|
Pour fédérer les mobilisations de plus en fortes, mais encore très éparses et éclatées, émanant des secteurs de la culture et du savoir, face aux attaques régulières, aux coupes budgétaires et aux menaces dont ils font l’objet de la part de l’actuel gouvernement, l’hebdomadaire culturel Les Inrockuptibles lance un "Appel contre la guerre à l’intelligence", publié le 18 février.
Rien de plus proche aujourd’hui d’une université sans crédit qu’un laboratoire scientifique en panne, rien de plus proche d’un intermittent du spectacle qu’un doctorant précaire, d’un urgentiste en alarme qu’un juge débordé par les dossiers et les affaires, d’un psychanalyste interdit d’exercice qu’un archéologue privé de fouilles, rien de plus proche d’un architecte qu’un avocat ou qu’un médecin dont la liberté d’exercer est de plus en plus encadrée, rien de plus proche d’un chômeur en fin de droit qu’un artiste au Rmi, rien de plus proche, dans des salles vétustes et bondées, qu’un prof et ses étudiants.
Tous ces secteurs du savoir, de la recherche, de la pensée, du lien social, producteurs de connaissance et de débat public font aujourd’hui l’objet d’attaques massives, révélatrices d’un nouvel anti-intellectualisme d’Etat. C’est à la mise en place d’une politique extrêmement cohérente que nous assistons. Une politique d’appauvrissement et de précarisation de tous les espaces considérés comme improductifs à court terme, inutiles ou dissidents, de tout le travail invisible de l’intelligence, de tous ces lieux où la société se pense, se rêve, s’invente, se soigne, se juge, se répare. Une politique de simplification des débats publics, de réduction de la complexité : pour ou contre le voile ? Psychiatres ou charlatans ? Un policier dans chaque école ou des professeurs laxistes ? Juges de gauche ou flics sévères ? France d’en bas contre élites savantes ? Les artistes : fainéants ou profiteurs ? Depuis deux ans, la liste est longue des compétences et savoirs pratiques méprisés, des débats raccourcis, amputés de leur épaisseur et de leurs contradictions fécondes.
Le gouvernement Raffarin fait un usage simpliste et terrifiant des fameuses leçons du 21 avril : en pleine crise de l’Etat-Providence, dans ces secteurs les plus sensibles que sont l’hôpital et la santé, l’école et l’université, la justice et le travail social, la culture et l’audiovisuel public, au moment d’une fracture urbaine sans précédent entre des centre-ville riches et paisibles et des périphéries abandonnées, à l’heure d’une décentralisation culturelle accélérée et sans filet et d’une industrie de la culture qui modifie en profondeur le paysage intellectuel, que fait le gouvernement ? Il livre l’architecture, l’urbanisme et la construction d’un nouvel espace public aux grands groupes de BTP. Il dégraisse les corps intermédiaires de la communauté éducative en supprimant emplois-jeunes, aide-éducateurs, infirmières, surveillants. Il fragilise le monde du spectacle au nom d’une réforme nécessaire du régime de l’intermittence. Il démoralise les professions de santé et accélère la "fuite des cerveaux" dans les universités étrangères. Il profite du départ à la retraite des générations du baby-boom pour faire disparaître des secteurs de recherche, des spécialités médicales, des disciplines éducatives.
Il procède à des coupes sombres dans les budgets du savoir et de la recherche. Et il résout la prise en charge des "vieux" par la culpabilisation des familles, le rappel à l’ordre paternaliste des plus jeunes et la suppression d’un jour férié.
Cette guerre à l’intelligence est un fait sans précédent dans l’histoire récente de la nation. C’est la fin d’une exception française : un simple regard chez quelques-uns de nos voisins européens, dans l’Angleterre post-thatchériene ou l’Italie berlusconienne permet pourtant de voir ce qu’il advient des écoles, des hôpitaux, des universités, des théâtres, des maisons d’édition au terme de ces politiques qui, menées au nom du bon sens économique et de la rigueur budgétaire, ont un coût humain, social et culturel exorbitant et des conséquences irréversibles.
Loin de constituer un mouvement d’humeur corporatiste, ce sursaut des professions intellectuelles concerne l’ensemble de la société. D’abord parce que la production et la diffusion des connaissances nous est aussi indispensable que l’air que nous respirons. Ensuite, parce qu’au-delà de nos métiers, de nos savoirs, de nos pratiques, c’est au lien social qu’on s’en prend, reléguant davantage encore dans les marges les chômeurs, les précaires, et les pauvres.
Et maintenant ? Fort de cette prise de conscience, il s’agit de partager les luttes et les mobilisations, de fédérer nos inquiétudes, d’échanger ces expériences alarmantes, et d’adresser au gouvernement une protestation solidaire, unifiée, émanant de tous les secteurs attaqués par cet anti-intellectualisme d’Etat qu’aucun parti politique, de droite comme de gauche, n’a encore entrepris de dénoncer. Chacun d’entre nous doit continuer à porter ses propres revendications, à élever ses propres défenses, mais nous devons aussi interpeller collectivement nos concitoyens sur ce démantèlement des forces vives de l’intelligence.
Pour signer (avec vos noms, prénoms et qualité) :
N’hésitez pas à faire circuler
Site des Inrockuptibles
amélie
Création de l'article : 29 février 2004
Dernière mise à jour : 29 février 2004
Page visitée 862 fois (1)
Remarque sur les adresses électroniques
Pour lutter contre le spam, les adresses électroniques publiées sur ce site sont "masquées" : l'arrobase est remplacée par 3 caractères aléatoires encadrés de soulignement ; ainsi, l'adresse toto.loulou@bidon.fr sera affichée toto.loulou_G6K_bidon.fr - ou avec 3 autres caractères au lieu de G6K
|
|
Discussion associée à l'article.
Cet article a suscité 2 messages sur son forum
Vous pouvez réagir à cet article ; le contenu n'est filtré ni par l'auteur de l'article, ni par le collectif, dans la limite du respect de certaines règles :
- pas de messages injurieux
- pas de message raciste, sexiste, xénophobe, homophobe, ...
- les messages trop longs pourront être supprimés : ce forum est une discussion sur l'article ; si vous voulez publier un texte conséquent, rendez-vous dans l'Espace rédacteurs et proposez un article ; si vous voulez publier un texte sans rapport avec cet article, trouvez un forum adapté ...
- de même, les messages se réduisant au copié-collé d'un article publié ailleurs seront supprimés ; les citations ne sont pas interdites, mais le forum est un espace d'expression personnelle.
Répondre à cet article
|
-
Quelques nouvelles
5 mars 2004, par
Voici un extrait de la newsletter de l’appel des inrocks, du 4 mars 2004 :
Deux semaines après son lancement dans Les Inrockuptibles, l’appel contre la guerre à l’intelligence a recueilli plus de 70 000 signatures et entraîné des réactions en chaîne : adhésions enthousiastes, jugements critiques, lectures biaisées, nouvelles prises de parole. Pour accompagner ces débats, Les Inrockuptibles (qui publient cette semaine une liste de 50000 premières signatures) lancent une newsletter hebdomadaire à l’adresse des signataires
-
> L’appel des Inrocks
5 mars 2004, par Olivier
Oui la culture est un problème majeur de notre temps, peut être le plus important d’ailleurs... On peut contester que "l’Etat providence" fait tout en ce moment pour détruire "l’intelligence". Il y a beaucoup de choses à dire sur ce sujet. Qu’est-ce que le Culture, la vie spirituelle, le "développement personnel" ou le partage des connaissances ? Tellement de questions possibles...Est-ce que l’Etat est légitimement fondé à s’occuper de la culture ou de l’intelligence ? Est-ce que la culture et "l’intelligence" désignent le même concept ? Est-on plus "intelligent" en tant que membre d’une élite politique ou économique qui domine le monde au sein justement d’une "mondialisation élitaire" ? Essayons de répondre à ces questions, tout en sachant qu’il n’y a pas une réponse unique (dans et ordre d’idée, un homme ne serait pas un homme si il n’y avait pas les pierres, les plantes, les animaux ; nous leur devons la vie à eux aussi !Tout est lié...) Je propose une certaine lecture de la réalité sociale (je ne l’ai pas inventé mais je suis d’accord avec) : on peut voir la société, l’organisme social comme un ensemble dynamique et vivant constitué et triarticulé par trois membres autonomes et interdépendants à la fois : l’état (la vie juridique, le droit), le marché (les entreprises, les activités économiques) et la société civile (les individus, les "citoyens", les ONG, les associations...). Tout le monde voit rapidement ce qu’est le marché ou l’état. Encore que trouver la juste place du marché ou de l’état dans nos vies semble bien une tâche ardue de notre temps ! Et la société civile, comment la définir, déterminer son identité ? A quelle sphère appartient-elle ? L’économie, le droit, la culture sont en danger ! Pourquoi ? Le néolibéralisme mondialisé (selon la "science économique" établie, la "loi du marché", la "compétitivité", la "concurrence", la "sélection naturelle" remaniée pour l’économie, bref la guerre économique et la loi du plus fort constituent la vision "néodarwinienne" d’une économie qui oublit que son objectif principal devrait être la coopération et la satisfaction de tous les besoins humains vitaux et non superflus, POUR TOUS LES HUMAINS...) dérive et nous emporte avec lui...Accrochons nous ! N’avons nous pas justement une certaine compréhension, une certaine éthique potentielle, des valeurs culturelles (coopération, entraide, solidarité, fraternité, ouverture....)pour humaniser l’économie ? De plus, il faut bien voir que cette situtation est orientée et dirigée par des élites, des technocrates, des égoïstes...Eux en profitent : 400 riches personnes ont aujourd’hui autant d’argent que 2,5 milliards de gens sur la Terre ! Alors réveillons nous ! Et c’est ce que nous faisons plus ou moins...Mais si on résoud pas le problème de la culture, on n’avancera pas plus loin, enfin je ne lis pas dans l’avenir. D’autre part, l’Etat a clairement aujourd’hui une politique néolibérale capitalistique qui engendre la misère...Alors qu’il devrait gartantir l’égalité dans les relations humaines. Il faut changer le droit, ou se le réapproprier, ou encore faire revivre ce qui est légitime par exemple dans la déclaration des droits de l’homme ! Les lois devraient servir à garantir l’égalité (par exemple dans les relations humaines au travail). La société civile appartient, non pas au domaine économique ou politique, mais bien à celui de la "culture". La manière dont chacun détermine aujourd’hui la culture change ou peut changer plein de choses...Par exemple, si vous avez une culture matérialiste qui cherche à s’imposer dans le monde par la force, la technologie, etc., vous avez alors la destruction des cultures traditionnelles et ancestrales, notamment les populations indigènes ! l’égoïsme, l’hédonisme, le modernisme, le "progrès" deviennent alors des normes, des dogmes, "inintelligents" comme on dit. Pourtant...la culture pourrait être le terreau, le ferment, la graine qui ferait germer un nouvel ordre social( on peut penser par exemple à l’ordre qui règne dans un orchestre symphonique où chacun fait attention à l’autre et où l’harmonie règne...) où l’état et la vie juridique tendraient vers l’Egalité, le marché et les entreprises humanisées vers la Fraternité,et enfin la société civile et la culture vers la Liberté...La liberté de la culture est bien ce que nous devons rechercher aujourd’hui...Ce n’est pas à l’état ou à l’économie de dicter à l’être humain son comportement ou sa manière de penser, etc. Non, nous avons une volonté, un sentir, un penser et nous pouvons rechercher à développer notre conscience (je n’ai pas dit notre cerveau, ni notre "intelligence" ; qu’est-ce que l’intelligence ?) pour améliorer le monde et nous-même, les humains...Bravo pour votre article et aussi à tous ceux qui se posent des questions, notamment sur la culture...noble activité humaine (le savoir, les idées, l’art, la religion...).
|