Le soya brésilien : avec ou sans OGM ?
Audience publique à la chambre des députés à Brasilia le mardi 7 octobre 2003.
1) La situation actuelle au Brésil.
Jusqu'à présent la culture en plein champ des plantes transgéniques n'a pas été autorisée au Brésil, grâce à une action en justice de l'IDEC (les consommateurs). Récemment il y a eu des décisions contradictoires de la justice fédérale autorisant les OGM, puis annulant la décision.
Bien que la culture de plantes transgéniques ne soit pas autorisée au Brésil, une grande partie du soya exporté est de fait pollué par du soya génétiquement modifié pour être résistant à un herbicide total (le plus souvent, le round up de Monsanto). On estime que dans le Rio Grande do Sul, frontalier avec l'Argentine où les OGM sont autorisés, 80 % de la récolte est pollué à plus de 5 % (on ne sait pas quantifier au-delà). Dans le reste du Brésil, on peut estimer que 20 à 30% du soya est pollué à 2 - 3 % (au-dessus du seuil déterminant de 0,9 %). A signaler l'Etat du Parana, gros producteur de soya, volontairement non OGM. C'est d'ailleurs la grosse coopérative du Parana, la COAMO, qui fournit en soya tracé non OGM des coopératives des Pays de Loire (voir ci-dessous).
Comme la production de soya transgénique n'est pas isolée, collectée et transformée dans une filière séparée, c'est l'ensemble de la production brésilenne qui est réputée transgénique, à l'exception de quelques filières tracées non OGM, mais qui ont à supporter le surcoût de cette traçabilité.
70 % du soya brésilien est exporté vers l'Europe, le Japon et la Chine.
2) Les importations françaises.
La France importe annuellement environ 4 500 000 tonnes de soya brésilien. Certains producteurs agricoles et leurs coopératives ont fait le choix de produire sans OGM. C'est aussi le choix fait par le distributeur Carrefour pour les produits vendus sous la marque du distributeur.
Il résulte de cela que pour 2003 on peut estimer que les achats de soya non transgénique au Brésil s'élèveront à :
300 000 tonnes de soya tracé non OGM, importés par un groupe de coopératives des Pays de Loire : TERRENA (CAVAL + CANA), CAVAC, UNION SET, ALIFEL, soit un bateau de 35 à 40 000 tonnes toutes les 6 semaines.
300 000 tonnes également de soya tracé non OGM pour un groupe d'opérateurs regroupés autour du distributeur Carrefour.
1 500 000 tonnes de soya non tracé mais déclaré non OGM au résultat d'analyse PCR, et vendu comme tel.
A cela, il faut ajouter un petit tonnage de soya biologique, donc certifié non OGM, et à forte valeur ajoutée.
Au total, c'est près de la moitié du soya brésilien acheté en France qui est écoulé comme étant non OGM.
3) Quelle évolution prévisible en France et Europe ?
En France, la production de certaines variétés transgéniques de maïs est autorisée depuis 1998. Ensuite, l'Europe a appliqué un moratoire de fait avant toute nouvelle autorisation de variétés ou d'espèces. En réalité, les producteurs français n'ont pas cultivé les plantes OGM en raison du climat général d'hostilité des consommateurs vis-à-vis des OGM. Même si l'Europe levait son moratoire, l'attitude des consommateurs ne changera pas (il pourrait même y avoir un réveil de l'opinion en réaction à une décision contraire à son attente). Par conséquent il ne faut pas s'attendre à un développement des cultures transgéniques en France et plus généralement en Europe (sauf Espagne ?).
Actuellement les consommateurs demandent que l'étiquetage soit étendu aux produits (lait et dérivés, viande, ¦ufs, ... ) issus d'animaux nourris avec des plantes OGM. Après l'épisode en Europe de la maladie de la vache folle attribuée aux farines de viandes utilisées dans l'alimentation animale pendant des décennies avec la caution des scientifiques, les consommateurs sont devenus méfiants. Le lobby des consommateurs a acquis du poids auprès des politiques. Il va de soi que si les consommateurs obtiennent gain de cause sur l'étiquetage, les coopératives de production animale ne prendront plus le risque d'acheter des aliments transgéniques par crainte de perdre leurs débouchés.
Les multiples actions d'arrachage de maïs, ou colza, dans des parcelles expérimentales montrent la détermination d'une partie de la population contre les risques de dissémination de pollen transgénique. Pendant l'emprisonnement de José Bové, ces actions ont redoublé. Il y a aussi une forte mobilisation des agriculteurs biologiques qui ont pris conscience qu'il n'y a pas cohabitation possible sur un même territoire pour des cultures transgéniques et des cultures biologiques. Il y a aussi tous les producteurs conventionnels qui veulent garantir des aliments non OGM et qui redoutent les contaminations. Un débat a lieu en France pour savoir qui sera tenu pour responsable en cas de telles contaminations. C'est pour éviter de tels conflits au niveau de leur territoire que près de 2000 communes ont pris un arrêté en France pour interdire toute culture OGM en plein champ.
4) Les conséquences du choix brésilien.
Il est vrai qu'au Brésil la possibilité de recourir à des variétés transgéniques résistantes à un herbicide total représente un attrait, en particulier pour les très grandes exploitations, des tailles d'exploitation inconnues en France (10 000 ha et plus). Disons que c'est une solution de facilité (une pulvérisation de désherbant total avant le semis, une autre après la levée pour avoir une culture "propre"), mais de court terme avant l'apparition d'adventices résistantes. Nous n'avons pas non plus le recul suffisant pour connaître les éventuels effets secondaires sur les animaux et les hommes qui consommeront les plantes tolérantes à l'herbicide dans leurs tissus. Mais, en cas de problème rencontré, le retour en arrière sera difficile voire impossible.
Le risque le plus grand à court terme pour le Brésil est la perte de débouchés à l'export. Il y aura en Europe, au moins à court terme, une demande soutenue pour du soya non OGM, même s'il coûte un peu plus cher. Actuellement c'est le Brésil qui répond à cette demande, la production métropolitaine étant bien insuffisante et les principaux concurrents, USA et Argentine ayant fait le choix des OGM. Si demain le Brésil les autorise, les cultures OGM s'étendront encore davantage et seules quelques filières avec traçabilité pourront offrir du soya non OGM, avec toujours le risque d'être contaminé au champ, ou pendant le transport ou la trituration.. Il est alors possible que les opérateurs français et européens se tournent vers d'autres zones de production ou même vers les USA s'ils sont plus capables de mieux garantir une filière tracée sans OGM.
Enfin, au Brésil, comme en Europe ou ailleurs, il ne sera vraisemblablement pas possible de faire cohabiter les cultures transgéniques avec une agriculture familiale voulant garantir aux consommateurs des produits de qualité sans OGM ou des produits biologiques.
En conclusion, le choix qui s'offre aujourd'hui au Brésil d'être un grand pays agro-exportateur sans OGM lui donne l'opportunité de consolider sa place de partenaire commercial privilégié pour l'Europe, et pour d'autres pays développés comme le Japon, tout en donnant satisfaction à ses consommateurs nationaux. La production de soya non OGM lui donne un avantage comparatif par rapport a ses concurrents que sont l'Argentine et les USA. Le choix inverse de banaliser les OGM, outre le mécontentement des consommateurs, est doublement risqué : à court terme des pertes de débouchés, à plus long terme des risques pour l'environnement et pour la santé lié à la dissémination des OGM et pour lesquels nous n'avons pas le recul suffisant.
5) Le contexte de la journée du 7 octobre.
En mars 2003, le président Lula a pris une mesure provisoire pour autoriser la vente de la récolte de soya 2002-2003, transgénique alors que les OGM étaient interdits, à l'export plutôt que sur le marché interne vu les réticences des consommateurs brésiliens. C'était vendre ou ordonner la destruction de la récolte. Mais il était annoncé que la prochaine récolte devrait être non transgénique. Octobre : c'est la période des semis pour la récolte 2003-2004. Les manifestations pro-OGM des grands propriétaires se sont multipliées, notamment au Rio Grande do Sul. A l'opposé des milliers de paysans campent à Brasilia pour dire non aux OGM. Le gouvernement est divisé. Les ministères de l'agriculture (celui des agro-exportateurs) et le ministère de la Recherche sont pour ; les ministères de la réforme agraire (et agriculture familiale) et celui de l'environnement sont contre. La ministre de l'Environnement, Marina Silva, menace de démissionner.
Le 25 septembre dernier, en l'absence du président Lula en voyage à l'étranger, le Vice Président José Alencar a signé une nouvelle mesure provisoire pour autoriser la culture des plantes transgéniques pour la prochaine année.
C'est dans ce contexte très mouvant, et très chaud vu les nombreuses manifestations, que se tient à Brasilia l'audience publique à l'assemblée des députés. Les ministères de la réforme agraire et de l'environnement sont à l'origine de l'organisation de cette journée du 7 octobre, initialement prévue le 30 septembre, pour que le débat ait lieu au grand jour.
Les organisateurs de l'audience publique ont sollicité l'intervention de scientifiques français, d'un représentant des coopératives de l'Ouest et d'un député européen. Difficile de trouver dans un délai court des intervenants disponibles et c'est la raison pour laquelle il n'y aura pas de député européen, seulement un écrit de Paul Lannoye, député vert belge au parlement européen. Nous serons 3 pour essayer de convaincre : Jacques Testard comme scientifique, Frédéric Prat comme expert, et moi en tant que président de Cohérence en remplacement des coopératives qui précisément à cette date reçoivent en France la COAMO du Parana pour mettre en place le partenariat pour du soya non OGM.
Jean-Yves Griot