Cancon, impressions, réflexions. |
Plus de 3 heures d'exposés, une remarquable intensité d'écoute de la part d'une foule nombreuse et pas systématiquement déjà acquise aux thèses développées. Une soirée agréable, instructive, inquiétante, exemplaire ...
Fin du voyage.
De plus en plus de champs plantés de pruniers, de part et d'autre de la route. Il est aux environs de 18 heures et des gens s'activent encore autour des arbres : on récoltera, jusqu'à la nuit tombée.
Cancon vit du pruneau, de la noisette et de l'élevage.
Nous verrons plus tard que l'OMC pèse sur les agriculteurs locaux.
Arrivée à Cancon, village d'environ 1300 habitants : l'accès au centre est barré, des bénévoles orientent les véhicules vers des zones de stationnement improvisées sous l'oeil de quelques gendarmes.
Le ciel est assez chargé, de grandes flaques rappellent une pluie récente.
Quelques centaines de mètres à pied, pour arriver sur la place du marché : stands de nourriture et de boissons, écran et sonorisation afin de relayer les interventions qui auront lieu depuis un podium installé sur le parking des écoles, tout près de là.
Stands de différentes associations et syndicats, et de la société Valenergol qui se bat pour obtenir des instances européennes des conditions qui permettent à de petites structures de produire des bio carburants.
La foule grossira petit à petit, pour dépasser probablement les 5000 personnes.
Nombreux véhicules utilitaires surmontés d'une parabole, nombreuses caméras : le présence des médias ne passe pas inaperçue et une télévision mexicaine a fait le déplacement.
Après le Maire de Cancon José Bové prend la parole et ouvre une session d'interventions qui durera près de 3 heures.
Les intermittents du spectacle auront la parole, puis la première partie de la soirée sera consacrée aux questions locales, notamment agricoles.
N'ayant pas enregistré cette soirée et ne disposant que de ma mémoire pour la relater je me contenterai de livrer des impressions.
Il ne m'a pas semblé que tous les auditeurs étaient acquis aux causes de la Confédération Paysanne, d'Attac, de Greenpeace ou des autres associations représentées.
Néanmoins l'attention était soutenue, l'intensité d'écoute était presque palpable et les applaudissements furent fréquents, nombreux, fournis.
La qualité des interventions, qu'elles concernent des points précis ou des aspects généraux, était d'un très bon niveau : claires, compréhensibles de tous et sans longueurs inutiles. Cette soirée fût pour moi un plaisir de ce point de vue de la qualité et du rythme des exposés.
Mais l'impression la plus forte, pour quelqu'un qui consacre très souvent plus d'une heure par jour à se documenter sur ces questions de libre échange et de règles de l'OMC, et donc pour quelqu'un qui a peut-être accumulé quelques connaissances dans ce domaine, c'est l'impression que se construisait au cours de cette soirée, au dessus de nos têtes, comme un édifice, branlant, de dangers empilés les uns sur les autres et prêts à nous écraser.
Parce-que les règles actuelles de l'OMC (souvent en conjugaison avec la Politique Agricole Commune et avec le subventions agricoles US) ont déjà des conséquences néfastes, mesurables, nombreuses, sur de nombreux acteurs de la vie économique, ici et ailleurs.
Comme par hasard ces conséquences sont toujours néfastes à ceux qui ont la plus petite "surface financière", et toujours profitable aux plus grosses structures, souvent multinationales.
Nous avons pu nous apercevoir, au travers d'exemples précis, à quel point les règles de l'OMC pouvaient régir des marchés que l'on pouvait croire assez locaux et porter atteinte à la rentabilité parfois déjà incertaine de petites entreprises ou de petites exploitations agricoles, ici en France mais également partout dans le monde.
Ainsi, pour citer un exemple, la diminution de la norme de teneur en eau du pruneau dit "d'Agen" de 2%, qui conduira à réduire la masse des fruits séchés sans pour autant que le prix d'achat à la tonne subisse de révision : la perte est pour l'exploitant.
Une partie de la soirée a empilé de tels exemples, et la seconde a ajouté sur le tas un certain nombre des mesures qui devraient émaner des négociations de Cancun si elles aboutissent comme le veulent les défenseurs de l'ultra libéralisme.
Un ultra libéralisme qui ne limitera pas ses conséquences néfastes à la seule agriculture, et Jacques Nikonoff a clairement exposé que le libre échange, l'ouverture des marchés sans restrictions, ne pourrait en aucun cas améliorer le sort des 2 milliards de personnes qui vivent avec un revenu inférieur à 2 dollars par jour.
Après que José Bové ait clos ce cycle d'exposés, la Compagnie Bernard Lubat monta au podium : elle offrait un concert. _
Il me fallait reprendre la route.
A moins d'un kilomètre de Cancon des flaques fraîches, la route soudain mouillée : il avait bien plu ici, mais quelles puissances célestes avaient décidé de nous épargner ?
J'ai donc roulé, les épaules rondes sous la menace que cet empilement de dangers s'écroule prématurément : il faut évidemment raser au plus vite l'édifice législatif que nous construit l'ultra libéralisme, réorienter l'OMC vers des mesures qui favoriseront l'accès de chacun à des conditions de vie correctes plutôt que de favoriser exclusivement le développement du commerce et des entreprises, avec toutefois certains paradoxes apparents.
Par une de ses mécaniques, qui consiste à contraindre chacun d'aligner ses prix sur ceux du moins disant, le "libre échange" est en fait une mécanisme d'échange d'où toute liberté a été exclue : contraint de vendre, et contraint de vendre à un prix décidé par d'autres.
Qui sont ces autres ?
Ce sont ceux qui auront les moyens, au travers d'un certain nombre de stratagèmes, de fixer les prix mondiaux des marchandises.
Leur puissance financière leur permet d'agir à leur guise, puisque aucune loi ne les limite, et par exemple de fixer des prix de vente à perte : c'est un très bon moyen d'éliminer les concurrents.
Eliminer les concurrents : lutte d'entreprises contre des entreprises, avec l'assurance que les plus fortes gagneront.
La théorie ultra libérale inclut l'idée de la "libre entreprise".
On s'aperçoit ici que cette idée ne signifie pas que chacun aura à la fois la liberté d'entreprendre ET de bonnes chances de pouvoir réussir, puisque ce sont les plus puissants qui décident de tout.
Ils pourront donc ruiner toute tentative d'entreprise dont ils penseraient qu'elle pourrait leur nuire, et la première "nuisance" serait qu'elle s'approprie une part intéressante du marché, c'est à dire une part rentable.
L'ultra libéralisme ruine donc les états en les contraignants à accepter des importations qui ruinent les économies locales (cas des céréales pour de nombreux pays pauvres), il ruine les acteurs locaux de l'économie, et il ruine aussi l'espoir pour chacun de pouvoir entreprendre avec de bonnes chances de succès.
Il est donc paradoxal que tous ceux qui n'appartiennent pas à ce petit nombre de personnes et de structures extrêmement riches qui défendent l'ultra libéralisme ne luttent pas contre cette idéologie destructrice.
Il est paradoxal que le personnel politique d'un certain nombre de pays défende cette doctrine libérale : ils ont tout à y perdre en fin de compte, car ils se contentent d'abdiquer face aux forces de l'argent, puisqu'ils ne défendent pas en fin de compte certaines des libertés de leurs électeurs.
Il serait intéressant d'examiner la théorie ultra libérale sous cet angle :
S'il est vrai que la théorie ultra libérale a la prétention de s'exercer au nom d'un progrès pour tous,
S'il est démontré que mécaniquement son application aura des conséquences inverses a l'objectif affiché,
S'il est démontré que certaines de ces conséquences contreviennent à certaines chartes internationales, et notamment la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, par exemple en rendant de fait impossible l'exercice de certaines libertés,
Il est alors démontré que cette théorie ne doit pas s'appliquer, tout au moins dans une de ses formulations qui pourrait provoquer mécaniquement des conséquences qui seraient des contraventions aux chartes prépondérantes.
Car une grande constante, dans tous les exemples cités durant cette soirée, tient dans l'effet final des règles commerciales actuellement en vigueur (effet qui sera amplifié par les règles actuellement en projet) : réduction des revenus des plus faibles, les menant souvent à la faillite, cette réduction s'appliquant, dans toute catégorie considérée, aux plus faibles de cette catégorie.
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Que l'on considère la catégorie des états ou la catégorie des individus conduit de ce point de vue au même résultat.
La faillite économique est une situation de mort économique.
Peut-on accepter que des règles internationale de bonne conduite aient pour conséquence de réduire au rang de parias les plus faibles, et à terme la majorité d'entre nous ?
Depuis quelques temps une inquiétude se fait jour dans les milieux politiques et dans les médias : la désindustrialisation de la France est en cours, avec des conséquences graves.
Eh oui ?.
L'ultra libéralisme est à l'oeuvre.
Nous n'y échapperons pas !
jcm
Création de l'article : 11 septembre 2003
Dernière mise à jour : 11 septembre 2003
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> Cancon, impressions, réflexions.
12 septembre 2003, par
On s'imagine très facilement sur cette route pour un nouveau Monde, épié par cette puissance céleste.
Pour quelqu'un qui a écrit sans prendre aucune note, pas de souci du côté de la mémoire ; super !
En bas, à gauche, A.L.
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> Cancon, impressions, réflexions.
12 septembre 2003, par
Les questions que tu te poses en fin d'article sont abordées en détail dans le livre "L'illusion Néo-Libérale" de l'économiste René Passet. Bien sûr, ce n'est pas le seul livre à traiter de celà. D'ailleurs, il serait intéressant de confronter ces opinions à des ouvrages contre-argumentaires - si quelqu'un à des références à ce sujet, merci nous en faire part.
- Laurent
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