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Une décision de justice historique |
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Le 8 novembre se déroulait à Toulouse le premier procès impliquant des "faucheurs volontaires". Un procès qui a tourné court. Accédant à la demande des avocats de la défense, la présidente du tribunal correctionnel a considéré qu’il n’était pas équitable de juger neuf personnes en l’absence de leurs centaines de "complices". Il s’agit d’une grande première dans l’histoire de la justice, mais aussi de la reconnaissance juridique de la désobéissance civile, revendiquée par les "faucheurs volontaires".
Ils étaient neuf à être convoqués devant le tribunal correctionnel de Toulouse, pour répondre de leur participation au fauchage d’une parcelle de maïs transgénique, le 25 juillet, à Menville (Haute-Garonne). Le parquet n’avait pas frappé au hasard. Parmi les quatre cents participants, il avait ciblé neuf personnes, mais pas n’importe lesquelles : José Bové (ancien porte-parole de la Confédération Paysanne), Noël Mamère (maire de Bègles, député Vert), Gilles Lemaire (secrétaire national des Verts), Gérard Onesta (député européen, vice-président du Parlement Européen), François Simon et Pierre Labeyrie (conseillers municipaux Verts de Toulouse), Michel Daverat (conseiller régional Vert d’Aquitaine), Jean-Aimé Gravas (retraité, grand résistant) et Jean-Baptiste Libouban (retraité, instigateur des "faucheurs volontaires").
Aux portes du tribunal, ils étaient environ quatre cents, dont deux cent vingt-quatre à avoir exigé, le 27 août, en investissant les locaux des gendarmeries de Toulouse et de Millau, à être poursuivis pour les mêmes faits et comparaître ensemble devant la justice. Simple question de cohérence. Les "faucheurs volontaires" revendiquent les actions qu’ils annoncent à l’avance, qu’ils effectuent à visage découvert et pour lesquelles ils se déclarent près à assumer les conséquences. Puisque le gouvernement refuse tout débat démocratique sur les OGM, même à l’Assemblée Nationale avec les représentants des citoyens, les "faucheurs volontaires" choisissent de prendre les pouvoirs publics à leur propre jeu en utilisant les tribunaux pour dénoncer publiquement la compromission de ces derniers avec les firmes semencières, au dépend de la démocratie et de la santé publique qu’ils sont sensés défendre.
Devant l’affluence prévisible, il avait été décidé d’utiliser la grande salle de la Cour d’Assise de Toulouse. A neuf heures, elle est en effet pleine, investie par environ quatre-vingts "comparants volontaires", venus affirmer leur souhait d’être aussi poursuivis. Les pouvoirs publics et la plupart des médias les considèrent comme des hors-la-loi ? Très bien. Forts de la légitimité de leur action et convaincus qu’en la matière, le droit est dévoyé, ils viennent démontrer, spontanément et à la barre même du tribunal, qu’ils oeuvrent au contraire à faire évoluer ce même droit et à faire que la justice soit rendue équitablement.
Dès l’ouverture du procès, François Roux, avocat de la défense, invoque ce gros problème de procédure. Constatant que le parquet lui-même indique, dans l’acte d’inculpation, que les faits reprochés aux prévenus ont été commis « en réunion, avec quatre cents co-auteurs ou complices », il s’étonne de ne voir dans le prétoire que neuf personnes. « Pourtant, les autres participants ont été identifiés, puisqu’ils ont eux-mêmes donné leurs identités et leurs coordonnées à la brigade de recherche de Toulouse. Ils sont aux portes de ce tribunal. Ils sont dans cette salle. Ils veulent que la justice, prononcé au nom des citoyens, soit équitable. Que va-t-elle leur répondre ? » Christian Ethelin, second avocat de la défense, dépose alors sur le bureau de la présidente un volumineux dossier, contenant les deux cent vingt-quatre demandes officielles de comparution volontaire. « Cette procédure n’a certes encore jamais été appliquée. Mais le Code pénal, en ses articles 383 et 388, la prévoit. La justice va-t-elle se laisser aujourd’hui entraîner dans le piège d’un procès tronqué, piège tendu par le parquet dont le but est de faire apparaître la vérité, non de la dissimuler au nom d’intérêts particuliers ? »
Le procureur, surpris, tente de contre-attaquer. « Ces pièces devaient être jointes au dossier dans les délais légaux, ce qui n’a pas été le cas. Elles sont donc irrecevables. » Réplique de la défense. « Vous avez vous-même reconnu l’aspect collectif du délit. En ne convoquant que quelques individus, vous avez créé un élément nouveau sur lequel nous sommes maintenant en droit, en vertu de l’article 388 de procédure pénale, de nous appuyer. » Le procureur s’étrangle. « On a parlé de quatre cents faucheurs. Vous apporté deux cents demandes. Où sont passés les autres ? Ce n’est pas sérieux ! » Réponse de la défense. « Nous sommes justement des gens sérieux. Nous n’avons retenu que les demandes des personnes qui pouvaient être présentes aujourd’hui à Toulouse et ainsi comparaître dès maintenant, si le tribunal le décidait. »
La présidente Colette Pesso décide, devant ce fait nouveau, de suspendre l’audience afin de prendre une décision. A son retour, une heure plus tard, elle déclare, « en vertu des articles 383 et 388 du Code de procédure pénale et en vertu de l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, le tribunal considère qu’un procès équitable justifie que tous les co-auteurs soient jugés en même temps. Puisqu’il n’est matériellement pas possible de faire comparaître tous les prévenus aujourd’hui, la séance est levée. Cependant, le parquet décidant de faire appel de cette décision, j’invite les deux parties à se retrouver dans cette salle le 24 janvier, à 14 heures. » Un tonnerre d’applaudissements retentit dans la salle.
Lorsque les "faucheurs" sortent du tribunal pour rejoindre les centaines de militants toujours massés devant les grilles (et encadrés par des CRS qui n’ont pas hésité à frapper à nouveau à coups de matraque des militants qui voulaient y accrocher la banderole "faucheurs volontaires d’OGM"), une grande clameur retentit. Après les embrassades, les prises de paroles se succèdent. Pour François Roux, « c’est la première fois que plus de deux cents personnes demandent à comparaître, et c’est la première fois que la justice accède à cette requête. » Pour José Bové, « il s’agit d’une victoire historique. La désobéissance civile collective est officiellement reconnue. C’est aussi une démonstration salvatrice de l’indépendance de la justice, et par-là même un camouflet à M. Perben, garde des Sceaux, qui s’était senti autorisé à exiger la plus ferme sévérité pour les "faucheurs". C’est à la justice de décider, pas à lui. Nous sommes encore en République. » Pour Noël Mamère, « nous avons contribué, ensemble, à faire évoluer la justice. Après avoir réussi à en ouvrir les portes, nous devons maintenant ouvrir celles de l’Assemblée Nationale pour obtenir un vrai débat sur les OGM. » Pour Gilles Lemaire, « ce résultat doit inspirer les autres luttes. La désobéissance civile collective, désormais reconnue, doit maintenant s’appliquer à d’autres domaines, comme la défense de l’environnement et celles des acquis sociaux. Le rassemblement "Larzac 2003" a trouvé aujourd’hui à Toulouse une consécration juridique et politique. » Mais l’émotion est à son comble lorsque Aminata Traoré, ancienne ministre de la Culture du Mali, haute figure internationale du mouvement anti-mondialisation, venue comme témoin de la défense à Toulouse, prend la parole. Visiblement émue, elle déclare simplement, d’une voix douce, « ce que vous avez réussi à obtenir par votre combat légitime, ce qui se passe ici aujourd’hui, est aussi très important pour nous, les populations du Sud. »
Quelle que soit la décision de la Cour d’Appel, qui sera rendue le 24 janvier, celle du tribunal correctionnel restera dans les annales et fera désormais jurisprudence. Elle risque déjà de fortement influencer les prochains procès de "faucheurs", prévus le 14 décembre à Riom et le 19 janvier à Orléans, mais aussi l’évolution du droit en général. La route est encore longue, mais une première étape importante est désormais franchie.
Mais l’euphorie ambiante retombe vite. Car tout le monde a appris que la veille, un jeune homme de 21 ans, Sébastien Briat, est mort écrasé en Lorraine par un train de déchets nucléaires qu’il tentait d’arrêter. Le rassemblement des "faucheurs" se termine par une minute de silence, observée à sa mémoire...
Gilles Gesson
Création de l'article : 10 novembre 2004
Dernière mise à jour : 10 novembre 2004
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