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Paradis fiscal, Enfer social |
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Les paradis fiscaux ont des conséquences sociales très néfastes. Pourtant, il existe des solutions.
Préambule :
Pour mieux comprendre les méfaits des paradis fiscaux, il est nécessaire de revenir à certains principes essentiels de nos sociétés et en particulier à l’article 13 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen :
Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés.
Les conséquences de cet article 13 sont essentielles à une véritable politique sociale. La fiscalité en est le corrollaire et permet d’assurer une meilleure répartition des richesses produites. Ainsi, l’éducation gratuite peut-elle être dispensée grace aux contributions financières de chacun via l’impôt. Les gros contributeurs - très aisés - assurent par exemple le financement de l’éducation.
Cet équilibre social est aujourd’hui remis en cause selon 2 processus principaux. Le premier est l’AGCS - Accord Général sur le Commerce et les Services [1] - visant à privatiser la quasi totalité des services publics. Le second est l’évasion fiscale avec les paradis fiscaux comme outil. C’est de ce deuxième processus dont il est principalement question ici.
Quelques mots sur l’AGCS : La privatisation des services publics entraîne un transfert de la fiscalité vers les bénéfices. Supposons par exemple que l’éducation devienne privé à cause de l’AGCS. Le financement aujourd’hui assuré par l’impôt sera alors transféré vers le porte-monnaie des familles. Ces familles n’auront certes plus d’impôt à acquitter mais en revanche, il faudra payer l’éducation des enfants (environ 10 000€ par an et par enfant de CM2). En revanche, les gros contributeurs d’aujourd’hui sont précisément ceux qui proposeront les services d’éducation. De contributeurs, ils deviendront bénéficiaires ! (Le gain est double !). L’éternel problème de partage des richesses, pourvoyeur des luttes sociales à travers les siècles précédents reste d’actualité sous une forme différente.
Pour comprendre les paradis fiscaux et les conséquences néfastes sur la société, le social, Nous étudierons dans un premier temps les mécanismes techniques à l’oeuvre, notamment dans les chambres de compensation internationales puis les conséquences diverses (au niveau des dictateurs, des mafias, de la criminalité, des politiques sociales et économiques) et imaginer des pistes pour des solutions.
Les chambres de compensation internationales
Les chambres de compensation internationales jouent le rôle de notaire pour les transactions financières. Il en existe 2 dans le monde : Euroclear à Bruxelles et Clearstream à Luxembourg [2] - paradis fiscal. - Le mécanisme de ces chambres de compensation, expliqué brièvement ci dessous, a été détaillé dans le livre de Denis Robert et Ernest Backes « Révélation$ » publié par « Les arènes » [3]. Cet ouvrage est complété par « La boîte noire » [4].
Fonctionnement d’une chambre de compensation
L’idée ayant conduit à la création de ces chambres de compensation est logique. Avant les chambres de compensation, toute transaction de valeurs mobilières mobilisait 2 intervenants : le vendeur et l’acheteur. La transaction était effective après que le vendeur eut transmis ses titres à l’acheteur et l’acheteur rétribué le vendeur. La durée de la transmission des titres était fonction du moyen utilisé (poste, ...).
Les chambres de compensation internationales ont été créées pour accélérer le processus. Ces chambres détiennent les titres dans leurs coffres-fort. Les titulaires de ces titres sont référencés dans les bases de données informatiques des chambres. Une transaction consiste en un simple accord entre vendeur et acheteur, lequel accord est transmis à la chambre qui détient le titre correspondant. Les accords transmis font foi en cas de litige. Une chambre de compensation est donc l’équivalent d’une conservation des hypothèques pour les valeurs mobilières.
Afin de faciliter le processus, la chambre de compensation publie régulièrement la liste des comptes gérés par ses soins. Ainsi, vendeur et acheteur annoncent t’ils leur accord en fournissant chacun les numéros de comptes du vendeur, de l’acheteur et la liste des titres échangés.
Il est ici important de noter que la sécurité des transactions est une fonction absolument essentielle et qu’elles doivent donc être tracées.
Le début de la dérive
Dans Révélation$, Denis Robert et Ernest Backes expliquent en détail le mécanisme ayant dérivé. Cette dérive est aujourd’hui abondamment utilisée par les paradis fiscaux pour toutes les transactions occultes de la planète.
Cette dérive a pour origine une demande auprès d’une des 2 chambres de compensation (Clearstream). La demande est simple : Supposons qu’une filiale d’un établissement financier souhaite traiter avec un tiers. Seuls l’établissement principal et le tiers sont référencés dans les comptes de Clearstream. Créer un compte pour les filiales (car la filiale n’est pas forcément la seule) pose un problème d’identification. Beaucoup de filiales ont des identifications très proches. Quel compte doit mentionner le tiers pour définir la transaction ?
Afin d’éviter de tels soucis, Clearstream a créé des comptes spéciaux pour les filiales, comptes ne figurant pas dans les listes publiées. La transaction initiale est alors scindée en 2 sous-transactions : Le tiers traite avec l’établissement principal figurant sur la liste des comptes publiés quitte à l’établissement principal à s’arranger avec sa filiale dans un deuxième temps. Filiale et établissement principal connaissent tous deux le numéro non publié du compte de la filiale.
Un outil performant au service des fraudes financières
Ce mécanisme établi à l’origine pour la bonne cause est le plus formidable outil de fraudes financières. A partir du moment où il fut possible de disposer d’une liste cachée, des établissements domiciliés dans les paradis fiscaux ont pu disposer de comptes non publiés chez Clearstream. Les transactions occultes peuvent être conclues entre établissements des îles Caïman, du Liechtenstein, ... sans que ces transactions soient visibles ni de l’extérieur, ni des états. Ces transactions se déroulent à la vitesse des réseaux informatiques sans aucun contrôle.
Les paradis fiscaux sont classés selon une hiérarchie de « noirceur/blancheur ». Un établissement presque « blanc » ne traitera pas avec tel établissement des îles Caïman renommé pour sa noirceur. La transaction suivra une chaîne d’établissements de couleurs semblables mais de plus en plus gris. Ainsi, chacun conservera t’il sa réputation. De plus, en cas d’enquête, un juge se verra obligé de demander des informations à chaque maillon de cette chaîne. Ces demandes d’informations nécessiteront plusieurs mois voire des années d’enquêtes. Ces enquêtes se verront gentiment bloquées par tel ou tel pays. Ces mois/années d’enquêtes pour des transactions de quelques secondes montrent la difficulté de lutter contre le phénomène.
Un filon pour les mafias, les réseaux de criminalités, dictatures, ...
La mise à disposition d’un tel outil n’a pas échappé aux diverses organisations cherchant l’opacité. Ainsi, ces réseaux - à l’origine concus pour l’usage exclusif des établissements financiers - ont-ils rapidement pris possession du système.
Aujourd’hui, les transactions les plus noires cotoient les plus honnêtes. Ainsi, le monde de la finance est-il peu à peu phagocité par les réseau des mafias russes, des réseaux de proxénétisme, de la drogue, ... L’argent du terrorisme utilise quasi exclusivement les établissements financiers les plus noirs ne fonctionnant qu’à l’aide des comptes non publiés de Clearstream.
Dans le cinquième volet édifiant : [5] - consacré au Luxembourg - de la mission anti-blanchiment [6] de la précédente législature, Denis Robert fut auditionné par Vincent Peillon et Arnaud Montebourg. Les méthodes de Clearstream sont largement dénoncées.
Bon nombre de faillites frauduleuses comme celle de la BCCI (Bank of Credit and Commerce International) [7], la faillite d’Enron ont pu être mise en place par l’utilisation des paradis fiscaux. Combien de vies brisées par ces faillites ? Combien d’enrichissements sur le dos du petit peuple ? Dans l’affaire Enron, près de 900 comptes non publiés de filiales sises dans le paradis fiscaux furent utilisés.
Dans son dernier film « farenheit 9/11 », Mickael Moore précise que près de 10% des avoirs financiers américains sont détenus par les saoudiens, notamment dans les établissements financiers. Ces établissements financiers américains sont par ailleurs à l’origine de la création de Clearstream et en sont les plus importants utilisateurs. Cela veut dire qu’un des régimes les plus dictatoriaux de la planète utilise ces mécanismes à son profit. Quel poids reste-t-il aux démocraties ? Combien de temps pourront-elles encore résister ?
Des interrogations demanderaient des réponses. Pourquoi le trésor public français disposait-il d’un compte non publié chez Clearstream lors de la sortie de Révélation$ ? Les comptes du Trésor Public n’ont pas à être géré via un compte caché par Clearstream. Ce compte existe-t-il toujours ?
Etats, fiscalité et déficits
Aujourd’hui, selon Lucy Kosimar, journaliste américaine, 26% des richesses mondiales sont détenues dans les paradis fiscaux. Ces richesses sont pour une grande part, le résultat d’une évasion fiscale sans précédent, évasion très largement facilitée par les mécanismes mis en place dans les chambres de compensation et particulièrement Clearstream.
50% des transactions financières mondiales profitent de ces réseaux occultes.
Face à cela, force est de constater que nos Etats n’ont plus les moyens d’assumer leurs politiques. L’évasion fiscale permet le creusement des déficits et l’accent est mis sur la nécessité de « faire des économies » plutôt que de lutter vraiment contre ces réseaux financiers mafieux. Les chiffres de la criminalité se gardent bien d’intégrer la délinquance financière.
Les conséquences sur les états et la fiscalité deviennent dramatiques :
L’état ne recouvre pas les impôts qu’il devrait et les déficits se creusent.
Pour lutter contre ces déficits, l’état se voit contraint d’emprunter. Les emprunts sont réalisés auprès des établissements qui profitent justement de l’évasion fiscale. Ces établissements touchent donc des intérêts sur ces emprunts. Le gain est double : moins d’impôts, plus d’intérêts !
Malgré tout, il faut bien assurer les dépenses de l’Etat et des catégories comme particuliers, artisans, petits commercants, PME sont mises à contribution plus que nécessaire. Il faut bien des catégories pour rattraper en partie l’évasion de ceux qui connaissent les bons réseaux et peuvent se permettre de les utiliser.
Les politiques sociales ne peuvent plus être menées. Les paradis fiscaux permettent à l’enfer social de se mettre en place.
Eternelle question : Que faire ?
Face à ce constat, chacun d’entre nous se sent tout petit. Pourtant, les raisons d’espérer existent.
Tout d’abord, le plus important constat est le suivant : Tout est tracé. Puisque l’ensemble des transactions financières sont soigneusement enregistrées, il faut et il suffit de placer les deux chambres de compensation internationales sous contrôle public. Ces 2 chambres étant situées en Europe, L’Union Européenne possède là les moyens de renverser la vapeur et de créer une véritable Europe sociale. Il ne manque qu’une vraie volonté politique !
En mettant les traces sous contrôle public, la lutte contre le blanchiment devient d’une redoutable efficacité. Les secrets affichés par certains pays peuvent être contournés sans aucune difficulté. L’argent des mafias, des terrorismes ne passera aucune maille. A noter qu’après les attentats du 11 septembre, ces traces furent justement utilisées par les états-unis pour asphyxier différentes organisations. Pourquoi utilisent-on ces informations dans certains cas et pas dans d’autres ? Difficile alors de ne pas se poser la question « Quel est le degré de complicité de nos états ? ».
Puisque rien n’est fait au niveau des états, de la communauté européenne, il ne reste qu’une solution. Dénoncer sans relâche et participer à toute action citoyenne dans ce sens.
Notez la prochaine action européenne contre la délinquance financière et les paradis fiscaux : le 9 octobre 2004 [8]
Notes
[1] http://www.france.attac.org/m962, http://www.wto.org/french/tratop_f/serv_f/gatsqa_f.htm
[2] http://www.euroclear.com, http://www.clearstream.com
[3] http://www.arenes.fr/livres/fiche-livre.php ?numero_livre=4
[4] http://www.arenes.fr/livres/fiche-livre.php ?numero_livre=25
[5] http://www.assemblee-nat.fr/legislatures/11/pdf/rap-info/i2311-5.pdf
[6] http://www.assemblee-nat.fr/dossiers/blanchiment.asp
[7] http://isuisse.ifrance.com/stopcarlyle/bcci.htm
[8] http://www.local.attac.org/attac83/breve.php3 ?id_breve=401
Ythaq
Création de l'article : 29 septembre 2004
Dernière mise à jour : 22 septembre 2004
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Paradis fiscal, Enfer social
14 mai 2006, par
Une autre chose que l’on devrait dénoncer avec les paradis fiscaux, ce sont la documentation et les services offert librement pour l’évasion fiscale.
Il est très facile de trouver des livres qui donnent des conseilles sur comment trouver le paradis fiscal qui nous convient le mieux. Même de grandes institutions financière offrent très ouvertement des services permettant de réduire son imposition.
Une des première choses à faire serait d’abord de rendre illégal se genre de publicité. Es-ce que les vendeurs de drogues, les contrebandiers ou les tueurs à gages peuvent faire de la publicité ?
Si les gouvernements des pays industrialisés se préocuppait plus de l’évasion fiscal, ils ne chercheraient plus sans cesse des moyens de privatiser les institutions publiques qui "coûte si cher" à l’État. Ces coûts sont ridicules en comparaison de l’argent, produit par la consommation faite ici d’ailleur, qui échappe à l’impôt.
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