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Le totalitarisme marchand |
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Matière à réflexion
Patrick Le Lay, PDG de TF1, a déclaré : « A la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. Or, pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont vocation de le rendre disponible. C’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du cerveau humain disponible ».
Cette déclaration, qui entrera, à n’en pas douter, dans une anthologie des moyens de communication au 21e siècle, reflète une profonde vérité. Elle illustre les conditions sociales modernes des conditions de la réalisation de la valeur marchande.
Elle illustre mieux que de longs discours ce qu’est le règne de la marchandise au faîte de sa domination.
DE LA PUBLICITE A... LA MANIPULATION MENTALE
Notre cerveau ne serait, aux dires de Monsieur LE LAY « pas disponible », puisque, comme il le dit il s’agit « de le rendre disponible ». Mais qu’est ce qu’un cerveau « non disponible » selon lui ? C’est certainement un cerveau autonome, qui réfléchit, qui se pose des questions, qui est capable de dire « oui » ou « non »... autrement dit un cerveau libre... un esprit libre. Or cette situation est intolérable au regard des exigences de la marchandise.
Le cerveau humain devient ainsi le support de la réalisation de la marchandise. Monsieur LE LAY enrichi l’analyse du concept de marchandise en introduisant une troisième dimension aux conditions de sa réalisation et donc de son existence. On connaissait la « valeur d’usage » qualité intrinsèque à l’objet et susceptible de satisfaire le besoin, la « valeur d’échange » qui fait de la marchandise la « cristallisation » de la valeur travail... il rajoute la condition sociale de la réalisation de la valeur.
On savait jusqu’à aujourd’hui que le « besoin » déterminait l’ « achat » permettant ainsi la réalisation de la valeur. Ce besoin pouvait être « aidé », « forcé », surdéterminé par la publicité qui, sous couvert d’information conditionnait, et conditionne toujours, à l’achat (voir aussi l’article « LA PUB OU LA VIE »). La publicité agit sur un objet extérieur à la conscience pour séduire cette dernière... il y a donc, encore, un part de libre choix : on peut refuser la publicité, ou du moins ce qu’elle veut nous faire faire.
Une étape nouvelle est franchie avec les révélations du PDG de TF1. On n’agit plus désormais sur l’extérieur du cerveau, mais carrément sur le cerveau lui-même. On manipule tout simplement le mental.
Monsieur LE LAY reconnaît ainsi, explicitement, l’aliénation de la liberté individuelle à la domination de la marchandise. On ne sollicite plus le cerveau en lui présentant la marchandise, quitte pour lui de se déterminer « librement » pour l’achat ou le « non achat », mais on transforme le cerveau au point de le rendre disponible à une sollicitation extérieure. La manipulation mentale est ici explicitement reconnue.
Il s’agit d’une véritable entreprise de formatage du cerveau.
Les véritables usagers de la télévision ne sont pas les téléspectateurs comme vous et moi, mais les annonceurs publicitaires. C’est à eux que s’adresse la chaîne, c’est pour eux qu’elle existe, c’est à eux qu’elle vend et ce sont eux qui achètent... et il se vend et s’achète quoi ? des cerveaux formatés, nos cerveaux. Formatés pour quoi faire ? pour acheter . Ainsi la boucle est bouclée. La marchandise verrouille tout le processus. Ce n’est pas nous qui instrumentalisons la marchandise, comme on le croit, mais c’est elle qui nous instrumentalise... le mythe de la télévision « librement disponible » entretenant l’illusion.
LA MACHINE A DECERVELER
L’aveu est de taille : la télévision n’est pas un instrument d’information. On le savait mais le fait est reconnu et pas par n’importe qui.
L’information n’est plus qu’un prétexte, un moyen pour prédisposer le cerveau à l’achat.
On comprend dés lors que les notions d’ « objectivité », de « rigueur », de « sérieux » de l’information n’ont aucun sens. L’information, du moins telle qu’on l’entend généralement, elle même n’a aucun sens... elle n’est qu’un élément, un instrument, du formatage du cerveau. On peut même se poser la question de savoir si l’information est finalement utile... à quoi cela sert-il d’informer ? Un « cerveau disponible » au sens de Monsieur LE LAY a-t-il besoin d’être informé ? A quoi cela lui sert-il ? Au contraire, un cerveau bien informé risque de ne plus être disponible, il risque de produire un « esprit libre ».
On comprend désormais pourquoi les politiciens, qui font un usage immodéré du marketing, se précipitent dans les émissions « people » où ils peuvent s’exhiber entre deux messages publicitaires. Ils participent eux aussi à la « mise à disposition » des cerveaux pour les prochaines élections... ils « divertissent et détendent » les cerveaux-citoyens qui, comme on peut le constater, font régulièrement les « bons choix »... on vote comme l’on achète.
On comprend pourquoi le service public de l’audio visuel est menacé. Un « service public » a en principe des exigences de qualité, une éthique, bref tout ce qui est dangereux pour la marchandise... Il est temps de passer du « service public » au « service marchand »... patience, ça vient !
Les esprit chagrins qui voyaient dans la multiplication des messages publicitaires une dégradation de la télévision peuvent être rassurés : ce n’est pas la publicité qui pollue la télévision, c’est ce qu’il y a entre les messages publicitaires. La télévision et la publicité ne font qu’un, elles ne sont que les deux faces d’une même chose : la marchandise.
La télévision est devenue, sous le règne de la marchandise un véritable cancer social qui étire ses métastases dans le moindre foyer, atteignant du nouveau né au vieillard l’ensemble de la population. Instrument extraordinaire de communication, elle est un extraordinaire instrument d’asservissement.
Et les journalistes ? Il est en effet curieux que les journalistes n’aient pas réagi violemment à de tels propos. Silence total de la part de gens qui ont pourtant pour métier de s’exprimer. .Peut-être sont-ils les premières victimes de ce formatage cérébral ? Peut-être sont-ils complices ? Peut-être ont-ils un « cerveau trop disponible » pour émettre la moindre observation !
Patrick MIGNARD
Patrick MIGNARD
Création de l'article : 13 octobre 2004
Dernière mise à jour : 23 septembre 2004
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> Le totalitarisme marchand
14 novembre 2004, par
Cher Monsieur Mignard
Je viens de terminer la lecture d’une vingtaine de vos articles. On ne peut qu’applaudir à l’excellence de votre critique de la marchandisation de l’existence moderne. Vos articles sont brillants, et non seulement brillants, mais empreints d’une rare lucidité...horizontale. Vous portez un éclairage hors du commun sur les mécanismes sociaux qui font la trame de l’histoire, mais la chaîne de ce tissage complexe vous est moins perceptible.Votre analyse reflète une admirable rationalité qui a cependant l’inconvénient d’éblouir et de s’éblouir par sa propre cohérence. En effet, vous fonctionnez dans un système intellectualiste, qui, à l’instar de la société marchande que vous vilipendez, dispose de ses propres chiens de garde qui ne se nourrissent pas que de vérité. Personnellement, je suis convaincu de votre bonne foi, mais votre grande intelligence est malheureusement victime d’un sentimentalisme idéologique, qui compromet certains de ses jugements et génère quelques contradictions. Une première erreur dérive du réductionnisme qui affecte toute la pensée occidentale contemporaine dans sa tentation de scientificité, se traduisant en fait par un scientisme qui fait violence à la réalité en voulant la forcer arbitrairement à s’inscrire dans son champ d’intérêts ou d’observation. En particulier, votre formation de sociologue économiste, vous prédispose à réduire toute réalité qui comporte une dimension sociale, à la fonction qu’elle peut ou a pu remplir dans le champ socio-économique ou politique, c’est un fonctionnalisme peut compatible avec une conscience ontologique. Le fait qu’une chaussure puisse servir incidemment à enfoncer un clou n’en fait pas pour autant un marteau, ou que le discours soit si souvent au service de la démagogie, n’en fait pas une réalité démagogique...autrement, un homme tel que vous, ferait vœu de silence ! Pourtant c’est exactement cette erreur de jugement que vous commettez envers la religion ! Dans Violence et changement social, pensant sans doute à l’obéissance religieuse, avec une légèreté surprenante pour une intelligence par ailleurs si perspicace, vous condamnez la foi à n’être qu’un instrument d’exploitation, Les splendides cathédrales, les chefs-d’oeuvre architecturaux que sont les mosquées, et d’une manière générale, les incomparables réalisations artistiques et intellectuelles qui accompagnent les manifestations de la foi sous toutes les latitudes, sans même parler des saints et des sages, n’ont pas l’air de vous causer le moindre trouble, comme si une cause aussi mesquine que celle que vous envisager, pouvait s’accompagner d’effets si disproportionnés. Il faut sans doute aussi remarquer que les nouveaux stratagèmes du pouvoir n’ont rien de comparable, bien au contraire, à offrir comme effet...et pour cause ! Vos sarcasmes antireligieux semblent parfois verser dans l’incantation...pas magique du tout. Pour appréhender sans parti pris le phénomène religieux dans sa grandeur ontologique, Il est nécessaire d’offrir à votre intelligence la possibilité de s’exercer au-delà de la clôture arbitraire dans laquelle vous la confinez, en lui ouvrant le champ illimité de la causalité métaphysique. Le sentimentalisme qui vous tient et qui cause certains dommages bien regrettables à votre discernement, vous fait prendre fait et cause pour les opprimés avec tant de vigueur, que celle-ci emporte les gardes fous qui devraient vous évitez de verser dans la contradiction, et de conjuguer le constat d’un abrutissement généralisé de la population actuelle via les médias, avec un appel à l’exercice démocratique de la citoyenneté. Autant revendiquer l’instauration d’une « abrutissocratie » ! Il manque aussi, et ceci est capital, l’explicitation de l’anthropologie à laquelle vous vous référez, car vous parlez de l’organisation de la cité des hommes, mais on ne voit nulle part de quel homme vous parlez. Est-ce l’homme : élément d’une idéologie politique particulière, paramètre d’une « modélisation » qui doit fonctionner coûte que coûte ? Ou l’homme réel, reçu dans l’intégralité de son mystère et avec son indéfectible aspiration à la transcendance ?
Vous êtes vous demandé si la situation actuelle, que visiblement vous déplorer, pouvait ne pas advenir ? Et quels paramètres non humains sont susceptibles d’intervenir dans l’histoire ? Sans doute ignorez-vous que temps n’est pas homogène et qu’indépendamment de la volonté humaine, il y a des saisons historiques comme il y a des saisons climatologiques, et qu’aussi inexorablement que le froid s’installe et grandit quand vient l’hiver, l’homme est soumis à la dégradation qualitative du temps qui sécrète les évènements de saison. Peut-être ne savez-vous pas que l’histoire n’est que l’histoire d’une chute, semblable à la chute libre des corps pesants et donc soumise à une accélération constante qui produit un accroissement de la vitesse, laquelle atteint son maximum juste avant l’impact. Peut-être ignorez-vous que le temps n’est qu’une sorte de pourrissement de l’espace et que cette putréfaction tend vers une limite absolue qui est la fin d’un cycle de manifestation et le début d’un nouveau cycle quand le temps est brusquement changé en espace ? Ces étrangetés métaphysiques qui n’ont d’étrange que l’incapacité de ceux qui ne peuvent les saisir, expliquent pourquoi le monde est ce qu’il est, et pourquoi aucune volonté humaine, aucune pratique sociale, ne pourra se substituer à l’indispensable intervention divine de cette fin de cycle. Cependant Monsieur Mignard, sachez que vous avez logiquement raison, si on met en pratique vos recommandations nous irons vers un monde nouveau. Encore une fois, vous avez logiquement raison, mais la logique ne sera pas écoutée, elle ne le sera pas, parce que d’abord le Logos n’est pas écouté, c’est là l’origine de tous les désordres si on veut bien comprendre.
Au plaisir de vous relire, Un cerveau disponible pour la foi.
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