Expulsion d'un village autogéré |
Une histoire, des choix de vie, une envie profonde de créer une alternative au risque de tout perdre, de s'épuiser et pour finir se plier aux dures lois du plus fort.
Nombreuses sont les revendications entendues toutes ces années à Baluet. Nous voulions vivre sur un lieu digne de nos exigences politiques et sociales. Tant que l'on est en opposition théorique, que l'on manifeste, refaisons le monde entre amis, gueulons devant la télé ou dans les journaux, il est facile de croire que l'on a raison, que les "autres sont les méchants". Mais là, nous avions l'outil entre les mains. Des propriétaires, bien que très changeant dans leurs positions, apparemment conciliant, 55 hectares non souillés par les lois du marché, un hameau à reconstruire, un groupe de chercheurs et chercheuses motivés(es) et un mouvement plus global appréciant notre démarche.
Il est difficile, lorsque nous sommes en réaction à des fonctionnements auxquels la plus grosse partie de notre société est soumise, de ne pas être "étiqueté" et donc réduit à une image négative. Nous ne sommes aux yeux de celles et ceux qui ne nous connaissent pas que des "anarchistes, des punks, des babas, des squatters…" Tant de dénominateurs très utile pour un dénigrement rapide. Notre action de plusieurs années a permis aux personnes passant à Baluet de se faire reconnaître d'une manière différente. Partant de rien, nous avons nettoyé des friches, ouvert 4000m² de jardin, clôturé 55 ha, reconstruit trois maisons, expérimenté des systèmes de fonctionnement collectifs pour l'épanouissement de chaque individu, élever des animaux, ouvert des ateliers communs etc. Tout ceci rien que dans l'espoir de voir par nous même si nous étions capables de créer des alternatives à des fonctionnements plus classiques que nous trouvions critiquables. Nous avions aussi le mince espoir d'obtenir une reconnaissance afin de pouvoir rester sur ce lieu pour continuer notre expérience. Finalement aujourd'hui ce n'est pas la qualité de notre action qui est jugée. Nous avons obtenu suffisamment de temps pur construire une histoire qui fonctionne avec le respect de nos engagements face aux soutiens moraux que nous avons demandé à l'ouverture du lieu. Les services sociaux sont prêts à prendre au sérieux notre expérience et les voisins nous jugent plutôt positivement.
En fait, c'est la "chance" qui va nous permettre ou non de rester. Le droit humain, reconnu par les écoles de droit comme un droit subjectif, nous amène aujourd'hui à faire peser dans la balance de la justice : le "droit à vivre" face au droit de propriété.
La subjectivité de ces droits est facile à démontrer.
Posséder du foncier ne peut être résumé par l'article 544 du code civil français spécifiant : "La propriété est le droit de jouir et disposer de biens de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse "pas un usage prohibé par les lois et les règlements." Certes, la propriété, antérieure à l'Etat, est absolue. Mais, les individus ayant convenu de former une société, toute loi est une émanation de leur consentement, une expression de leur volonté. Aussi la restriction est-elle légitime. Bonaparte tenait à sauvegarder la surveillance générale que devait exercer l'Etat sur les biens des particuliers. Portalis, fort réaliste, ne craignait pas de déclarer : "Il n'est pas question d'examiner ce qui est le plus conforme au droit naturel, mais ce qui est le plus utile à la société." Encore convient-il de s'entendre sur le mot "loi". Les artisans du Code civil ont-ils suivi Pothier, pour qui le terme comprenait aussi bien les lois naturelles que les lois civiles ? Ce n'est pas l'opinion du législateur de l'an IV, qui joint au terme "loi", celui de "règlements". Ainsi pour Robespierre, la propriété était-elle "le droit qu'a chaque individu de jouir et de disposer de la portion de biens qui lui est garantie par la loi", non pas un droit sacré. C'est bien ainsi que l'entendirent les tribunaux auxquels fut soumis le projet de l'an IV. Et voilà comment fut établie, et adoptée, la distinction entre le droit subjectif "le plus absolu", et l'usage de ce droit, limité, dès sa reconnaissance, par l'utilité commune, dont l'expression se trouve dans les lois et règlements. On voit que l'expression restrictive de l'article 544 du Code civil, tout en reprenant, pour partie, une proposition romaine, n'a pu être forgé que sur un contresens. Dans l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 on parlait de « propriétés privées » au pluriel. Sous entendu, trois droits clairement définis :
Droit d'usus(d'usage).
Droit de fructus(de produire un profit).
Droit d'abusus (de spéculer sur la valeur vénale).
Dans l'exercice du droit de propriété, la notion d'intérêt général prime sur la notion de droit et d'intérêt personnel. Le droit "immuable et sacré" devient un droit délégué par la société à l'individu capable de l'exercer dans l'intérêt de la collectivité et qui peut lui être retiré s'il se révèle incapable d'un tel exercice. Seul l'intérêt de la collectivité étant "sacré" et non l'arbitraire de l'individu.
Prenons maintenant la subjectivité du "droit à vivre". Il est compliqué voir impossible d'avoir un jugement objectif lorsque l'on parle d'utilité publique. Les intérêts individuels étant aussi divers qu'il y a d'individus, nous sommes réduits dans notre fonctionnement actuel à ne parler que de majorité ou de minorité. Comme l'information, la diffusion sont maîtrisés par une minorité, la majorité devient elle-même subjective. Comment connaître où est l'intérêt collectif lorsque nous ne sommes que des individus ? Pour ne pas nous égarer dans les diverses propositions de fonctionnements tels que la démocratie participative ou la démocratie directe, nous résumerons par le fait qu'il va de soit qu'il faille tenir compte des minorités et leur permettre de vivre leurs choix tant que ceux-ci ne nuisent pas à la collectivité (notion subjective).
Lorsque l'on aperçoit dans de nombreux pays l'injustice criante que permet le droit de propriété. Au point d'entretenir des populations entières dans la misère au profit de quelques propriétaires terriens de l'âge de la colonisation. Lorsque l'on voit les décideurs actuels transformer nos campagnes en déserts et permettre les propriétaires terriens de polluer de manière irréversible. Lorsque l'on voit qu'il n'est pas possible d'obtenir de l'espace pour des projets pluriactifs qui dynamiseraient les campagnes. On est en droit de se demander quelle place a le "droit à vivre" face au droit d'aliénation (de spéculation).
A Baluet, le 21 mars 2003
baluet
Création de l'article : 5 septembre 2003
Dernière mise à jour : 5 septembre 2003
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