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Quel avenir pour les indiens Atikamekw ? |
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Article paru dans "Gardarem lo Larzac" n° 254, janvier 2004 - GLL, Montredon, 12230 La Cavalerie
Rencontre avec deux habitants du Cros (sud-Larzac) qui viennent de passer trois semaines dans la réserve de Manawan, 300 kilomètres au nord de Montréal.
Voici plusieurs années que Thierry Jeanneau, médecin acupuncteur et homéopathe , est en lien avec des médecine-men indiens. Si lui est attiré par leur savoir ancestral, les amérindiens manifestent en retour un intérêt pour les techniques manuelles pratiquées ici - acupuncture, massages, ostéopathie - car la déforestation entraîne la disparition des plantes qu’ils utilisent traditionnellement pour les soins.
Thierry s’était déjà rendu à Manawan il y a cinq ans et a reçu chez lui un médecine-man de la tribu ; il vient d’y retourner en compagnie de Sébastien Viala, qui se forme au massage chinois. Tous deux sont revenus marqués par la détresse de ces Atikamekw qui n’existent même plus en tant que tels pour les autorités -assimilés à des Cree, dont la langue et les coutumes diffèrent pourtant - et qui surtout voient leur espace vital se rétrécir de jour en jour. En cinq ans Thierry a constaté une nette régression. Il a partagé ses techniques de soins avec ceux qui, selon les termes indiens, « suivent les voies de la guérison », dont un médecine-man venu de l’une des deux autres réserves Atikamekw, à six heures de route : même chez eux, qui sont de ceux qui cherchent des issues, il a rencontré beaucoup plus de découragement et de fatalisme. Et c’est l’ensemble de la tribu qui est en dépression. Les causes de cette dépression ? Thierry et Sébastien en voient principalement deux : la déforestation et le suicide des jeunes.
« La forêt primaire a disparu à 80 %, dont 40 % ces dix dernières années. Les canadiens arrachent la forêt primaire pour planter des sapins ; ceux-ci poussent mal par manque de sous-bois et ont donc peu d’intérêt, alors ils continuent de déboiser la forêt primaire, plus intéressante. A ce rythme, elle n’existera plus dans cinq ans. Le gouvernement diffuse un dépliant expliquant que l’orignal survit dans les nouvelles forêts ; il avait demandé la caution des indiens de Manawan, qui ont refusé de collaborer.
Alors le gouvernement a payé le conseil d’une autre réserve pour qu’il dise « oui, l’orignal survit ». Pendant que nous étions là-bas, un envoyé du gouvernement est venu pour un recensement des érablières, qui sont protégées par la loi canadienne ; les indiens ont constaté qu’il en a « oubliées » plusieurs. Mais comme par hasard les forêts où se cachent des plants de cannabis sont épargnées, comme protégées, et les indiens qui veulent chasser là se font tirer dessus... »
Quant au suicide des jeunes, il atteint la proportion vertigineuse d’un pour quatre. « Les jeunes ne pêchent pas, ne chassent pas, reçoivent de l’argent mais n’ont rien à faire, n’ont d’autre horizon que la télévision », remarque Sébastien. A Weimontaci, l’une des trois réserves Atikamekw, une bande de jeunes filles de treize ans s’est « organisée » pour qu’il y ait un suicide par semaine parmi elles : « Quatre jours avant notre arrivée, raconte Thierry, une fille de treize ans s’est suicidée à Manawan : le Conseil de bande a du coup interdit aux jeunes les contacts avec ceux de Weimontaci. Les anciens sont fortement choqués par ces suicides. » On peut bien sûr mettre en relation ces deux causes de dépression : un ethnologue prépare un mémoire traitant de l’influence de la déforestation sur le suicide des jeunes.
Mais la jeunesse indienne est aussi décimée par les crimes, nombreux et le plus souvent impunis. Un jeune a été assassiné il y a un an et demi, retrouvé pendu après avoir été battu à mort. La police a enterré l’affaire... Deux autres avaient été menacés par un groupe de chasseurs, on les a retrouvés écrasés sur le bord de la route...Les indiens ne cessent de prendre des coups qui entretiennent une haine profonde du canadien, qui reste toujours pour eux un envahisseur. Nos larzaciens ont croisé là-bas des chasseurs par milliers : des groupes de plusieurs dizaines de 4X4 avec remorque et quad sur la remorque. « Sur dix-sept mille orignaux tués en une année, expliquent-ils, deux mille seulement le sont par les indiens. Or les canadiens ne chassent l’orignal que pour sa langue et ses bois , alors que les indiens utilisent tout ». Entre le « Far West » et le reste du Canada, le fossé de différences - ou d’indifférence ? - est énorme. « Nous avons pris des auto-stoppeurs de la ville la plus proche de la réserve qui ignoraient l’existence d’une tribu au nord de chez eux et ne savaient pas que les indiens qu’ils croisent dans la rue sont des Atikamekw ». Plus grave, l’absence d’un soutien écologiste aux indiens : « Même quand ils ont fait des actions assez dures contre la déforestation, déplore Thierry, personne de la ville n’est venu les aider. Maintenant, ils baissent les bras ». Et ont tendance à se replier : 75 % des 8000 Atikamekw vivent dans les réserves contre 55 % il y a cinq ans.
La vie en ville, où ils sont victimes du racisme, est difficile, alors que l’argent pleut sur la réserve. Le gouvernement tient les indiens à coups de subventions : les 4x4 « de fonction »encombrent les rues de Manawan, le téléphone est omniprésent, les frigos sont pleins, et la boutique du « dépanneur » est bien achalandée. Qu’y trouve-t-on ? « Peu de légumes, beaucoup de Coca-Cola, raconte Thierry, mais parmi les soixante-quatre variétés de chips il n’y a pas eu moyen d’en dénicher des « normales » : les chips « naturelles » avaient un goût framboise-caramel ». « Nous y avons par contre découvert du lait en poudre sans lactose ! » ajoute Sébastien. Ceci peut bien faire sourire mais révèle bien la dérive d’un peuple qui a certes su garder sa langue et, confidentiellement, sa musique, mais perdu la plupart de ses repères. Et, alors que le gouvernement détruit la forêt et que le gibier disparaît, il y a jusqu’en France des tour-opérateurs proposant des chasses à l’ours là-bas. « Un de nos voisins est allé chasser l’ours au Canada. Quand les Indiens tuent un ours, ils l’utilisent entièrement, notamment pour la médecine. Pour les européens, c’est seulement la peau qui compte. » A dix-huit kilomètres de la réserve, un endroit isolé de tout, aseptisé, a été aménagé pour recevoir les touristes. Pendant ce temps, à Manawan, les jeunes passent leurs journées devant la télé, entre bière et Coca-Cola : c’est à ce prix qu’on achète leur forêt et leur avenir.
Thierry Castelbou
Auteurs divers
Création de l'article : 18 février 2004
Dernière mise à jour : 14 février 2004
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Quel avenir pour les indiens Atikamekw ?
11 décembre 2006, par
Moi-meme appartenant de cette nation,je suis fier de m’exprimer et pour l’avenir ;je dis de soutenir beaucoup les jeunes parce que ,c’est eux l’avenir et nous ,on est des traceurs de ligne(chemin)les parents mista mikwetc(merci)
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Quel avenir pour les indiens Atikamekw ?
15 février 2006
Que dire de plus. Espoir déchu pour certains , Colère et frustration pour d’autres ... Mais qu’attendez-vous pour se relever ! Vous êtes et vous avez bien plus que vous ne le pensez. Levé vos têtes et ouvrez vos yeux, tendez l’oreille et entendez la voix de vos ancêtres , croyez en vous et sachez qui vous êtes. Car il n’y aura plus personne qui pourra vous défaire si vous saviez d’où vous venez et à jamais vous aurez la sagesse et la paix d’esprit, en harmonie avec la terre mère...
Il n’y a point d’espoir , si ignorance vous habites
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Quel avenir pour les indiens Atikamekw ?
13 avril 2006
C’est pas facile aujourd’hui, surtout que la plupart des parents ont été arrachés de leur famille à partir des années ’50 à ’80, pour nous emmener dans des pensionnats. C’est à partir de là que ces parents-là ont manqué à leur devoir, car ils n’ont pas connu la vie traditionnelle aux côtés de leurs familles. Le gouvernement a bien calculé son coup en prenant les enfants pour promettre aux parents de les éduquer.... mais quelle éducation ??? Mais encore fallait savoir ce qui se passait dans ces pensionnats, ils savaient bien ce qu’il faisaient, car ils ne voulaient pas former des avocats, des juges, ni des ingénieurs mais de nous assimiler. C’est sans parler des abus physique, psychologique et sexuel que nous avons subi,nous avons été tout simplement déraciné de nos cultures, de nos traditions, bafoués dans nos fierté...
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> Quel avenir pour les indiens Atikamekw ?
15 novembre 2005, par
Kwe (Bonjour)
Je suis atikamek de Manawan, enfin si je peux dire cela ! Je suis infirmier et je travaille dans ma communauté. Je trouve votre article pertinent, touchant et réaliste. Je ne sais pas par ou commencer car j’ai tellement vu et vecu d’evenements traumatisants. On est un peuple qui se dirige dans le néant. On le voit par la génération avant nous, celle qui nous suit et j’en suis profondément boulversé. j’ai un enfant et je ne sais pas quel genre d’avenir et de monde qui lui offre.
Merci...de me dire qui je suis !
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> Quel avenir pour les indiens Atikamekw ?
14 mars 2007, par
QUE PENSEZ-VOUS DU MESSAGE DE LA BIBLE QUI PROMET UN AVENIR DE JUSTICE A TOUS PEUPLES. LA RESSURECTION DE VOS ANCETRES SUR TERRE MEME. LA JUSTICE ENFIN POUR VOUS ET VOS ENFANTS....DIEU N EST PAS PARTIAL.....BARBARA (METISSE) MIKWETC ! SAKI !
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