale et environnementale qui relaiera les services publics pour des missions spécifiques.
Un secteur de la propriété sociale coopérative, secteur de libre concurrence corrigée par la concertation. Une partie de ce secteur aura également un statut de tiers secteur.
En outre, le rapport de force national et international contraindra sans doute à coopérer (notamment par des alliances d'entreprises) avec un secteur capitaliste. L'intérêt de cette pluralité, c'est que les vertus d'un secteur peuvent contrecarrer les défauts d'un autre : le projet socialiste ne doit pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Le grand danger de l'économie administrée, c'est bien entendu la sclérose bureaucratique. Certes le débat démocratique est là pour empêcher cette dérive. Mais l'ardeur démocratique des citoyens connaît inévitablement des temps morts. Et la démocratie est toujours manipulable par les groupes ayant un certain pouvoir. Notamment, le débat démocratique lui-même peut être parasité par le conservatisme des situations acquises. Si par exemple des travailleurs et des managers s'accrochent à leur emploi dans une entreprise devenue techniquement obsolète, ils peuvent utiliser leur bulletin de vote pour imposer le maintien de cette entreprise, alors qu'il vaudrait mieux la reconvertir, du point de vue de la vitalité de l'économie et du point de vue de l'intérêt collectif à terme. Un tel blocage, qui était manifeste dans les dernières décennies du " communisme " en Europe de l'Est, peut s'installer même à partir d'institutions démocratiques. Il suffit que des politiciens en compétition cherchent à se constituer une clientèle en jouant sur le corporatisme (ou le communautarisme). Par là, le débat démocratique devient une compétition clientélaire pour le contrôle de postes bureaucratiques. L'existence d'un secteur en libre concurrence est donc nécessaire pour empêcher une paralysie de l'économie par une éventuelle bureaucratisation du secteur public. Et l'initiative économique dont peut faire preuve le secteur coopératif marchand agira comme un aiguillon extérieur contre la tendance à la routine bureaucratique dans le secteur public. De l'autre côté, la dérive naturelle de la libre concurrence, c'est l'accroissement des inégalités, l'accumulation de richesses entre les mains d'une minorité, concrètement la transformation des banquiers et des managers les plus performants en une classe de quasi-capitalistes qui manipulent et exploitent les autres travailleurs. Or l'existence de services publics animés d'un esprit égalitaire permet de dénoncer et de contrecarrer les inégalités toujours renaissantes sur le marché. Et nous avons vu également les contre-feux à cette dérive dans le fonctionnement même du secteur de la propriété sociale : démocratie dans l'entreprise, transparence de l'information, absence de représentants directs du capital à la direction des entreprises, interdiction de l'accumulation de capital financier par les entreprises.
Le but de cet article est de proposer des " règles du jeu " d'inspiration socialiste, qui puissent créer des " cercles vertueux " à la fois anticapitalistes et antibureaucratiques dans l'ensemble de l'économie. Cela dit, il n'y a pas de recette définitive contre la reproduction de rapports de domination, et l'intervention démocratique à tous les niveaux reste nécessaire.
Ensuite, quelle sera en fin de compte la proportion souhaitable entre le marché et l'économie administrée ? C'est une question qu'on ne peut pas trancher d'avance, qui se traitera avec l'expérience, mais qui est préfigurée actuellement par le débat théorique sur les modèles de socialisme.
Avant de terminer ce texte, je voudrais répondre à deux catégories de lecteurs sceptiques : d'abord à ceux qui trouvent que ce projet n'est pas assez communiste, ensuite à ceux qui trouvent qu'il est trop communiste.
Et Marx, dans tout ça ?
Notre projet ne satisfera peut-être pas ceux qui restent attachés à la perspective du communisme au sens où l'entendait Marx (et les anarchistes) : une société d'abondance, où le travail pour la société ne serait plus une contrainte, mais un élément du libre épanouissement de l'individu. Ces lecteurs me diront à juste titre qu'un projet d'émancipation doit prendre pour point de départ les éléments de rapports sociaux communistes qui existent déjà dans la civilisation actuelle : l'automatisation, donc un possible partage de la durée du travail, la planification économique concertée via internet etc., la possibilité d'un revenu de citoyenneté assurant à chacun la sécurité de l'existence indépendamment du travail, l'extension de la démocratie, le niveau croissant d'instruction, la quasi-gratuité des soins médicaux, etc. Cela permet d'imaginer une société où tout le nécessaire serait organisé de façon démocratique, collective, largement décentralisée, et où le non-nécessaire serait le domaine toujours croissant de la fantaisie individuelle et de la libre association. Il est vrai que je n'ai presque rien dit de tout cela. Néanmoins, il me semble clair que dans une économie coopérative on pourrait plus facilement développer ces potentialités communistes qui sont aujourd'hui étouffées ou dévoyées par le capitalisme ; on pourrait expérimenter dans quelle mesure elles sont réalisables. Il est vrai que les règles du jeu de notre " secteur de la propriété sociale " accordent un rôle non négligeable à l'enrichissement personnel, à la concurrence, à la contrainte de travail sous la menace de la perte de l'emploi… Certes, mais elles encouragent aussi la coopération et la création désintéressée. Le fonctionnement d'une économie coopérative tel que je le décris n'est pas une fin en soi. Il vise simplement à réaliser des formes d'appropriation sociale de la production, à leur permettre de s'étendre dans l'environnement économique capitaliste existant et en tenant compte des penchants égoïstes existants, enfin à éviter leur dévoiement vers de nouvelles formes de domination. Dans le cadre de ces formes d'appropriation sociale, on peut, sans attendre, expérimenter le communisme marxien, ou une démocratie savante écologiste, ou toutes sortes de choses.
Un outil pour deux hypothèses envisageables : l'aménagement du capitalisme ou la rupture
Dans l'optique d'Andréani, que je partage, le secteur de la propriété sociale servirait de banc d'essai en vue d'une future rupture avec le capitalisme à l'échelle de l'ensemble de l'économie. Cela dit, tous ceux qui critiquent le capitalisme actuel ne sont pas prêts à parier sur une société socialiste qui reste jusque à présent hypothétique ; beaucoup pensent que l'on ne peut pas envisager un dépassement du capitalisme, ou pas de façon clairement prévisible, et que le plus raisonnable est de réformer le capitalisme, de l'encadrer par des lois sociales et écologiques rigoureuses et par une constante pression démocratique. Une telle perspective, centrée sur la dynamique de la démocratie, est indispensable, mais ne me semble pas la panacée, pour les raisons qu'on va voir à l'instant, de sorte que même dans une optique de réforme démocratique du capitalisme, on ne peut pas se passer d'un secteur non capitaliste de l'économie.
1. Tout d'abord il y a une course de vitesse entre d'une part la progression de la démocratie, qui est réelle aujourd'hui dans le monde, et d'autre part la destruction des conditions mêmes de la démocratie par les effets sociaux du capitalisme : chômage, misère, économie mafieuse, environnement invivable, compétition égoïste…
12. La démocratie elle-même, par sa complexité, tend à secréter des castes de politiciens et de technocrates qui sont tout naturellement enclins à se partager le gâteau avec la classe capitaliste. Par ailleursla démocratie, de par le respect desdroits de chacun, et la lenteur des procédure que cela implique (choses qui en soi sont positives), laisse toujours de larges possibilités de manœuvre aux classes dominantes. Les moments où il y a vraiment démocratie, au sens de pouvoir du peuple, ne peuvent être que rares et fragiles . La réponse, c'est bien sûr d'intensifier la démocratie : c'est l'auto-gouvernement de la société civile et l'intervention citoyenne à tous les niveaux. Travail de Sysiphe, mais cela avance concrètement d'ores et déjà et c'est une bonne utopie.
3. Mais là encore le capitalisme détruit les conditions de la citoyenneté puisque dans leur vie de travail les salariés n'ont pour l'essentiel aucun contrôle collectif sur leur propre activité, sur le choix des techniques et encore moins sur les décisions de production et de vente ni sur leurs finalités sociales ou anti-sociales : tout cela est décidé par les managers, avec comme critère le profit le plus attractif possible pour les capitalistes, c'est la règle du jeu. C'est la conséquence du rapport salarial capitaliste : en termes marxistes, la non-propriété des travailleurs sur les moyens de production, et l'aliénation du travail qui en résulte. Et le travail, ce n'est pas rien, c'est encore la principale discipline de notre vie, et c'est là que chacun est concrètement impliqué dans ce que la pensée écologiste considère comme central : le rapport technique de l'humanité avec la nature.
En conclusion, même si l'on se donne comme perspective d'avenir un capitalisme encadré par un dense tissu démocratique, il faut d'une façon ou d'une autre imposer une citoyenneté dans le travail. Et pour cela il faut faire exister un secteur qui garantisse la viabilité d'entreprises citoyennes, ne serait-ce qu'à titre d'exemple, et de moyen de pression sur les entreprises capitalistes. C'est en faisant cette expérience qu'on verra, de façon pragmatique, si elle rend possible un aménagement significatif du capitalisme, ou plutôt une rupture vers un système différent.
Joël MARTINE
Création de l'article : 27 juillet 2003
Dernière mise à jour : 27 juillet 2003
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> Entreprises coopératives, citoyennes, autogérées
21 septembre 2003, par
Bonjour, Je n'ai pas tout compris, mais juste quatre remarques :
1/ - "Le but est que les salariés du monde entier perçoivent des salaires de fourchette équivalente... afin que le salaire de base devienne le même sur toute la planète." Tant qu'à faire, demandons le même salaire pour tous. Pourquoi pas ? Pourquoi certains touchent-ils plus que d'autres ? Parce qu'ils ont fait des études, parce qu'ils ont des parents riches, parce qu'ils ont des avoirs, des "responsabilités" ? ? ? Tout ça est injustifiable.
2/ - "Les citoyens demeurent collectivement propriétaires". Supprimons la propriété, base de toutes les guerres. Les Indiens ne la connaissaient pas. Supprimons les brevets sur le vivant et nous n'aurons plus les OGM. Supprimons les droits d'auteurs. Hermès était le dieu du commerce et du mensonge. Autres idées à approfondir.
3/ - Connaissez-vous les SCIC (société coopérative d'intérêt collectif) ? Il y a là une piste intéressante. Cherchez sur Internet.
4/ - Donner à tout humain un Revenu d'existence, dès la naissance et jusqu'à la mort. Un minimum vital et la gratuité des besoins de base. Et à la place du "travail" (instrument de torture et d'exploitation, esclavage au profit des seigneurs et des religieux, puis des possédants) la réalisation de soi, l'amour. Etant des êtres sociaux, deux heures de travail par jour pour la collectivité devraient suffire. Voir aussi le concept "d'économie distributive".
Ce sont pour moi des pistes de réflexions. Pensons-y.
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> Entreprises coopératives, citoyennes, autogérées
3 août 2003, par
A propos de votre article :
J'ai trouvé intéressante votre analyse des différentes structures de l'économie sociale, notamment avec la mise en évidence de leurs freins. D'ailleurs, j'ai été déçu de voir dans votre article la situation actuelle des SCOP, au sujet des capitaux propres, de la garantie auprès des banques et du rachat par les entreprises capitalistes…N'y a-t-il pas cependant des SCOP qui fonctionnent normalement au sein de l'économie solidaire, sans dévier vers les travers du capitalisme néolibéral ? De plus, j'imagine que les banques du secteur coopératif doivent sûrement financer les projets développés par les SCOP, liés à la protection de l'environnement, le commerce équitable, l'agriculture biologique, etc. Je manque d'informations sur ce secteur.
Vous parlez d'aménager le capitalisme, de le concurrencer ou de le supprimer. Je ne crois pas que la concurrence entre l'économie capitaliste néolibérale et l'économie sociale soit favorable. Je verrais mieux une transformation progressive de ces deux types d'économie, sans qu'elles rentrent forcément dans une logique de compétitivité et de concurrence. Cette logique là est déjà celle qui gouverne le capitalisme néolibéral tourné exclusivement vers le profit et la rentabilité, et on peut observer aujourd'hui ses effets dévastateurs (sur l'économie locale, la sphère sociale, l'environnement)…D'autant plus qu'elle favorise la jalousie entre les hommes, qui deviennent envieux, cupides, cyniques et égoïstes…Je pense au contraire que ce devrait être la fraternité au sein de la vie économique…ce qui n'exclut pas une réglementation pour éviter les abus et garantir l'égalité entre les hommes. La fraternité au sein de la vie économique impliquerait la confiance, la responsabilité, le dialogue et l'échange non exclusivement marchand, etc. Les acteurs économiques qui n'ont pas forcément les mêmes intérêts (producteurs, transformateurs, distributeurs, consommateurs) pourraient pourtant s'entendre dans la complémentarité et la concertation, pour l'intérêt général du projet économique et de la société, car ils sont interdépendants… A la base du capitalisme, il y a bien sûr la constitution d'un capital et sa gestion. A partir de là, le bien-fondé d'une économie capitaliste dépend de ce que l'homme fait du capital. Soit il se l'approprie et l'accumule, et il accroît ainsi son pouvoir de domination dans une logique égoïste (sans oublier la spéculation), soit il l'utilise pour servir l'intérêt général… Si le capital permet de gérer une entreprise d'économie solidaire, d'une manière collective et démocratique, alors il peut être utilisé pour le bien de tous, et non pour augmenter le profit et le pouvoir du patron…On pourrait alors parler d'une « socialisation du capital », qui passerait de la sphère de la propriété privée à la sphère de la propriété collective (voir les SCOP par exemple). Le capitalisme est là et nous en avons besoin. Cependant, il est vrai qu'il devrait exister des alternatives économiques au capitalisme, comme le « tiers secteur d'utilité sociale et environnementale » que vous préconisez. Mais il devrait aussi y avoir des structures économiques marchandes qui respectent l'environnement, ou le protègent, et aussi qui préservent la dignité de l'homme, etc. L'économie sociale et solidaire pourrait regrouper ces différentes structures. Il me semble que votre réflexion va dans ce sens. En résumé, je ne pense pas que nous avons intérêt à être « anticapitaliste », mais qu'il faudrait abandonner les principes de compétitivité, de concurrence, de protectionnisme aussi…qui sont si destructeurs des liens de solidarité entre les hommes. Au sujet du partage des bénéfices pour augmenter le salaire individuelle : je pense qu'au sein de l'entreprise, il faudrait établir démocratiquement (pourquoi pas à l'aide d'un contrat) un équilibre entre l'augmentation du salaire individuelle et l'investissement collectif, ou d'autres mesures. Nous avons le choix : soit le fruit de notre travail ne vise que l'enrichissement personnel, soit il vise à enrichir la collectivité, ce qui permettrait en retour de répondre plus adéquatement aux besoins de tous. D'autre part, le financement de tous les types d'entreprise devraient dépendre, non pas uniquement de leurs perspectives de rentabilité, mais bien aussi de la portée culturelle, sociale, environnementale de leurs projets, etc.
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