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Le club des beaux et des riches |
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L’histoire des soldats bulgares tués en Irak nous a été racontée comme s’ils avaient été frappés par le destin, de façon subite et injuste. Certes, c’est dramatique et terrifiant. Mais ce sont des soldats, des gens qui sont partis dans un pays étranger, l’arme au poing, pour tuer s’il le fallait. Par définition, le danger d’être tué existe. Et ils l’ont accepté.
L’histoire des soldats bulgares tués en Irak nous a été racontée comme s’ils avaient été frappés par le destin, de façon subite et injuste. Certes, c’est dramatique et terrifiant. Mais ce sont des soldats, des gens qui sont partis dans un pays étranger, l’arme au poing, pour tuer s’il le fallait. Par définition, le danger d’être tué existe. Et ils l’ont accepté. Je ne dis pas cela pour enlever de l’importance à la tragédie, surtout pour les familles. Mais il me semble que, s’il y a des reproches à faire, ce n’est pas tellement aux autorités, mais à la société tout entière.
Premièrement, notre société n’a pas intégré le réflexe de haine des terroristes. Ceux-ci figurent dans la conscience sociale comme les personnages lointains d’une série télévisée. Or ce sont nos véritables et terribles ennemis (même si pour l’instant ils sont faibles), qui veulent détruire notre civilisation, qui nous détestent de toutes les forces de leur âme, qui menacent réellement la vie de chacun de nous.
Deuxièmement, nous, Bulgares, nous ne comprenons pas tout à fait ce que signifie notre adhésion à l’OTAN. C’est une organisation militaire très puissante, impitoyable, qui défend une partie bien précise du monde : les pays riches, le "milliard en or". Désormais, nos intérêts sont là. Nous ne sommes pas de simples observateurs, dans cette histoire. Nous avons choisi ce club : celui des beaux et des riches. Nous avons même insisté pour y aller. Ne faisons donc pas les innocents !
Y a-t-il eu un seul d’entre nous qui ait osé se lever et dire : "Non, chers compatriotes, adhérons plutôt au tiers-monde" ? Je n’en ai pas le souvenir. Notre société se retrouve ainsi face à un problème moral : aux yeux des cinq milliards d’ Homo sapiens non en or, l’Occident est arrogant, hautain, impitoyable, agressif. En général - nous le savons par expérience -, le rassasié ne croit pas l’affamé et il n’est pas possible que l’affamé l’aime. Désormais, notre conscience devra toujours faire des compromis.
Nous ne sommes pas dans une situation où nous pourrions dire : "Adhérons d’abord [à l’OTAN], après on verra." On ne verra rien du tout. "Après", il y aura des tirs, la victoire du plus fort, de la violence. Il n’y aura aucune possibilité de nuancer, de prendre ses distances. Par conséquent, il faut être très actif dans la discussion avant, et il faut chercher sérieusement des alternatives.
En ce qui concerne notre position en Irak, tout serait totalement différent si nous agissions au nom de l’humanité, si nous étions des soldats de l’ONU. Mais il se trouve que nous avons soutenu les Etats-Unis, qui s’imaginent (une illusion qui coûtera de plus en plus cher) qu’ils peuvent vaincre ou endiguer le terrorisme seuls, et uniquement par la force.
Ces idées sont fausses. Exactement de la même manière, pendant la guerre froide, nombre d’hommes politiques occidentaux s’imaginaient pouvoir remporter la victoire par la force. Or l’URSS a été vaincue économiquement et idéologiquement, et non militairement. Elle a périclité en quelques jours avec toutes ses bombes atomiques, capables de détruire l’ennemi vingt et quelques fois, tout simplement parce qu’elle avait perdu la bataille économique et surtout celle des idées.
Il en va de même pour la guerre contre les terroristes. La victoire militaire n’est qu’une illusion, alimentée par une poignée de généraux paniqués. Une victoire économique et idéologique serait en revanche nécessaire. La première voudrait que le tiers-monde reçoive la perspective d’une vie meilleure, ce qui priverait le terrorisme d’un soutien réel. Quant à la seconde, elle signifierait que l’Occident arrive à convaincre (non par des mots, mais par des faits) le reste du monde, qu’il ne vit pas en simple parasite sur le corps de la planète, comme se l’imaginent, à tort ou à raison, les masses aujourd’hui.
Andreï Raïtchev, Sega, Sofia
Courrier International 22/01/2004, Numero 690
Scientinelle
Création de l'article : 25 janvier 2004
Dernière mise à jour : 23 janvier 2004
Page visitée 921 fois (1)
P.S. Sociologue réputé, Andreï Raïtchev est fondateur et directeur de BBSS-Gallup (Balkan British Social Surveys), ainsi qu’éditeur de plusieurs journaux bulgares, dont Sega. Son livre de sociologie Points de vue privilégiés est disponible sur le Net en anglais.
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