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"Acquis sociaux" : Rien n’est jamais acquis ! |
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« ACQUIS SOCIAUX » : RIEN N’EST JAMAIS ACQUIS !
Le 15 mars 1944 le Conseil National de la Résistance adoptait un programme militaire, économique et social. Ces deux derniers volets allaient constituer les principes de la reconstruction nationale et déterminer une grande partie de la vie économique et sociale durant le demi siècle qui allait suivre. Ils allaient surtout constituer l’ossature d’une véritable « philosophie économique et sociale » qui plaçait, dans le cadre du système marchand, au centre de la problématique économique, l’intérêt général (nationalisations, service public), mais aussi la solidarité (retraites, sécurité sociale,...)... un défi qui n’a pas résisté aux lois implacables de ce système.
Que reste-t-il et que peut-il rester des mesures prise à cette époque dans des circonstances exceptionnelles ?
QU’EST CE QU’UN « ACQUIS SOCIAL » ?
C’est une conquête sociale, c’est-à-dire un avantage social qui a été obtenu généralement par la lutte, en faveur des salariés et qui a été entériné soit par le droit social, soit par des accords de branches ou conventions collectives. C’est un « progrès », une « avancée », une amélioration par rapport à la situation antérieure, qui doit être à la fois exemplaire et porteur d’avenir en vue d’autres conquêtes. Au sens large ce sont des mesures qui portent aussi bien sur les augmentations de salaires, les conditions de travail, la protection sociale, mais aussi sur des transformations structurelles (aux conséquences sociales évidentes) de l’appareil économique comme la création d’entreprises de services publics (voir par exemple le programme économique et social du Conseil National de la Résistance-CNR). Cette définition correspond à celle que peuvent en donner les salarié-e-s... mais ceux qui ont été contraints d’accorder cet acquis raisonnent de manière différente. Pour eux, un acquis social peut-être une « réforme » qui a été imposée par un rapports de force auquel ils ont du céder (grève, occupation,...), soit également à une mesure préventive pour désamorcer un conflit (cas des assurances- vieillesses accordées par Bismarck au 19e siècle aux ouvriers allemands pour « couper l’herbe sous les pieds » des sociaux-démocrates), soit parce que la mesure est opportune pour relancer l’économie (le fordisme).
LES « ACQUIS SOCIAUX » SONT-ILS DEFINITIFS ?
A l’échelle d’une vie humaine ils peuvent le paraître, mais en fait, à l’échelle des intérêts historiques d’un système ce n’est pas du tout le cas. Nous venons de le voir, les « acquis sociaux » sont conquis à l’occasion de divers évènements de l’Histoire, les conjonctures particulières, les crises et les conflits. Il est évident que les fluctuations et les changements dans le développement du système marchand influent sur la manière dont celui-ci va essayer de dépasser ses conflits et ses contradictions - en accordant ou en refus (en fonction de la seule considération de ses intérêts) des « avancées sociales ». Une fois acquises, ces « avancées », du moins de la part des salariés, sont considérées comme définitives, s’intègrent dans le « patrimoine de la collectivité ». Ainsi, salaire minimum, congés payés, retraites, protection sociale, service public,... sont devenus plus de que mesures, presque des valeurs qu’il est impensable, dans la conscience collective, de remettre en question.
Croire au caractère définitif des « acquis sociaux », c’est croire que le système marchand est enfin arrivé au sommet de son développement qui serait d’assurer le « bien être général ». Or, rien n’est plus faux. Ce système n’a jamais eu cet objectif. Sa vraie finalité c’est : la valorisation du capital... l’utilisation de la force de travail n’étant qu’un moyen. On doit donc considérer les « acquis » comme des concessions faites à un moment donné soit par la pression des salarié-e-s, soit par l’opportunité. En fait, rien n’est définitif...
C’est cette douloureuse constatation que nous sommes en train de faire aujourd’hui à propos du droit du travail, des retraites, de la protection sociale, des services publics, de la santé,...
Le système marchand ne reculera devant rien pour assurer historiquement ses intérêts.... Ne pas le comprendre c’est accepter de se laisser encore plus instrumentaliser par lui.
LES « ACQUIS SOCIAUX » SONT-ILS NEGOCIABLES ?
Il est juste de renvoyer la question à celles et ceux qui en bénéficient.
Dans le système salarial, le premier combat que mène le salarié c’est celui de l’amélioration de ses conditions de travail en particulier, et de vie en général.... Une fois acquis de nouvelles conditions, il est difficile d’envisager un retour en arrière.
Cela dit, affirmer que les « acquis sociaux » ne sont pas négociables est une condition nécessaire de leur maintien, mais largement insuffisante. En effet, il est nécessaire de se convaincre qu’il est inconcevable d’accepter une « baisse de qualité de vie », surtout dans un monde qui a les moyens techniques de satisfaire l’ensemble des besoins. Mais l’affirmer, le proclamer, le manifester n’est pas suffisant, encore faut-il contrer concrètement le système dans sa volonté de les détruire. Le problème est donc essentiellement politique (au sens large).
Dire que les « acquis sociaux » sont négociables, ou peuvent faire l’objet de négociations, c’est, de facto, reconnaître qu’il sont à mettre au service (puisque remis en question) d’une rationalité autre que celle qui les fondent : l’intérêt général. Or cette autre rationalité ne peut-être que celle qui fonde le système marchand : la valorisation du capital. Autrement dit peut-on remettre en question l’ « intérêt général » au nom des « intérêts du capital » ? C’est comme cela que la question se pose et s’est toujours posé depuis le 19e siècle.
Le problème qui se pose aujourd’hui, c’est que les forces politiques susceptibles d’être au pouvoir et quand elles sont au pouvoir, refusent de poser le problème en ces termes et servent aux citoyens une espèce de « soupe théorique » qui mélange, à dessein, tout et aboutit à ce que nous connaissons aujourd’hui : le sacrifice de l’intérêt général sur l’autel de la valorisation du capital.
Les « acquis sociaux » ne sont donc évidemment pas négociables... c’est la finalité du système marchand qui est à remettre en question.
LE FALLACIEUX PRETEXTE DE LA « MODERNITE »
Les « acquis sociaux » seraient des privilèges, seraient passéistes, voire ringards ( ???)... bref, ils ne seraient pas adaptés à une économie moderne. Et pour en rajouter, les gestionnaires de l’économie marchande culpabilisent les bénéficiaires de ces acquis, en les comparant à celles et ceux qui n’y ont pas accès... aussi bien au niveau national qu’à l’international. Autrement dit la lutte pour la défense des « acquis sociaux » serait immorale ( ???) puisque entérinerait une inégalité. Ainsi ce ne serait pas le système marchand qui produirait les inégalités mais celles et ceux qui veulent améliorer leurs conditions de vie ( ???) .... Extraordinaire manipulation et qui dans pas mal de cas, fonctionne !
Mais qu’est ce qu’une « économie moderne » ? Ce serait une économie dans laquelle les lois du marché dicteraient strictement les conditions de la production et de répartition des richesses. Tout ce qui est intervention des pouvoirs publics, intervention citoyenne,... sont strictement prohibées et jugées néfastes car contraires ou entravant les lois (décrétées naturelles) du marché.
Donc pour « être moderne », il faut se plier aux lois du marché... et qui ne veut pas être moderne ? Qui veut se complaire dans le passé ? Qui n’a pas le courage d’envisager l’avenir ? Dit comme cela, personne évidemment... donc, vous savez ce qui vous reste à faire : ne croyez qu’au marché, ne faites confiance qu’au marché... Ainsi une nouvelle religion (la « pensée unique ») est née : la modernité qui désarme le salarié et le soumet intégralement au marché. CQFD.
Il ne reste plus qu’à prendre ces mesures « modernes » :
Déréglementer (en particulier le marché du travail-salaire minimum, conventions collectives...) livre ainsi les rapports de production et les relations sociales aux seules lois du marché, fragilisant voire détruisant les « acquis ». La privatisation est une manière indirecte d’abolir le service public, supprimant le contrôle de la collectivité et livrant le capital de l’entreprise aux seules lois de la rentabilité. Capitaliser les retraites substitue la recherche du profit financier à la solidarité intergénérationnelle. De même, rentabiliser les services de santé livre celle-ci aux lois du capital....
Tout cela a des conséquences que l’on peut facilement imaginer... mais c’est paraît-il très moderne (sic).
Les « acquis sociaux » sont-ils irrémédiablement condamnés ?
On pourrait répondre à cette question par : dans l’Histoire rien n’a jamais été et n’est irrémédiable.
Cependant, en l’absence d’un sursaut collectif, leur condamnation est quasiment assurée. Se battre pour les conserver va bien au-delà de la sauvegarde de mesures sociales, ou de défense d’intérêts sectoriels, c’est l’expression d’une éthique qui s’oppose à celle de l’économie de marché Ce n’est pas, et tout le monde en est conscient, avec de simples protestations que nous parviendrons à nos fins, mais en mettant dés à présent en chantier une pratique alternative à l’échelle de l’Europe (voir l’article TRANSITION).
Si l’on échoue aujourd’hui, il faudra de toute manière les reconquérir... mais à quel prix et avec quelles garanties de les conserver cette fois définitivement ? Ce n’est qu’en dépassant le système marchand qu’on pourra y parvenir... alors il ne s’agira plus d’ « acquis » toujours menacés, mais d’une société nouvelle.
Patrick MIGNARD
Patrick MIGNARD
Création de l'article : 8 avril 2004
Dernière mise à jour : 8 avril 2004
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