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OGM : des scientifiques sortent du champ ?
Tous les scientifiques ne sont pas d'accord sur les destructions de cultures OGM en plein champ. Certains semblent demander au gouvernement des mesures coercitives plus draconiennes. Ils sortent sans hésiter du champ de la science, vers quoi ? Plus de 1 500 chercheurs français ont publié, jeudi 18 septembre 2003, une pétition dénonçant les destructions d'essais de plantes transgéniques, en réaction aux 19 fauchages réalisés cet été. Le texte de cette pétition dit de ces essais en plein champ : "Ils ont reçu toutes les autorisations nécessaires et sont réalisés dans des conditions qui ne font courir aucun risque ni à l'homme ni à l'environnement". On sait que les scientifiques évoluent aux confins du connu et qu'ils ont généralement horreur d'affirmer imprudemment. Ils émaillent volontiers leurs propos de "dans l'état actuel des connaissances" et autres formules de précautions qui réfèrent au questionnement qui caractérise une attitude de chercheur : toujours laisser une place à cet inconnu que l'on côtoie quotidiennement et dont on ne connaît pas les limites. Un scientifique n'affirme que dans le cas où la certitude est absolue : il affirme donc assez rarement. En Juin dernier une autre pétition avait été signée par d'autres scientifiques, en soutien à José Bové, qui disait des destructions de cultures d'OGM : "...ces actions peuvent être considérées comme la mise en application du principe de précaution". Cette pétition avait recueilli les signatures d'environ 700 scientifiques. Il y aurait donc deux points de vue contradictoires de la science sur cette question ? Il n'y aurait pas de certitude absolue ? En considérant seulement la formulation de la phrase de la pétition du 18 septembre nous constaterons qu'elle est typique d'une opération de communication : elle affirme, afin de marquer une certitude, afin d'entraîner l'adhésion. Et toute personne qui ne saurait rien du débat en cours sur ces essais en plein champ serait tenté d'adhérer sans hésitation : des scientifiques affirment. Des scientifiques qui, s'ils s'en étaient tenus à une formulation qui n'accepte aucune transgression pour mériter le qualificatif de "scientifique", auraient dit : "... sont réalisés dans des conditions qui ne font courir aucun risque CONNU ni à l'homme ni à l'environnement". "Connu" ou "identifié" ou "répertorié" : les termes de prudence ne manquent pas. Il est dommage que de grandes personnalités de la science, comme les Prix Nobel Jean-Marie Lehn et Pierre-Gilles de Gennes, le généticien Axel Kahn, l'anthropologue Yves Coppens et bien d'autres, se soient laissées aller à signer un texte formulé de cette façon, car ils n'ont pas manifesté ici cette suspicion légitime qui doit constituer la règle de la science lorsque l'on considère un phénomène qui n'a pas été démontré (ce qui exige que la démonstration ait été reconnue valide par la majorité de la communauté scientifique ayant travaillé sur ce sujet). Or il n'a pas été démontré que ces essais en plein champ "ne font courir aucun risque". Certes il est probablement impossible d'établir une telle démonstration : alors il n'y a aucune certitude, et donc demeure une potentialité de risques, mais un inventaire des risques et des évaluations de leur ampleur sont possibles et n'ont pas été faits. Par cette formulation les signataires de la pétition du 18 septembre 2003 sont sortis du champ de la science pour intervenir dans celui de la communication. Ce qui gêne est qu'ils l'ont fait en qualité de scientifiques, donnant ainsi une image inappropriée de la science. Certes avoir écrit " aucun risque CONNU ni à l'homme ni à l'environnement" aurait indiqué au "grand public" qu'il demeure une part d'incertitude, et l'objectif de cette pétition est de rassembler le grand public contre les fauchages d'essais en plein champ. Le "grand public" est-il prêt à supporter cette part d'incertitude ? Visiblement non, car il sent qu'elle concerne des atteintes potentiellement graves et de toutes façons irréversibles à l'environnement : on ne récupérera pas un gène qui se sera échappé dans "la nature" et dont la présence ne sera pas souhaitable. Les auteurs de la pétition du 18 septembre 2003 le savent bien. C'est pourquoi ils ont tout fait pour rallier des signature prestigieuses à leur texte : cela impressionne. Mais les termes du texte impressionnent également : cette certitude affirmée qu'il n'existe aucun risque inquiète au plus haut point de la part de personnes qui sont supposées nous fournir, à nous le "grand public" l'état de la "vérité des choses" à un moment donné sur un sujet donné. Sortis du champ de la science ces signataires de la pétition du 18 septembre 2003 n'ont pas réalisé une opération de communication réussie : ils ne convainquent pas l'ensemble du "grand public" et j'en suis l'illustration. Ils savaient bien qu'il en serait ainsi et, afin de gagner du temps, ils concluent leur pétition par un appel au durcissement : "Nous demandons au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour permettre à la recherche végétale de remplir normalement ses missions.". Ile reconnaissent d'emblée que cette tentative de convaincre sera vaine et demandent que soient prises des mesures qui sortent du champ du discours (des CRS autour des essais d'OGM ?). C'est la force qu'ils requièrent, l'escalade. Pour appuyer cette pétition du 18 septembre 2003 M Alain Toppan, de Limagrain Biogemma, n'a-t-il pas dit : "Il y a un moment où il faut dire que ça suffit !)". Il y aurait bien, pourtant, une autre façon d'aborder le problème. Il faudrait que le travail scientifique soit réalisé de façon complète, comme on s'imagine que ce devrait être systématiquement le cas, et que des recherches sérieuses et approfondies soient conduites afin d'explorer le domaine des risques pour l'homme et pour l'environnement : identifier les risques potentiels et évaluer leur amplitude. A partir de ces résultats il serait peut-être possible de convaincre le "grand public" de quelque chose. Le problème est que ces travaux supplémentaires sont difficiles, coûteux et longs : les multinationales semencières n'ont aucune autre envie que celle de dégager des profits, et les seules recherches qu'elles réalisent sont orientées dans cette voie. Pas dans celle de la prudence. Alors, messieurs Lehn, De Gennes, Kahn, Coppens et vous tous qui avez signé cette pétition du 18 septembre, que souhaitez-vous ? Que s'intensifie une guerre d'escarmouches qui, à ce jour et c'est heureux, n'a pas eu de conséquences tragiques ? Qu'un régime beaucoup plus dur de rapport de force vienne occulter encore plus le débat sur les OGM ? Vous savez que l'histoire tend à montrer que ce n'est jamais une bonne solution, et n'imaginez pas que le fait que vous haussiez la voix fera taire celle des opposants.
jcm, 22 septembre 2003
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