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« La loi est dure, mais c’est la loi »
Le rapport à la loi, et à la légalité en général est au cœur de la problématique du changement social. Le respect de la loi est-il incompatible avec le changement social ? Si oui, le changement social est-il alors plus légitime que la loi au point de pouvoir, devoir, la transgresser ? Ces questions fondamentales, essentielles sont aujourd’hui totalement ignorées par les forces politiques qui n’envisagent, que de manière purement symbolique, et propagandiste, le « changement ».
Le respect de la loi est à la base de tout ordre social. Autrement dit respecter la loi c’est se soumettre à un ordre social et donc corollairement, si l’on respecte strictement la loi, n’y a aucune chance de changer l’ordre social ? Ceci pose, bien entendu, le problème de la légalité en matière de changement et donc de l’action illégale.
QU’EST-CE QUE LA LOI ?
La loi est une règle de vie qui organise un groupe social. Elle se fonde sur une éthique, sur des principes, sur des valeurs quelle exprime sous la forme d’un code qui engage les membres de la collectivité. Mais elle est plus que ça. Elle est un produit de l’évolution sociale, elle est l’expression de la manière dont les sociétés se sont organisées, à un moment donné de leur évolution, et codifie, à ce moment, le principe de l’organisation adoptée et au départ, dans l’Histoire, le mode de possession de la terre, principale ressource des richesses. Par extension le domaine de la loi concerne tous les actes de la vie économique et sociale... et par là même « stabilise » un état de fait économique et social, qui devient un « état de droit » déclaré implicitement et souvent explicitement immuable. Certes quelques lois peuvent changer, des lois mineures, mais l’essentiel lui est déclaré intouchable.
Quel est cet essentiel ? Tout ce qui concerne l’organisation économique et sociale et d’abord tout ce qui concerne la manière de produire et de distribuer les richesses. Aujourd’hui (comme hier d’ailleurs), la manière de posséder, de profiter, de répartir... bref de faire en sorte que se reproduise ce qui, économiquement et socialement, existe sans qu’on le remette en question.... Aujourd’hui ça veut dire concrètement : la possession de l’outil de production, la liberté d’embaucher et de licencier, la liberté de posséder le superflu même si aux autres il manque l’essentiel, la liberté d’épuiser les ressources naturelles, de détruire l’environnement,...
Certains diront, « mais la loi n’est pas que ça »... c’est vrai mais c’est essentiellement ça... le reste, les lois mineures, ne sont que des aménagements sans importance au regard de ce qui se joue socialement. Exemple ? La loi qui interdit de faire du bruit après 22 heures... celle là on peut effectivement la modifier... ça ne changera rien à la société (« on peut repeindre les volets, ça ne change pas l’architecture de la maison ! »)
La grande astuce du système, de tous les systèmes, c’est qu’ils mélangent tout, à dessein. La loi serait « LA LOI », seule et unique... et au nom du refus du chaos, il faut respecter « LA LOI »... c’est-à-dire « toutes les lois », sans distinction, justifiant par la même l’impératif de respect de l’ordre existant, de l’essentiel de ce qui constitue cet ordre.
La loi est-elle indispensable ? S’il s’agit de la règle collective, la norme qui organise les rapports inter individuels dans une collectivité, on peut difficilement nier son utilité. Mais en fait, nous l’avons vu, la loi n’est pas que ça, n’est pas qu’une modalité d’organisation, elle est l’expression d’un rapport social, d’une organisation sociale produit de l’évolution historique. C’est cette dernière caractéristique, qui donne tout son sens à la loi, qui est systématiquement minorée.... Et pour quoi est-elle ainsi minorée ?... parce qu’elle montre que la loi n’est pas aussi neutre que l’on voudrait nous le faire croire au regard du système d’organisation sociale.
DE LA VALEUR A LA LOI
Ce qui légitime symboliquement le plus la loi c’est la valeur morale sur laquelle elle se fonde, plus que la légitimité de l’autorité qui la promulgue. La légitimité est une référence tout à fait relative. Ainsi, à travers l’Histoire les lois se sont fondées sur des principes déclarés, justes, naturels, divins, moraux, ... Il ne s’agit d’ailleurs pas que la loi soit conforme aux préceptes de la valeur, la référence suffit. Exemple ? L’Inquisition, et elle n’est pas la seule, qui commettait des crimes (légitimes) au nom d’un principe (l’amour de son prochain).
Le principe de la référence à la valeur suffit,... le reste n’est qu’une question d’adaptation et d’interprétation... autrement dit, on peut faire n’importe quoi, la référence à la valeur donne une sorte d’absolution morale.
La Révolution Française n’a pas trop innové en matière de relation entre loi et valeur. Au niveau des conséquences concrètes on retrouve les mêmes paradoxes et les mêmes contradictions. Ainsi « Liberté-Egalité-Fraternité »... n’a empêché ni le colonialisme, ni les guerres, ni l’exploitation salarié, ni la misère, ni... Autrement dit , les valeurs morales, l’éthique, qui président à la constitution de la règle de droit , ne sont pas tout à fait nouvelles. La véritable nouveauté (encore que pour les femmes il faudra patienter jusqu’au milieu du 20e siècle) réside dans la notion de citoyenneté... qui n’a pas le même contenu que la citoyenneté romaine.
Le corpus juridique issu des « Lumières » et des transformations politiques et sociales du 18e siècle a jeté les bases d’un système qui fait des valeurs de base une interprétation très particulière qui correspond,... comme par hasard, aux intérêts de la classe marchande qui prend le pouvoir. Ainsi, la « Liberté » sera surtout la liberté de commerce, d’entreprendre, de disposer d’une force de travail ou de la licencier,.... L’ « Egalité » sera, en principe, devant la loi et au moment du vote des représentants , mais certainement pas en fonction des besoins de chacun,... quant à la « Fraternité »,... sans commentaire.
On peut aujourd’hui évaluer le décalage entre la loi, le contenu de la loi, l’application de la loi et les valeurs qui sont censées la fonder.
Reste la légitimité de la loi qui, au 18e siècle, devient réellement populaire.
DE LA LEGITIMITE DE LA LOI
La légitimité populaire de la loi, du fait de la légitimité populaire de ceux qui la promulguent, n’est manifestement pas suffisante pour en faire, de la loi, une valeur définitive et absolue et surtout exempte de contradictions et de contestation... l’exemple nous en est fourni tous les jours . Pourquoi ? Pour deux raisons :
ce n’est pas parce que le législateur a une légitimité populaire que le rapport qu’elle exprime est exempt de contradictions. Exemple ? le salariat, représenté par un système de démocratie représentative (ce qui est le cas de la plupart des pays développés), n’en demeure pas moins un rapport social inégalitaire, instrumentalisant les individus, les excluant et générant perpétuellement des conflits (voir l’article « VIOLENCE ET CHANGEMENT SOCIAL »).
un rapport social évolue et ses contradictions initiales deviennent de plus en plus insupportables. Exemple ? Toujours le salariat qui, quoique contesté n’a jamais été remis fondamentalement en question dans les pays développés et ce pour une raison simple : il créait du lien social et améliorait la condition des salariés... aujourd’hui, ce n’est plus le cas il s’avère incapable d’assurer cette mission de cohérence sociale (voir l’article « DECADENCE »)
Ainsi, légitimité de la loi et expression de la loi, en tant qu’expression du rapport social, entrent en conflit... par exemple au moment d’un licenciement. On dit alors que la loi est « injuste »... peut-être,... mais elle est « légitime »... et toute révolte contre la loi est considérée comme une remise en question de sa légitimité, ce qui, dit autrement, est une atteinte à la volonté populaire.... Ça peut paraître bizarre mais c’est ainsi !
Le problème c’est que, formellement, ce raisonnement est juste. L’autre problème c’est que, ce n’est pas parce qu’il est juste qu’il explique comment doit se résoudre la contradiction. Côté pouvoir, c’est-à-dire garant de l’application de la loi, c’est la rigueur de la sanction au regard du contrevenant. Côté contestation c’est l’établissement d’un rapport de force pour faire accepter par le pouvoir la transgression de la loi, soit l’obliger à la changer.
Sur des questions non essentielles, c’est à dire ne remettant pas en question les fondements du système, un rapport de force peut faire céder le pouvoir quant à l’application de la loi. Par contre sur des questions essentielles, comme l’expression juridique des fondements du système (aujourd’hui : propriété privé des moyens de production, salariat,...) il est évident que le pouvoir ne peut pas céder et utilisera tous les moyens (légaux et illégaux) pour résister à la contestation. D’ailleurs, l’Etat (même dans une forme dite démocratique) n’hésite pas à violer sa propre légalité lorsque les intérêts, matériels, ou idéologiques du système, dont il est le garant, sont en jeux... il a pour cela différents prétextes : raison d’Etat, secret défense, secret des archives,... ou aucune explication (enterrement de l’affaire).
La loi n’est donc ni une norme arbitraire, ni un absolu au service d’une cause moralement juste... elle est une production sociale et correspond à des intérêts économiques et politiques. A ce titre elle doit être considérée comme un moment de l’histoire de la société ce qui relativise sa signification et sa portée. Elle est à la fois dérisoire, au regard de l’Histoire, mais aussi déterminante pour le système qu’elle codifie et dont elle assure la stabilité. La loi a tendance à figer le rapport social alors que celui-ci est essentiellement dynamique... au point de constituer l’Histoire. Changer c’est relativiser la loi. C’est cette opposition entre le conservatisme juridique et la dynamique sociale que nous examinerons dans le prochain article.
Patrick MIGNARD
Patrick MIGNARD
Création de l'article : 9 mai 2004
Dernière mise à jour : 9 mai 2004
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> Dura lex, sed lex (1)
17 novembre 2004, par
La légitimité (1)
Comme l’intelligence, la légitimité ne se décrète pas, elle n’est pas davantage le fruit de la volonté populaire que de celle d’un monarque monocéphale ou polycéphale. La légitimité c’est la conformité à la LOI, celle qu’on ne vote pas, celle qu’on ne décrète pas, mais celle que dicte la conscience ontologique des choses. On peut comprendre ou ne pas comprendre qu’il existe une LOI inscrite dans l’ipséité et qui est immuable comme celle-ci. Ainsi, c’est la LOI du cercle de maintenir une égale distance de son centre aux points de sa circonférence sous peine d’exclusion de la circularité. Comme le cercle, l’Homme a sa LOI, hors de laquelle on quitte le statut d’Homme pour sombrer dans l’infrahumain et s’approcher du chaos. Il y a dans l’être humain la possibilité de l’Homme, la possibilité, mais ce n’est pas gagné d’avance ; l’humain doit être édifié selon sa loi d’édification pour devenir l’Homme. A priori, ceci est un avis, et il y en a d’autres, cependant, l’intérêt intellectuel d’un avis est proportionné au discernement qui le sous-tend, nous nous intéresserons donc tout d’abord au discernement lui-même. Le rationalisme, c’est la pensée du « donc », lequel entend signifier une preuve ; ce qui n’a rien à voir avec les certitudes innées consubstantielles à l’intelligence pure. Mais y a-t-il des certitudes consubstantielles à l’intelligence ? Supposons un seul instant qu’il n’en soit pas ainsi et que nous exigions que tout nous soit rigoureusement démontré. Nous voici donc engagés dans une démonstration très sérieuse : étant donné que...donc...mais étant donné que quoi ? Puisque rien n’est donné ! Il y a ici, plus qu’on ne croit, matière à méditer...de quoi démasquer le préjugé d’un vide initial, l’arbitraire d’une absence d’être, supputée par ceux dont l’insensibilité postule dogmatiquement ce néant. C’est l’être indémontrable consubstantiel à l’intelligence qui crée la possibilité du raisonnement et par conséquent de la démonstration. Déjà on ne prouve pas le syllogisme, mais on prouve grâce à lui, et le syllogisme lui-même serait une drôle d’absurdité en l’absence des vérités initiales susceptibles de le mettre en œuvre. Toute démonstration se fonde sur ce qui ne se démontre pas. Je n’ai pas dit : à partir d’hypothèses ou de suppositions, qui offrent elles seulement des conclusions logiques. Rigoureusement, il n’y a démonstration, c’est-à-dire reconnaissance du caractère véridique de la conclusion que dans la mesure où le point de départ n’est pas hypothétique mais est lui-même véridique. Ceci implique que la dogmatique est une dimension irrévocable de l’intelligence. Nous disons même que l’intelligence est dogmatique ou elle n’est pas. Dans un même ordre d’idée, c’est l’indiscutable qui rend possible la discussion, d’autant qu’intellectuellement, seule la possibilité de la certitude justifie l’interrogation ! Cette évidence qui va à contre courant du subjectivisme relativisant très en vogue au sein de l’intelligentsia contemporaine, risque d’en irriter plus d’un, mais, jusqu’à nouvel ordre, l’irritation ne fait pas partie du répertoire des arguments intellectuels , qui seuls nous intéressent ici. Quoi qu’il en soit, il convient de saluer les efforts de tous ceux qui essayent honnêtement de comprendre et de faire comprendre le monde dans lequel nous vivons. A ce titre, Monsieur Mignard est sans doute exemplaire. Sa démarche procède d’un indéniable souci d’efficacité, visant une stratégie dont la mise en œuvre, fait appel à une logique élémentaire, donc accessible à une majorité. Cette attitude mérite notre estime, tout d’abord pour la sincérité qui s’en dégage. Monsieur Mignard a voulu faire simple et c’est son droit, mais la simplicité a des droits dont les limites sont fixées par la vérité. Pour ma part, compte tenu de la complexité du sujet que je ne saurais ignorer, je crains d’être obligé de satisfaire des exigences intellectuelles moins populaires et par conséquent moins accessibles au grand nombre. La dogmatique ou l’axiomatique si on veut, c’est l’indémontrable qui rend possible la démonstration et c’est l’indiscutable qui permet la discussion. Mon propos ne s’adresse qu’à ceux qui reçoivent ces prémisses. On peut certes rejeter telle dogmatique, mais non la dogmatique comme telle, car une telle attitude serait, qu’on le veuille ou non, paradoxalement : dogmatique ! En outre, l’absence de toute dogmatique rendrait caduque la possibilité du raisonnement comme nous l’avons vu précédemment. A ce niveau, il devient utile d’énoncer quelques éléments de dogmatique nécessaire à l’intelligibilité de ce qui suit. Je postule que toute contestation intellectuellement légitime s’inscrit dans un sens de la hiérarchie en dehors duquel il n’y aurait rien à contester. Je postule que la hiérarchie est indissociable d’une référence, et que la référence ne peut fonctionner en tant que telle, que si elle est indiscutable. C’est un truisme que l’effort mental n’est pas forcément récompensé par la perception du réel ; l’esprit le plus habile peut véhiculer la pire erreur. Le phénomène paradoxal d’une intelligence "géniale" véhiculant l’erreur, résulte de la possibilité de principe, largement réalisée en fait, d’une opération abusivement "horizontale" du fait d’un manque de conscience des rapports "verticaux", et par conséquent, privée de considérations essentielles. L’exclusivisme de "l’horizontalité" crée un vide que l’arbitraire vient nécessairement remplir. C’est tout le malheur de la pensée contemporaine dont l’évolutionnisme offre un exemple patent
Cette activité mentale intense reste si on veut de l’intelligence, mais c’est une intelligence décapitée, et c’est pourquoi elle s’accompagne de résultats si inhumains. C’est le sens de la vie lui même qui a été perdu de vue, cependant que ce sens est une vérité consubstantielle à l’intelligence primordiale dont les hommes ont un urgent besoin. Vivre c’est symboliser. Symboliser c’est exprimer l’Infini dans le fini, l’Absolu dans le relatif, l’Eternel dans le temps, le Soi dans le moi. La mort spirituelle, c’est la rupture de cette dévotion. Ce qui fausse les interprétations modernes du monde et de l’homme à leur base même, c’est l’ignorance volontaire ou non, des degrés suprasensibles de la Réalité. C’est là un constat qui s’impose à quiconque ne réduit pas son intelligence à n’être qu’une simple logicienne de l’expérience sensible. Une science purement physique est d’autant plus dangereuse qu’elle est vaste, elle ne peut conduire qu’à la catastrophe sous forme cataclysmale ou par dégénérescence et probablement par conjugaison des deux. La manie de tout enfermer dans les limites de la causalité "naturelle" et "horizontale", inséparable d’un impérialisme mental : la volonté de dominer par la logique, empoisonne littéralement l’intelligence et produit ,entre autre, le psychologisme aussi bien dans l’ordre individuel que dans l’ordre politique, c’est à dire le préjugé anthropomorphique profane.Tout devient alors inventions et constructions, élaborations contingentes : La Révélation est de la poésie, les Religions sont des idéologies politico-économiques, les Sages sont des "penseurs" et des "chercheurs" voire des politiciens démagogues ou de naïfs illuminés...il n’y a aucune limite à cette déraison , le sens des proportions ayant volé en éclats en même temps que la conscience de la hiérarchie. C’est alors que la place est faite pour l’instauration d’une fausse hiérarchie, ce qui est la caractéristique spirituelle essentielle du monde moderne. Soyons donc logiques, mais comprenons tout d’abord que la logique hérite en fait du Logos par diffraction dans la substance humaine, comme l’arc-en-ciel hérite de la lumière blanche qui siège au-dessus de l’humidité qui le révèle. Quelle ironie du sort, que de voir un arc-en-ciel nier l’existence de la lumière blanche ! à suivre
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