Par Jean-Claude Lefort, mars 2003
L’AGCS - Accord général sur le commerce et les services - est l’un des nombreux accords inclus dans un système de libéralisation plus vaste développé par l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Un accord dogmatiquement libéral
Cet accord est basé sur un véritable dogme que rien ne vérifie témoignant d’une soumission-dévotion au libéralisme. Ainsi que spécifié dans le Préambule de l’accord lui-même, ratifié ou accepté par tous les états membres de l’OMC, il s’agit « d’obtenir sans tarder une élévation progressive des niveaux de libéralisation du commerce des services par des séries de négociations multilatérales successives ». Pourquoi ? Parce que cette libéralisation est le « moyen de promouvoir la croissance économique de tous les partenaires commerciaux et le développement des pays en développement ».
La messe est ainsi dite et le dogme affiché d’emblée sans le moindre début de commencement de preuve : hors la libéralisation, pas de croissance, pas de salut !
Cette affirmation est tellement formelle et surtout totalement contredite par les réalités engendrées par la libéralisation à outrance de toute la planète, sous tous ses aspects, qu’il avait été admis avant Seattle qu’il serait procédé à un bilan de cette course à la mondialisation libérale impulsée par l’OMC, et ceci avant d’engager tout nouveau cycle de négociation.
À l’exception notable et scandaleux de tout engagement conclu qui peut avoir une considération sociale (comme la situation la fabrication et l’exportation des médicaments essentiels qui n’est toujours pas été réglée malgré l’engagement « formel » pris à Doha de le faire avant le 31 décembre dernier), les engagements pris par et au sein de l’OMC sont généralement non seulement tenus mais fermement imposés.
À l’inverse, et contrairement aux engagements pris, rien de tel n’a été fait ou exigé pour établir le « bilan » de cette libéralisation sensée nous apporter un progrès sans rivages. Et pour cause sans aucun doute : les faits sont là, terribles, sous nos yeux. C’est d’ailleurs un premier point à faire valoir hautement : pas de nouvel accord OMC sans bilan des accords précédents !
Une nouvelle négociation AGCS
Les négociations sur les services duraient depuis déjà près deux ans avant la quatrième Conférence ministérielle de Doha (fin novembre 2001). Mais, cela n’allant sans doute pas assez vite pour les plus puissants, il a été décidé, en cette circonstance que ces négociations devaient désormais être incorporées dans le programme de travail décidé dans la capitale du Qatar. Il s’agit donc de forcer le pas, et c’est ainsi que des dates fermes ont été alors fixées (respectées, elles) visant boucler un accord total et unique pour le 1er janvier 2005. Cette négociation doit connaître plusieurs phases précises : une première, appelée phase dite des « demandes » (chaque pays fait savoir aux autres états membres de l’OMC les secteurs qu’ils souhaitent que ceux-ci ouvrent à la libéralisation), se terminant le 30 juin 2002 ; une seconde, dite des « offres » (chaque pays fait savoir aux autres ce qu’il propose d’ouvrir, chez lui, à la libéralisation), devant se terminer le 31 mars 2003. Ensuite de quoi, les négociations s’engageront entre les « demandes » des uns et les « offres » des autres, et un premier bilan sera établi à Cancun, au Mexique, du 10 au 14 mai 2003.
Les services, c’est quoi ?
C’est tout d’abord un marché colossal et en pleine expansion, un marché capté naturellement par quelques firmes multinationales.
Un marché colossal : selon les statistiques de l’OMC elle-même, en l’an 2000, le commerce des services représentait un montant total de 1 400 milliards de dollars, soit 22% du montant représenté par celui du commerce des marchandises (6 200 milliards).
Un marché accaparé par les « gros » : sur ce total de 1 400 milliards de dollars, 577 étaient captés par l’Union européenne, 275 par les Etats-Unis, 68 par le Japon et 37 par le Canada (source OMC) !
Qu’entend-on, selon l’OMC, par « services » ? Tous les « services, de tous les secteurs, à l’exception des services fournis dans l’exercice du pouvoir gouvernemental » lesquels sont définis comme « des services qui ne sont ni fournis sur une base commerciale ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services ».
On notera qu’il ne s’agit absolument pas là de la notion de « service public » mais plutôt de ce que nous appelons en France les services régaliens (justice, police, armée). En France, car aux Etats-Unis ces services d’état sont quasiment tous privatisés (inclus l’armée - voir la revue Diplomatie, numéro 1). L’AGCS ne reconnaît tout simplement pas la notion de service public. Logique : le libéralisme est roi. De sorte que dans la liste officielle établie pour la négociation vers la privatisation, on trouve les « services audiovisuels », les « services postaux », les « télécommunications », les « services d’éducation », les « services relatifs à l’énergie », les « services concernant l’environnement », les « services de transport », etc. (source OMC, www.wto.org/french :tratop_f/serv_sectors_f.htm). Et si se montre encore plus curieux, on trouvera aussi dans la liste : les « services médicaux et dentaires », les « maternités », les « services recherche et développement », les « services hospitaliers », les « services sociaux », les « services culturels et récréatifs », « tous les services relatifs à l’assurance vie, accident, maladie » (source OMC - MTM.GNS/W/120).
Un accord contraignant et irréversible
Il est de fait courant et constant de considérer que tout accord, dès lors qu’il est ratifié, est contraignant pour le (les) pays qui signe(nt). Mais pour l’OMC ce n’est pas suffisant. Aussi cet accord AGCS se montre encore plus impératif et coercitif, et ceci sur trois plans.
Il consacre un principe absolument a-démocratique en ce qu’il considère qu’une fois l’accord adopté, il devient irréversible. Autrement dit, avec l’AGCS, on ne peut pas revenir en arrière et se défaire ou renégocier telle ou telle clause, sauf à dédommager tous les autres états membres ! Demandez au gouverneur de Californie qui, devant les désordres et hausse de prix provoqués par la privatisation, a voulu « re-nationaliser » la production électrique dans son état. Impossible de payer !
En second lieu, il pose comme condition absolue le fait que cet accord doit s’appliquer du sommet de l’état à la base (à la plus petite commune de France, par exemple). Le texte stipule que les mesures adoptées s’entendent par les mesures prises par « les gouvernements et administrations centraux, régionaux ou locaux ». Et l’accord en rajoute « une couche » qui prévoit que « chaque membre prendra les mesures (...) pour que son territoire, les gouvernements et administrations régionaux et locaux » ainsi que, tenez-vous bien, « les organismes non gouvernementaux » les respectent. Pour ce faire, la mise en place de tribunaux spéciaux est froidement mais clairement envisagée. Ainsi « chaque membre maintiendra ou instituera aussitôt que possible, des tribunaux ou procédures judiciaires, arbitraux ou administratifs qui permettront (...) de prendre des mesures coercitives appropriées ».
Enfin, l’AGCS pose comme principe général la notion de « traitement de la nation la plus favorisée ». Ce qu’il faut entendre par là ? Cela veut dire que « une fois qu’une société étrangère a été autorisée à fournir un service dans un pays, elle ne peut faire l’objet d’aucune discrimination entre elle et les sociétés locales », c’est-à-dire quelle doit bénéficier des mêmes droits ou avantages que la société nationale avec laquelle elle entre directement en concurrence.
Le commissaire européen et son mandat
Ces négociations commerciales extrêmement importantes et lourdes de conséquences ne sont pas, s’agissant de l’Union européenne, menée par chaque pays de l’Union.
C’est le commissaire Lamy qui, au nom des 15, négocie après que les états membres se soient (théoriquement) mis d’accord sur son mandat. On peut même dire qu’il négocie au nom des 25 que nous serons prochainement car les nouveaux entrants doivent accepter l’acquis communautaire tandis qu’ils ne sont pas partie prenante dans la définition du mandat.
Si l’adverbe « théoriquement » a été ajouté plus haut, c’est tout simplement que les choses ne sont pas si simples. En effet, le mandat initial a été élaboré en 1999, dans la perspective de Seattle. Mais depuis il y a eu l’accord de Doha. Et puis le traité de Nice a désormais force de loi. Or ce traité de Nice a changé l’article 133 du traité de Maastricht. La différence ? Avant Nice le mandat du commissaire chargé des relations économiques extérieures supposait l’unanimité des états membres, sauf pour l’agriculture. Désormais c’est la « majorité qualifiée » qui est de règle principale. De sorte que rendant compte de l’exécution de son mandat, il n’est plus soumis aux mêmes conditions. C’est si vrai que trois ministres français (de Villepin, Loos et Aillagon) ont produit tout récemment un communiqué par le quel ils indiquent que pour la France, en matière culturelle et audiovisuelle, l’article 133 procède toujours de l’unanimité. Pour la France... mais donc pas pour les autres. Il y a hiatus incontestable et un risque considérable, aussi pour la santé et l’éducation.
Pour la suspension des négociations AGCS
Comme si tout cela ne suffisait pas, toutes ces négociations se font dans la plus stricte confidentialité, dans la plus totale opacité. Exactement comme pour l’AMI dont elles sont en vérité une resucée. Les parlements (nationaux et européen) sont totalement hors circuit bien qu’ils demandent de savoir, de débattre et de trancher. Rien de tout cela n’existe. Au contraire : M. Lamy revendique le droit au secret... Ce n’est pas acceptable. Il s’agit de notre avenir et de celui de la planète qui est en jeu, la marchandisation de toutes les activités humaines. Les services publics sont spécialement dans le collimateur.
C’est pourquoi il convient que monte avec encore plus de force l’exigence d’un arrêt de ce jeu de massacre qui se fait dans le dos mais sur le dos des peuples.
C’est l’affaire des parlementaires. Et ils font (aussi bien au Parlement français qu’européen). C’est aussi l’affaire de tous les élus à tous les niveaux de notre architecture institutionnelle, depuis la région jusqu’à la plus petite commune. Des signatures personnelles () au bas de l’appel à la suspension se multiplient en France et en Europe. Des résolutions sont votées par des assemblées communales proclamant que leur ville se déclare « hors AGCS ». C’est vrai en France mais aussi ailleurs, spécialement au Canada. Et puis c’est l’affaire des ONG, visées directement. Plus largement c’est celle des salariés et des défenseurs des services publics et d’une autre mondialisation.
C’est l’affaire du Parti communiste français qui doit être à la pointe de ce combat, internationaliste s’il en est. Nous ne voulons pas seulement une France meilleure à vivre, c’est le monde entier que nous voulons meilleur. Il en a bien besoin. Mais il y a urgence !
Jean-Claude Lefort, député du Val-de-Marne
IRE
Création de l'article : 16 décembre 2003
Dernière mise à jour : 16 décembre 2003
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