Bombay, ville ou bidonville ? |
Quand le laisser-faire tend au n'importe quoi... Témoignage
BOMBAY VILLE OU BIDONVILLE ?
Plus de la moitié de la population de Bombay - environ 16 millions d'habitants - vit dans des bidonvilles. L'afflux de la population rurale dans les grandes villes est un phénomène mondial et les villes indiennes n'y échappent pas. On dit que deux à trois cents nouveaux migrants arrivent à Bombay chaque jour. Le problème a atteint un tel niveau qu'il risque d'envahir toute la ville. Déjà, presque tous les espaces publiques, tels jardins ou trottoirs, terrains réservés au développement futur, y compris une grande partie d'un parc national à une trentaine de kilomètres de la ville, ont été "squattérisés".
Des maisons en toile ou plastique sont remplacées peu à peu par des maisons plus solides de briques et de ciment. Bombay a ainsi continué de grandir, plus ou moins au hasard, grâce à une administration lâche et corrompue. Toutefois, depuis quelques années, il y a un vrai mouvement pour sauver la ville de l'abîme où elle risque de s'effondrer si on ne fait rien pour arrêter cette détérioration. Les gens se sont rendus compte qu'il fallait abandonner leur apathie et réagir. Les bidonvilles sont partout, dans les quartiers riches et pauvres. On ne peut plus les ignorer. Il faut faire un effort si on veut arrêter la chute totale de cette ville devenue bidonville, considérée encore comme la capitale économique de l'Inde.
C'est ainsi que des ONG ont commencé à agir, soit en faveur de l'environnement (telle le "Bombay Environment Action Group" ou le BEAG) en essayant, par exemple, de faire partir des milliers de squatters (42.000 environ) du parc national "Sanjay Gandhi National Park" à Borivili, soit, en faveur des gens visés (telle le "Nivara Hakk Suraksha Samiti") qui exige des autorités une réhabilitation des gens obligés de quitter cette forêt. Le tribunal, consulté à ce sujet, a décidé que ceux qui pouvaient mettre une somme d'argent en dépôt pour un logement futur, seraient logés sur un autre site dans des logements subventionnés par l'Etat. Parmi les gens touchés, 13.000 ont payé le montant nécessaire avant l'expiration des délais accordés mais l'Etat doit encore leur trouver un terrain pour les loger. Les bidonvilles ont commencé à se répandre aussi sur les terrains qui longent les rails des trains de banlieue.
Et peu à peu, les maisons s'approchent des rails au point que les trains ne peuvent plus rouler à leur vitesse normale par peur de trop d'accidents. On comprend la gravité de la situation lorsqu'on sait qu'à Bombay, le train fonctionne comme le coeur de cette ville, sans lequel, la vie s'arrêterait, puisqu'il transporte presque quatre millions d'habitants par jour à leurs lieux de travail. C'est un moyen de transport plus ou moins efficace et rapide et malgré les dangers et les inconvénients de voyager dans un train bondé jusqu'à bord, les gens le préfèrent à d'autres moyens de transport, plus lents et plus chers.
Depuis quelques années, surtout à la suite d'agressions - jets de cailloux sur les passagers par les habitants des bidonvilles longeant les rails, provoquant dans certains cas de cécité ou des blessures plus ou moins graves - des organisations non-gouvernementales telles "Citizens for a Just Society" ont intenté des procès contre l'administration qui ne paraît pas prendre au sérieux ce problème auquel il faut trouver une solution. La Cour a décrété assez récemment que pour des raisons de sécurité des voyageurs, l'administration des trains de banlieue devait prendre des mesures pour vider les terrains longeant les rails jusqu'à une distance minimum de trente pieds (15 mètres environ). L'administration des trains de banlieue reporte la responsabilité vers le gouvernement de l'Etat qui doit lui fournir assez de policiers pour faire face aux milliers d'habitants de ces bidonvilles.
L'Etat, soucieux des votes lors des élections, trouve d'autres excuses - les maisons construites avant une certaine date ne peuvent être démolies, manque de terrains pour loger de nouveau ces gens, etc. De là, les lenteurs dans l'application des ordres du tribunal. Jockin Arputham, un simple habitant d'un bidonville des banlieues, inconnu jusqu'aujourd'hui, a reçu en 2002 le Prix Magsaysay, accordé chaque année à une ou deux personnalités ayant servi l'humanité d'une façon remarquable. Jockin a lutté pour les droits des pauvres qui viennent habiter dans des bidonvilles non par plaisir mais pour échapper à la faim, parce que Bombay peut leur garantir au moins un petit boulot. Sous l'égide de son organisation NSDF (National Slum Dwellers Federation), il a organisé les habitants des bidonvilles afin de réclamer des autorités des services de base pour maintenir un minimum d'hygiène dans les bidonvilles. Il a ainsi réussi à obtenir pour ces gens non seulement des toilettes mais souvent de l'eau, de l'électricité et des routes.
Et peu à peu, Jockin a convaincu les autorités de trouver d'autres emplacements pour les gens qui occupaient les trottoirs dans quelques quartiers de la ville, en leur offrant d'autres sites où ils ont payé eux-mêmes leurs nouveaux logements. Ainsi, dans les six derniers mois, 3000 familles ont quitté les trottoirs pour une meilleure vie et il y a encore des centaines qui seront ainsi réhabilités si, selon lui, les autorités tiennent leur parole de leur trouver d'autres terrains. Pour ce qui concerne le déplacement des gens logeant à côté des voies des chemins de fer, et afin d'éviter une situation risquant de mener aux émeutes, l'administration a demandé la collaboration de Jockin qui entretient des rapports très cordiaux avec les populations des bidonvilles dont il est membre.
Le NSDF (voir paragraphe ci-haut) et SPARC (Society for Promotion of Area Resource Centres), qui est son partenaire depuis 1985, travaillent ensemble pour trouver une solution à ce problème qui met en danger la vie de milliers de voyageurs, des habitants des bidonvilles et qui, en plus, empêche le développement futur du réseau ferroviaire urbain. Les habitants des bidonvilles situés à côté des rails, organisés depuis 1988 sous le RSDF (Railway Slum Dwellers Federation), ont fait preuve de leur bonne volonté en 1995 en déplaçant 700 familles le long des rails à Borivili, un banlieue lointain de Bombay. Ces familles ont accepté de déplacer leurs logements à une distance de 30 pieds des rails à condition que les autorités leur donnent des services de base (par exemple, de l'eau, des toilettes) pour leur quartier, du terrain à long terme et la permission de construire leurs maisons. Elles les ont obtenus! Et elles ont construit des maisons légalement avec leurs propres économies.
Ces petites économies ont été encouragées par Jockin par l'intermédiaire des femmes des bidonvilles qui, selon lui, composent l'élément essentiel à tout projet d'avancement. Dans sa propre organisation, il existe une cellule pour femmes, le "Mahila Milan" (centre où se regroupent les femmes) qui est très actif et qui décide de ce qui serait le plus avantageux pour la communauté.
Bombay, première ville commerciale de l'Inde jusqu'ici, perd de plus en plus son importance économique. D'autres villes indiennes, telles Hyderabad et Madras, commencent à monter rapidement à ce rang privilégié. Et la raison? La qualité de vie tout à fait minable dans la ville de Bombay - des routes saturées de voitures, la réduisant au rang de la ville la plus polluée de l'Inde actuellement, des routes rendues encore plus étroites par les foules qui les longent puisqu'il n'y a plus de trottoirs libres pour piétons. La politique actuelle rendra presqu'impossible tout effort pour améliorer cette situation. Le 25 janvier, la veille de la Jour de la République Indienne, Vilasrao Deshmukh annonce qu'une loi serait promulguée pour protéger tous les habitants des bidonville, même ceux qui se trouvent sur les trottoirs et les routes.
Le gouvernement promet de débloquer la situation peu à peu en logeant les habitants des bidonvilles dans des appartements subventionnés et en empêchant l'occupation des espaces libérés par de nouveaux migrants. Les ONG telles le BEAG qui travaillent depuis des années pour sauver la ville de Bombay n'y croient plus et réagissent d'amertume contre cette politique qui a légalisé l'occupation illégale de non seulement des trottoirs et des espaces réservés au développement futur de la ville, mais même du peu d'espaces verts dont bénéficiait cette ville surpeuplée. Ces organisations "éco" préféreraient que le gouvernement réfléchisse encore avant de passer la loi qui risque de prononcer la mort certaine de cette ville.
PATRICK IBAN
Création de l'article : 16 septembre 2003
Dernière mise à jour : 19 septembre 2003
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> Bombay, ville ou bidonville ?
20 septembre 2003, par
Je ne suis malheureusement pas persuadé que Bombay soit l'unique ville dans ce cas !
En bas, à gauche, A.L.
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