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Super et hypermarchés : la mondialisation près de chez nous...

Le modèle de la grande distribution française...

Moderne et performante à l'origine, la grande distribution française n'a pas tardé à dévier vers un système extrêmement pervers. De dérapages en excès, de dérives en abus, de corruptions en pratiques condamnables, les maîtres de la grande distribution se seraient-ils progressivement éloignés de l'esprit généreux qui semblait les animer à l'origine ? Jouissant de quasi-monopoles, les supermarchés et hypermarchés engrangent aujourd'hui des bénéfices colossaux, au détriment du consommateur, en ruinant leurs fournisseurs, agriculteurs et entreprises, qui sont aussi nos employeurs. Une visite dans l'arrière boutique de ce monde, finalement méconnu, permet de découvrir que, si l'endroit vaut le déplacement, l'envers mérite lui plus d'un détour…

Les concentrations dans la grande distribution française ont abouti à la formation d'un véritable oligopole. Aujourd'hui cinq centrales d'achats contrôlent 90% des biens de grande consommation. Elles fixent les prix dans un contexte ruinant à la fois leurs fournisseurs (entreprises et agriculteurs) et les citoyens-consommateurs. L'augmentation continue du taux de marge arrière a un impact désastreux sur les entreprises qui, peu à peu, sont privées de leurs moyens d'investir, d'entretenir des services de recherche et de développement et sont poussées à recourir à des délocalisations massives qui ne sont motivées ni par des exigences de leurs actionnaires, ni par la main invisible du marché, mais bien par des pratiques qui ne sont pas sans rappeler celles de certaines organisations… peu recommandables. On connaît l'impact du développement de la grande distribution sur le tissu commercial de proximité : désertification des villes et des villages , source de sentiment d'insécurité et entraînant la destruction du lien social. Il est aujourd'hui clairement établi qu'un emploi créé en grande surface (le plus souvent précaire et à temps partiel non choisi) conduit à la destruction de cinq emplois (stables et durables) ailleurs. Le lien entre ces pratiques et le sort réservé au monde agricole n'est que trop rarement fait par les médias qui sont avant tout des supports, repus de la publicité de la grande distribution, premier annonceur national. La recherche de prix comprimés, permettant de dégager le maximum de marge pour le distributeur, favorise une agriculture toujours plus productiviste et toujours plus intensive. La France, pays de tradition rurale et agricole, a perdu 200 000 exploitations agricoles en cinq ans. Dans le même temps, grâce à la PAC (Politique Agricole Commune), les subventions généreusement distribuées à l'agriculture productiviste, intensive et polluante ont augmenté de plus de 31%. Plans sociaux, licenciements massifs, artifices en tous genres (formations, stages en alternance, emplois-jeunes, associatifs) destinés à maquiller la réalité de la situation de l'emploi, sont autant de conséquences qui ne sont pas mises à la charge de ceux qui en sont la cause. Le consommateur, en tant que contribuable, doit assumer les coûts sociaux que les pratiques de la grande distribution française laissent à la charge de la collectivité.

Ces grands réseaux ont anéanti le commerce de proximité, ruiné l'artisanat, écrasé l'agriculture à taille humaine, désertifié les campagnes, poussé l'industrie à délocaliser et favorisé les importations massives entraînant chômage, misère et précarité. La concurrence disparaît et le choix du consommateur se restreint au fur et à mesure que de nouvelles concentrations s'opèrent.

Au plan social, l'accroissement incessant du nombre des non cotisants ( salariés, entreprises, paysans ) conduit aujourd'hui à la remise en cause des systèmes de protection sociale. Pourtant le processus de destruction économique s'amplifie et s'accélère encore. Tous les secteurs , tous les rouages de l'économie intéressent la grande distribution. Sans limite, sans exclusive, pourvu qu'ils soient générateurs de gains de productivité, un terme pudique derrière lequel se cache une volonté inavouée mais bien réelle : celle de rationaliser, limiter les recrutements, contenir l'évolution des salaires, se séparer des plus anciens, des mieux payés, des trop bien payés, licencier, dégraisser… pour réaliser des profits encore plus importants.

Ces richissimes grands réseaux français, qui ont fait la fortune de leurs créateurs et de leurs actionnaires, partent aujourd'hui, avec les mêmes méthodes mais avec des moyens décuplés, à la conquête de l'Europe, des Pays de l'Est, de l'Amérique du Sud, de l'Asie du Sud-Est et même de la Chine. Il manque un sixième continent pour satisfaire les ambitions de ces nouveaux maîtres du monde.

Au pays de José Bové et de Paul Bocuse, on aime fustiger Mac Do, symbole du non goût, normalisé et aseptisé. On s'indigne volontiers, un verre de Coca à la main, des conséquences de la mondialisation néolibérale que nous imposent les transnationales américaines. Puis, dissociant parfaitement le consommateur du citoyen qui sommeille en nous, on se lève comme un seul homme pour aller pousser le chariot dans les travées de ces temples de la consommation que sont nos grandes surfaces préférées.

Certains veulent encore croire que les méfaits de la grande distribution n'ont pas leur place ici, qu'il s'agit d'un combat poujadiste opposant le petit commerce au grand commerce.

Le modèle de la grande distribution française, fleuron de l'ultra capitalisme débridé, nous donne pourtant le meilleur des exemples de ce que peut être « la mondialisation près de chez nous ». Tout y est : captation des richesses, non redistribution, concentration du pouvoir, destruction du tissu économique et social, promotion d'une agriculture déshumanisée et productiviste, destructrice pour la ruralité et l'environnement, délocalisation de la production dans des pays socialement moins disant, exploitation des travailleurs et des enfants dans le Tiers monde, exportation de ces machines destructrices dans des pays dépourvus de protection sociale…

Le modèle de la grande distribution française est un véritable concentré de ce que peut être le capitalisme débridé tel que le rêvent les promoteurs du néolibéralisme mondialisé. Il est vain de vouloir s'opposer au néolibéralisme et à ses conséquences si de telles machines à produire de la misère et de la précarité ne sont pas combattues avec énergie et efficacité.

Christian JACQUIAU

Pour en savoir plus :

-  « Producteurs étranglés, consommateurs abusés - Racket dans la grande distribution française » - Le Monde Diplomatique - décembre 2002
-  Les coulisses de la grande distribution - Christian Jacquiau - Albin Michel - 2000 (sixième réimpression février 2003)
-  Attac : Grain de sable n° 408 du 11 mars 2003 : http://attac.org/attacinfo/attacinfo408.pdf
-  site de capitaclysme.org
-  contact : ( )
-  et bientôt... un quatre pages publié par Attac sur ce sujet

Des conférences sur ce sujet au Larzac !

-  samedi 9 aout : de 11h à 12h30 - organisée par Attac,
-  samedi 9 aout : après-midi, organisée par les associations Minga et Andines,
-  organisée par la Confédération Paysanne : dimanche 10 aout à 10 h. ( pensez à vérifier les horaires et lieux sur le planning général de la manifestation ).

avec...

-  Christian Jacquiau ( ) : Economiste - Expert-Comptable diplomé - Commissaire aux comptes - auteur du livre " Les coulisses de a grande distribution " (Albin Michel) - membre d'Attac.

-  François Laporte ( ) : Ingénieur agronome - Conseil et réalisations en communication (Les Arts Messagers) - Président du comité Attac de Périgueux (24)

Christian Jacquiau, 4 août 2003