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Le travail en question (3) |
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Le salaire rémunère-t-il le travail ?
C’est une question théorique qui a pas mal préoccupé économistes et philosophes et, comme toujours en cette matière, les avis sont partagés. La question n’est pourtant pas seulement théorique, en effet elle permettrait de savoir dans le cas d’une baisse ou d’une augmentation du temps de travail si l’on doit, s’il est légitime, s’il est logique, s’il est juste, s’il est acceptable... de baisser ou d’augmenter le salaire.
La question est implicitement posée lorsque l’on allonge la durée de travail sans augmentation de salaire - voir l’article « Le travail en question (2).
Le premier réflexe du salarié, dans cette situation, est de vouloir « gagner plus » puisqu’il « travaille plus »... Il fait donc un lien direct entre salaire et quantité de travail fourni... D’ailleurs la pratique courante dans l’entreprise est de payer plus si l’on travaille plus, comme dans le cas des heures supplémentaires par exemple. Le réflexe correspond bien à une pratique sociale couramment admise. Pourtant à y regarder de plus près la chose est moins évidente qu’il n’y paraît.
COMMENT SE FIXE LE SALAIRE ?
Question : Est ce le travail effectué qui est payé par le salaire ?
Imaginons que ce soit le cas. Toute la valeur produite est distribuée sous la forme de salaires. Dans ce cas, l’employeur ne gagne rien par la vente de sa production. Il n’y a pas de profit, à moins que le profit ne soit que spéculatif c’est-à-dire obtenu en vendant systématiquement le produit au dessus de sa valeur. Cette hypothèse, même si elle peut s’envisager conjoncturellement, ne peut pas expliquer l’accumulation réelle de richesses dans la société. Il faut donc que toute la valeur créée dans l’acte de production ne soit pas intégralement distribuée aux salariés. Les salariés ne reçoivent donc qu’une partie de la valeur qu’ils ont créé par leur travail.
Mais alors, s’il en est ainsi, le salaire ne peut pas être la rémunération du travail, il ne correspond qu’à une partie de la valeur créée... mais à quoi correspond cette partie ?
Supposons qu’il n’y ai pas de salaire minimum, de conventions collectives, bref qu’il y ai un « marché du travail » non réglementé...Lorsqu’un demandeur d’emploi sollicite une embauche, ce qui l’anime au premier abord c’est de gagner une somme d’argent lui permettant de vivre dans des conditions socialement acceptables. Ce qui intéresse l’employeur c’est d’avoir un salarié, possesseur d’un « savoir faire », et qui puisse vivre pour pouvoir travailler.... Cela est vrai indépendamment de la durée du travail qui n’intervient que dans un second temps.
Ainsi, ce qu’achète l’employeur c’est la capacité de travail du salarié, directement liée à sa capacité à se procurer une partie des richesses produites... c’est le salaire qui y pourvoi. Réciproquement ce que vend le salarié c’est sa capacité de travail qu’il ne peut assurer que s’il a les moyens de vivre. Autrement dit, ce qui se vend et s’achète sur le « marché du travail », ce n’est pas du travail, mais de la capacité de travail pour l’employeur et une capacité de vie sociale pour le salarié. C’est à celle là que correspond le salaire.
L’apparence de rémunération du travail par le salaire n’est qu’illusoire. Ce n’est donc pas ce qu’il produit qui lui est payé au salarié mais la valeur de sa capacité de travail... ce qui est complètement différent.
LE STATUT « MARCHANDISE » DE LA CAPACITE DE TRAVAIL
Cette capacité de travail que vend le salarié sur le « marché du travail » et qu’achète l’employeur moyennant salaire fait l’objet d’une transaction. L’employeur n’achète que s’il en a besoin et ce besoin est déterminé par le calcul économique (c’est rentable ou pas ? telle est la question déterminante ). C’est ce qui explique qu’une capacité de travail ne trouve pas forcément un emploi ; encore faut-il que l’employeur en ai besoin. S’il n’en a pas besoin, il ne l’achète pas... c’est le chômage. S’il trouve mieux ailleurs et moins cher il ira ailleurs... comme dans le cas des délocalisations.
Ainsi la capacité de travail acquière un statut de marchandise, elle se négocie sur un marché comme tout autre marchandise. Son prix, le salaire est fixé par « ce qu’a besoin l’individu pour vivre socialement » et fluctue en fonction de l’offre et de la demande. Elle peut-être achetée, comme délaissée, par l’employeur, en cas de sur abondance. C’est à ces fluctuations qu’est soumis le salarié. L’employeur est libre d’acheter ou pas comme tout intervenant sur un marché. On notera que c’est la capacité de travail de l’individu qui est marchandise et pas lui-même en tant qu’individu. (voir à ce propos l’article « La Marchandise contre la Citoyenneté »)
Les salariés ont évidemment, par la lutte, depuis le 19e siècle, imposé des garanties de stabilité et de progression de leurs salaires (salaire minimum, primes, conventions collectives, grilles de salaires en fonction de la formation, de la compétence, surévaluation de la rémunération de certaines heures de travail,...). Certaines de ces mesures ont même été imposées par l’employeur pour diviser les salariés et les affaiblir dans leurs revendications (hiérarchie des salaires, primes). Tout cela a fait perdre peu à peu, dans la conscience collective, ce qu’était véritablement le rapport salarial et l’origine du salaire. Or, ces acquis sont entrain de tomber les uns après les autres et la véritable nature du système marchand réapparaît au grand jour.
LE « RETOUR AUX SOURCES »
On reconnaîtra, en effet, dans ce qui est entrain de se passer - voir l’article « Le travail en question (2) » concernant l’allongement de la durée du travail sans augmentation de salaire un véritable retour aux « fondamentaux » de la marchandise. C’est « tout naturellement » que le patronat propose un allongement de la durée du travail sans toucher au salaire avec l’air de dire aux salariés : « Vous avez de quoi vivre, votre salaire, et c’est l’essentiel, si vous voulez le conserver il faut travailler plus ». Autrement dit « Je vous paye à votre valeur, j’ai le droit d’utiliser la marchandise achetée (votre force de travail), comme bon me semble ». Démarche purement marchande et qui correspond bien à ce qu’est le rapport salarial : un rapport marchand.
Devant l’alternative qui lui est imposée, travailler plus ou être licencié, le salarié tient symétriquement, le même raisonnement : « L’essentiel pour moi c’est le salaire, j’accepte que le patron m’utilise comme bon lui semble ». Il vit cette situation comme une régression, mais il sauve l’essentiel, son salaire.
Le tour est joué et est imparable.
On comprendra que cette situation est une extraordinaire victoire pour l’employeur qui trouve ainsi le moyen d’éradiquer peu à peu deux siècles de conquêtes sociales ; et cette éradication se fait avec l’ « accord » des salariés qui n’ont pas le choix et en faisant un extraordinaire « pied de nez » aux syndicats qui se voient ainsi « mis sur la touche » et désavoués si ils insistent.
C’est un véritable « coup d’état social » qui est entrain de s’effectuer sous nos yeux et dans une indifférence à peu prés générale. Deux siècles de conquêtes ouvrières sont entrain de « passer à la trappe ». Les stratégies traditionnelles de luttes syndicales sont aujourd’hui totalement obsolètes et impuissantes à enrayer cette nouvelle offensive anti sociale. C’est tout le système marchand, avec sa puissance d’organisation qui passe à l’offensive pour faire sauter les « entraves » que des décennies de luttes ont mis sur sa route (service public, protection sociale, législation du travail,...) - voir l’article « Négocier ?... Mais négocier quoi ? ».
Patrick MIGNARD
Patrick MIGNARD
Création de l'article : 29 septembre 2004
Dernière mise à jour : 27 septembre 2004
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> Le travail en question (3)
11 avril 2005, par
bonjour, votre article est totalement justifié, aujourd’hui la capacité de travail n’est plus du tout rémunérée à sa juste valeur, et ce surtout dans les emplois à "bas salaire", où les salaires horaires dépassent rarement le SMIC(les cadres gardant bon an mal an une certaine marge de sécurité). L’ expérience jusqu’alors sésame d’une entrée dans un emploi et d’un salaire plus substantiel, semble passer petit à petit à la trappe (le "vivier" étant tellement important et le chômeur lambda tellement aux abois le décalage entre offres et demandes se creuse (il n’est qu’à regarder l’ écart abbysale entre les offres proposées quotidiennement par l’anpe tous départements confondus (environ 240 000 offres pour "officiellement" 2.5 millions de chercheurs d’emploi). La société française se désintéresse totalement des personnes "non productives"... où va nous mener cette pénurie. De plus en plus d’offres sont pourvues à "diplômes supérieurs", le travail devenant une denrée rare les individus ayant des diplômes universitaires se font embaucher sur des postes bien en deça de leurs compétences, obstruant le chemin de l’ emploi aux personnes correspondant à ces offres (les sociétés reçoivent tellement de candidatures qu’elles mettent aujourd’hui le temps de faire le tri en moyenne 45 jours pour retourner une réponse négative à une demande...). Le marché du travail se trouve tronqué par cet état de fait : pourquoi prendre le moins lorsque l’on peut obtenir le plus pour le même prix ? La morosité est telle sur le marché de l’emploi dans notre pays que les immigrés d’hier (portugais en tête) s’en retournent chez eux... Marcel M.
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