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DECADENCE
L’époque que nous vivons n’est probablement pas nouvelle dans l’Histoire humaine. Nous vivons la décadence d’un système qui après avoir connu son apogée est entrain de s’achever miné par des contradictions qu’il est incapable de dépasser. Ca n’est pas nouveau, tous les systèmes, même les plus puissants et les plus stables sont passés par cette étape. C’est ça l’Histoire.
La « perte de repères », la « perte de sens », la « faillite des valeurs » ces expressions résument assez bien, dans le langage courant ce que nous ressentons tous devant la situation économique, politique et sociale. Nous ressentons confusément que la « situation n’est pas comme avant ». La montée de l’incivisme donne une nouvelle dimension à la situation sociale. Les règles, les principes, les valeurs ne sont plus respectées, ni en haut, ni en bas de la société. Ce n’est plus le conflit social classique, bien repéré par nos esprits, bien « pratiqué » depuis des années, correspondant à des données claires qui éclate devant nos yeux, mais une lente « décomposition sociale » dont on ne comprend pas très bien la cause et surtout l’issue.
UN RAPPORT SOCIAL A LA DERIVE
L’économie de marché est fondée sur un rapport social précis. La reconnaissance et l’existence de l’individu (du moins pour la plupart des individus) passe par son appartenance à un processus de travail qui lui donne les moyens de sa subsistance (le salaire). C’est dans ce rapport (le métier, la profession) que se créent des relations sociales, un lien social, qui donne à l’individu une représentation sociale... une identité sociale. Ce rapport social n’est certes pas harmonieux, il est basé sur l’instrumentalisation de l’individu (le salarié), en fonction d’exigences qui lui sont extérieures et sur lesquelles il n’a aucune prise (il est utilisé quand on a besoin de lui, viré lorsqu’on en a plus besoin). Ce sont les conditions de valorisation du capital qui passent par la rentabilisation des processus de production, des entreprises, qui constituent ces exigences. Pourtant, aussi contraignant qu’il soit ce rapport est « intégrateur », c’est-à-dire que pour le plus grand nombre il « donne une place dans la société ». Ainsi, le salarié, même s’il est « instrumentalisé », a sa place... et d’ailleurs tient à cette place qui lui assure sa survie matérielle et sociale. Cette situation d’ « aliénation-intégration » subie mais acceptée, explique que dans les pays développés le système marchand n’ait jamais été renversé.
Tant que le système « procure du travail » il met à disposition des moyens d’existence, mais crée aussi du « lien social », de la « cohésion » sociale, certes conflictuelle, mais suffisamment cohérent pour éviter l’explosion de l’ensemble. La répression (police) et les réformes (mesures sociales) permettent en fonction des circonstances de s’ »acheter la paix sociale » indispensable pour le bon fonctionnement du système marchand.
Le problème aujourd’hui c’est que ce mécanisme fonctionne de moins en moins bien et même se bloque. Pourquoi ? Dans les pays développés, la course effrénée à l’automatisation et la mondialisation de la valorisation du capital (délocalisation), ont largement relativisé le rôle de la force de travail dans les processus de production.
Sur une vaste échelle, dans ces pays, un grande partie des branches de production, qui ont créé dans le passé des millions d’emplois, soit ont été supprimées (textile, sidérurgie, une partie de la construction navale, houillères,...) soit ne fonctionnent plus qu’avec des machines sophistiquées et peu de personnel (aéronautique, automobiles, chimie...)... sans parler de l’agriculture où les emplois se réduisent comme une peau de chagrin. Certes le secteur tertiaire (services) s’est développé mais il ne compense pas les pertes et d’autre part, jouent dans ce secteur les mêmes logiques de rentabilisation, concentration, suppressions d’emplois... Autrement dit, le lien social, le tissu social que créait le système marchand et qui faisait sa cohérence et son unité,... il le crée de moins en moins. Or, un système social qui ne crée plus du lien social perd de son « sens ». Qu’elle est en effet la place de l’être humain dans un tel système ? Comment peut-il se situer ? Comment peut-il acquérir un statut social ? Quel sens peut avoir la « morale républicaine » pour quelqu’un qui est privé de moyens de vivre par les lois économiques de ce même système ? Un tel système peut-il offrir un idéal de vie ?
L’IMPOSSIBLE SOLUTION
Deux contradictions (liées entre elles) illustrent cette impossibilité : les marges de manoeuvres de plus en plus étroites des systèmes marchands développés du fait de la mondialisation et, par voie de conséquence, la contradiction entre le statut de « salarié » et celui de « citoyen » qui s’exacerbe.
des marges de manœuvres de plus en plus étroites : le système marchand ne peut plus, aujourd’hui, « se payer la paix sociale » ou du moins peut de moins en moins. Pourquoi ? Parce que le système est « ouvert », la fameuse mondialisation. Tant que les pays développés vivaient « en vase clos » dans un monde qu’ils contrôlaient, fondé sur des Etats-nations souverains, les politiques économiques et sociales qu’ils pratiquaient permettaient à la fois de valoriser le capital (ce qui est le but unique du système), mais aussi d’atténuer les conflits en accordant des avantages financiers, matériels et sociaux. Ceci n’est plus possible dans un cadre mondialisé.
conséquence du point précédent, la contradiction entre le statut de « salarié » et celui de « citoyen » devient insupportable. Le « salarié » est « instrumentalisé » par le système (j’ai besoin, j’embauche... je n’ai pas besoin, je licencie ) or, le « citoyen » est en principe « libre ». Tant que les conditions économiques faisaient que le « salarié » coïncidait, tant bien que mal avec le « citoyen » dans une même personne... par exemple l’action citoyenne permettant de faire efficacement pression, la situation se maintenait... la cohésion sociale, quoique conflictuelle, n’était pas remise en question... la preuve : dans un pays développé le système marchand n’a jamais été renversé. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Que peut représenter le statut de « citoyen » pour l’ « exclu », et même pour le « salarié » qui est complètement dépendant du fonctionnement du système marchand sans possibilité de changer quoi que ce soit ?
UNE SITUATION BLOQUEE
La pire des choses arrive au système marchand : il n’est plus capable de créer et d’assurer de la cohérence sociale. Ce n’est pas un phénomène passager, c’est un problème structurel : c’est la logique de son propre développement qui l’a conduit à cette impasse. Les valeurs qu’il prétend défendre, incarner, apparaissent de plus en plus en contradiction avec son propre mode de fonctionnement. La question pour le système est la suivante : comment en sortir ?
Il n’a évidemment pas la solution pour une raison simple : elle n’existe pas. Il sait qu’il n’a plus rien à négocier et qu’il doit imposer la situation à l’ensemble de la population. Pour cela il lui reste quelques moyens :
la propagande : la plupart des moyens de communication à son service, il verrouille, non pas en censurant brutalement (encore que !), mais surtout en orientant l’information, en déviant les analyses, en isolant la vraie contestation, en favorisant les pseudo analyses, en technicisant le débat, en renvoyant tout à l’électoral... alors qu’il sait que rien ne changera. C’est une tactique qui jusqu’à présent fonctionne.
la répression : tendance à criminaliser la contestation sociale et les conflits sociaux... faisant apparaître les « contestataires » comme des anti démocrates et des délinquants,
en favorisant, financièrement, politiquement et médiatiquement des organisations pseudo contestataires qui ont pour objectif de rassembler et de canaliser dans des opérations médiatico-spectaculaires les « contestataires ».
Toutes ces actions ne font que maintenir en survie un système qui vit chaque jour l’émiettement de ce qui constituait son unité, sa cohérence. L’élimination des acquis sociaux, fruit de plusieurs décennies de luttes sociales, illustre la décadence d’une structure sociale qui n’a plus d’avenir. L’incivisme n’est que l’expression au niveau citoyen d’une perte de confiance dans un avenir qu’est incapable d’assurer le système.
Les dérisoires « solutions » offertes aux citoyens ne sont que des moyens de faire accepter la situation au nom d’une pseudo rationalité dont ils feront toujours les frais en terme de conditions de vie. La pratique des gestionnaires du système, la politique économique n’est plus d’ordre stratégique : construire un système, mais purement tactique : faire le plus rapidement de l’argent et éviter que tout s’écroule.
Le système marchand se meurt étouffé, comme l’ont été tous les systèmes dans l’Histoire, par son incapacité à permettre aux femmes et aux hommes de pouvoir tout simplement vivre dans la dignité.
Toulouse Février 2004
Patrick MIGNARD
Prochain article : TRANSITION
Patrick MIGNARD
Création de l'article : 18 février 2004
Dernière mise à jour : 18 février 2004
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> Décadence
9 janvier 2005, par
Racines ontologiques de la décadence
L’excellente analyse de Monsieur Mignard appelle un commentaire. Ce qu’il dit, invite un complément métaphysique sans lequel tout point de vue reste privé d’une certaine densité interne et présente même un creux en direction du centre. Pour satisfaire certains besoins de causalité, il faut toujours rechercher l’encrage le plus profond. Or la profondeur coïncide avec l’universel. En reliant tel phénomène au phénomène comme tel, donc à l’ensemble des phénomènes, elle permet de rendre compte, dans quelle mesure "ceci" est encore et toujours "Cela ici". Il faut d’abord préciser que la décadence comporte deux dimensions fondamentales : la première, d’ordre structurel, plus aisément perceptible par la majorité, fait l’objet du tableau tout à fait éloquent qu’en dresse Monsieur Mignard dans son article "décadence", assorti d’une analyse des plus perspicaces, la deuxième, d’ordre substantiel, que nous nous proposons de mettre en évidence, tout en montrant la corrélation de ces deux dimensions et comment la première n’est jamais que l’aboutissement formel de la dégradation substantielle qui la précède chronologiquement et ontologiquement. . Métaphysiquement, toute forme est l’expression circonstanciée d’une substance simple ou composée, voire la traduction d’une juxtaposition conflictuelle de substances antagonistes. En outre, toute expression voile et réduit à la fois, par la matière et le mode utilisés, en sorte qu’elle constitue déjà une "décadence", même si cette terminologie doit être dépouillée ici de toute connotation morale ou dépréciation intellectuelle, pour simplement signifier l’incapacité ontologique du phénomène à réaliser l’adéquation absolue à la substance intellectuelle dont il est le messager sensible. "L’inadéquation" expressive est d’ailleurs une opportunité pour trier et révéler les qualifications subjectives qui se manifestent précisément par la faculté que chacun possède à un degré différent, de compléter par sa propre substance intérieure, les vides inévitables de l’ordre phénoménologique pour ne pas dire sa déficience constitutive. Chez la plupart de nos contemporains, au moins en occident, la modernité a tragiquement recouvert d’une épaisse couche de pollution idéologique et psychologique la sensibilité constitutive de la nature humaine intégrale, la spécialisant, jusqu’à l’obsession, dans certaines considérations qui obnubilent la pensée, la privant du même coup des ressources intérieures constituées par les références éternelles verticales et centripètes qui, bien qu’imprescriptibles, noyées dans l’oubli, deviennent nécessairement inopérantes. Dans ce contexte, argumenter sur la base de la normalité ou selon l’humanité intégrale, revient à prêcher dans le désert. Il faudrait élever l’art de réactiver la réminiscence à un degré quasi surhumain pour espérer établir un dialogue qui soit autre chose qu’un vain échange de handicaps intellectuels et de sentimentalités arbitraires. Atrophies et excroissances se soutiennent dans la structuration de l’erreur. Ce cumul de déséquilibres n’est certes pas de nature à faciliter l’entreprise. Quoi qu’il en soit, la difficulté n’est jamais absolue ni rédhibitoire face à l’espérance que porte une vertu dont la racine traverse les limites individuelles pour se nourrir directement du Ciel. Toute manifestation est une économie, en ce sens quelle distribue et organise l’énergie créatrice selon un dessein qui est le sens même de la vie. La première décadence, et par suite, la racine de toute décadence subséquente, réside dans l’occultation de ce rapport entre la manifestation et son principe, autrement dit entre le temps et l’éternité. Il faut commencer par le commencement si nous voulons vraiment comprendre et par conséquent nous affranchir, de "nos explications" de fortune, partielles et transitoires et des innombrables illusions et désillusions qui invariablement les accompagnent. La décadence originelle est nécessairement spirituelle, elle réside dans l’erreur matérialiste qui envisage l’aboutissement d’un processus comme une genèse. La pesanteur des physiciens qui tire vers le bas les corps pesants rend compte néanmoins à sa manière, de "l’infériorité" ontologique du domaine sensible par rapport au suprasensible. Considérer la matière comme une donnée primordiale et stable est l’essence du matérialisme. La matière cependant n’est qu’une contraction transitoire d’une substance inaccessible à nos sens "matériels". Notre matière empirique dérive d’une réalité suprasensible éminemment plastique et ouverte, sous l’effet de la "pesanteur" universelle, à toutes les coagulations cosmogoniques subséquentes qui constituent notre univers sensible. C’est dans cette substance suprasensible qui est comme le monde des programmes ou des champs de forces que les espèces furent créées ainsi que l’homme, comme par une cristallisation subite des polarisations multiples des possibilités universelles selon une distribution providentiellement organisée.
Mais laissons de côté pour l’instant ces considérations relatives à la cosmogonie, étrangères au grand public imbu de scientisme, mais que la science la plus avancée commence à considérer avec de plus en plus de sérieux, pour aborder le sujet, d’un point de vue plus historique et donc plus familier. L’exclusivité des considérations structurelles, due au fonctionnalisme de la pensée de Monsieur Mignard, induit l’erreur de jugement qu’il commet en identifiant la décadence moderne à un élément de série dans l’histoire humaine, car, du point de vue de la substance, les décadences traditionnelles ont toutes un caractère d’affaiblissement de corruption et de décomposition, alors que la modernité est une décadence dynamique et constructive dont l’âme est "le progrès". C’est donc une spécificité de la décadence actuelle de conjuguer les aspects de décomposition propre à toute décadence avec d’autres aspects spécifiquement modernes paradoxalement structurants. C’est précisément cette particularité qui, à l’échelle historique, fait de la décadence actuelle quelque chose de tout à fait singulier qu’il convient d’analyser avec une immense circonspection. Toute l’existence de nos ancêtres se déroule à reculons, l’histoire se réalise le dos tourné à l’avenir le regard fixé sur l’Origine ou le Centre, la conscience est tout entière dans le Souvenir de ce Centre et de cette Origine que nous portons aussi en nous-mêmes mais qui nous sont devenus inaccessibles sans les moyens de grâce que la Providence nous offre dans la Tradition. Toute valeur se réfère à ce Foyer sacré, ce lieu où le Ciel a touché la terre, où Dieu s’est manifesté et d’où Il peut encore répandre ses grâces et offrir ses bénédictions. Pareillement, l’Origine est le moment quasi intemporel où la terre n’était qu’à moitié terrestre, l’autre partie étant céleste. Pour les civilisations ayant un fondateur historique, c’est la venue de ce dernier qui renouvelle pour "le Peuple Élu", l’alliance primordiale. Être normal, c’est se conformer à la Tradition, c’est demeurer fidèle à l’Origine, se situer par rapport au Centre. Être accompli, c’est retrouver en soi-même le Centre et y demeurer. Toute l’attitude de nos ancêtres, s’inscrit directement ou indirectement dans leur préoccupation de s’orienter d’après le Centre ou l’Origine, lesquels constituent Le Repère dans le monde incommensurable et terriblement périlleux des formes et du changement. Cette subjectivité traditionnelle s’accompagne de la certitude que le Premier est aussi le Dernier, en sorte que, l’existence tout entière est dominée par son Maître absolu et ne peut se soustraire à Son Pouvoir. Demeurer fidèle au Premier, c’est s’assurer Sa protection et avancer avec la certitude de La Victoire qui est assurément l’attribut du Dernier. Ceci permet de comprendre l’impérialisme des anciennes civilisations qui est sans commune mesure avec l’impérialisme moderne. Ceux qui ont su être les gardiens de l’ordre primordial ou qui ont reçu la bénédiction de son renouvellement, ont aussi mission de le rétablir dans le cosmos environnant qui relève de leur administration spirituelle. Le but de toute culture normale est de médiatiser l’absolu pour apprivoiser nos singularités collectives et les ordonner à la finalité universelle du genre humain. On appelle déviation ou perversion l’abolition de ce lien culturel avec l’universel, ce qui résulte tôt ou tard de la décadence et qui en constitue l’aspect essentiel. L’homme réalise ce qu’il connaît : la compréhension parfaite - en fonction de l’Absolu - de la relativité restitue à celle-ci une transparence qui révèle l’Absolu. L’impérialisme traditionnel peut donc sans état d’âme achever une culture intellectuellement déficiente et spirituellement déviante, devenue opaque parce qu’infestée de formes arbitraires ou véhiculant l’hérésie et dont le dynamisme créateur épouse désormais trop volontiers l’erreur, pour lui substituer une nouvelle forme relative pétrie d’Absolu. Les attachements aux coutumes locales ne relèvent alors que du sentimentalisme ignorant et de la cécité spirituelle dont se nourrit l’illusion. Le génie ethnique peut certes témoigner de son affinité pour tel ou tel aspect de l’existence -d’autant plus légitimement que tout génie ethnique procède du Ciel - mais sa fonction ne saurait être de fausser les intentions primordiales qui concernent toujours le rapport de la substance universelle de l’âme humaine avec sa vocation éternelle. Une culture ne peut valablement revendiquer sa spécificité et son droit à subsister que dans la mesure où ses formes honorent le rapport spirituel qui doit relier la terre au Ciel. Il y a d’une part le symbolisme qui est rigoureux comme les lois de la nature tout en étant divers comme elles, et il y a d’autre part le génie créateur qui est libre, mais qui devient n’importe quoi sans le langage de la vérité et des symboles providentiels, et qui ne peut être ni pressé ni arbitraire. Un style de vie n’est réellement légitime, que s’il exprime à la fois une spiritualité et un génie ethnique, et ce sont là deux facteurs qui ne s’improvisent pas et surtout qu’on ne saurait abandonner aux caprices d’une société marchande ni aux égarements idéologiques d’une humanité amnésique et livrée à un hédonisme irresponsable. L’impérialisme traditionnel, en dépit des inévitables abus terrestres qui l’accompagne est une réaction providentielle du Ciel contre la décadence due au relâchement et dont témoignent douloureusement les terribles égarements liés à l’obscurcissement de la conscience humaine. L’impérialisme peut venir soit du Ciel, soit simplement de la terre, soit encore de l’enfer. Même venant du Ciel, il restera marqué par son emprise terrestre, l’homme restant toujours l’homme dès que les collectivités avec leurs intérêts et leurs passions entrent en jeu, cependant l’histoire des peuples conquis portera les traces irréfutables de l’origine de l’impérialisme et du caractère essentiel de la domination. L’apparition de saints de sages et de chef-d’œuvres de l’esprit ne se nourrit pas des même causes que l’apparition de la misérable population constituée par le fait de l’impérialisme moderne. De cet impérialisme, le Ciel est absent, il s’y trouve la terre et hélas de plus en plus d’enfer et c’est ce qui le rend si abominable. Ce que nous disons de l’impérialisme s’applique évidemment à la dictature, c’est-à-dire que la dictature peut venir du Ciel, de la terre ou de l’enfer. Il va sans dire que le diable a tout intérêt à occulter ces distinctions et il s’y ingénie d’ailleurs avec un franc succès. La confusion est sans aucun doute son arme favorite et elle constitue la première décadence qui affecte d’abord l’ordre intellectuel pour ouvrir la porte, via le sentimentalisme, à toutes les décadences subséquentes. La précipitation ou la hâte, dont l’abrègement du langage est une manifestation est l’un des artifices majeurs employés au service de cette confusion ; il suffit de dire :"impérialisme" et on croit avoir dit quelque chose, de même "dictature", sans s’apercevoir qu’il ne s’agit là que de formes susceptibles de véhiculer des substances extrêmement diverses. Il en va de même pour la "démocratie" évidemment", alors qu’elle bénéficie d’une auréole de respectabilité qui la place au premier rang des instruments de ruse de l’empire des ténèbres. Il est certain que le salut de l’homme coïnciderait avec son acceptation de la dictature du Ciel dont la conséquence serait précisément de mettre un terme à la dictature du péché et de libérer les pécheurs des obscurités qui les enchaînent. Cette perspective semble définitivement compromise à l’échelle collective, car la démocratie veille au grain pour reléguer le discernement spirituel et les impératifs de la vérité dans l’ordre des "opinions marginales" et numériquement"dérisoires". Dans le même ordre d’idée, la confusion s’est emparée du concept d’ordre pour l’identifier à la notion d’organisation. Défendre l’ordre est désormais synonyme de défendre l’organisé et l’organisation, en sorte que le diable a beau jeu d’organiser son désordre en lui donnant la forme d’institutions. Monsieur Mignard lui-même qui n’est pas dépourvu de discernement ne lit cependant la décadence que dans la désorganisation et l’inefficacité et semble imperméable à l’idée d’une décadence cristallisant ses résultats dans une institution stable à l’échelle humaine et rayonnante d’efficacité ou d’une décadence due à une décadence substantielle, progressive et constante mais illisible dans la stabilité de ses cadres formels. Une langue peut ainsi se dégrader sans que sa forme en soit affectée, les mots se vidant progressivement de leurs significations supérieures du fait de la disparition du niveau de conscience qui leur correspond. La décadence intellectuelle obère ainsi gravement la conscience ontologique en ne laissant survivre qu’un fonctionnalisme à l’origine de l’historicisme et du pitoyable psychologisme contemporain responsable de si nombreuses et de si prodigieuses inepties, sans oublier une science abusivement réductrice misérablement technicienne et industrielle et finalement marchande. Une science issue de la chute - ou de l’une des chutes - ne pouvait qu’amplifier la chute en versant dans l’idolâtrie du monde sensible par la négation de tout ce qui dépasse ce domaine, par conséquent : Dieu, l’au-delà, l’âme et bien sûr l’intelligence symbolique primordiale qui abolit l’opacité des phénomènes et appréhende sans démonstration par sa substance même ce que cette science rejette. En reléguant tout ce qui lui échappe dans l’ordre de "la croyance", et en n’admettant aucune possibilité de connaissance sérieuse en dehors de son champ d’observation, la science moderne revendique la connaissance exclusive et totale, tout en se voulant empiriste et "adogmatique", ce qui est une flagrante absurdité. Rejeter tout"dogmatisme" et tout "apriorisme" c’est non seulement amputer l’intelligence mais la décapiter et la rendre incapable de la moindre certitude initiale et par suite ne lui laisser, grâce au raisonnement, que le maigre butin d’une satisfaction logique et jamais de certitude. La première déchéance disions-nous c’est la confusion elle-même, et la première confusion résulte de la vanité et de la prétentieuse manie de "classer", suggérant que l’on domine intellectuellement voir moralement telles idées et que par conséquent celles-ci sont "dépassées". Des "intellectuels" de pacotille font entrer dans le "déjà vu", les vérités les plus décisives sans réaliser "qu’avoir vu" n’est pas forcément "avoir compris" ; et qu’il ne s’agit pas simplement "d’idées" autrement dit "d’élucubrations" auxquelles les "penseurs" contemporains se livrent si volontiers.
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