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Compte-rendu du procès des Faucheurs volontaires à Orléans le 13 avril 2005 |
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Le 13 avril 2005, 44 Faucheurs volontaires comparaissaient comme prévenus au Tribunal correctionnel d’Orléans. 44 comparants volontaires les accompagnaient.
Le rendez-vous des prévenus, des comparants volontaires et du comité de soutien est à 8h place du Martroi à Orléans. Le petit groupe des organisateurs s’augmente peu à peu des arrivants. José Bové est des premiers, il accueille François Dufour par un tonitruant "Dufour en prison !" L’ambiance est à la rigolade. La petite cohorte de 200 à 300 personnes parcourt joyeusement les 500m entre la place du Martroi et le Tribunal, il y a des drapeaux de la Conf, des drapeaux syndicaux, des slogans : "OGM, Non, non et non", "Tous faucheurs, tous responsables". La rue de la Bretonnerie est interdite à la circulation, des barrières métalliques isolent le Tribunal dont l’accès est contrôlé. Les forces de police visibles ne sont pas très nombreuses, les policiers sont en tenue légère, pas de casque, pas de bouclier, les renforts, les véhicules ne sont pas ostensiblement présents.
Les prévenus passent les premiers le barrage de police, le portique de détection de métaux et la fouille des sacs, puis c’est au tour des comparants volontaires. La salle d’audience du Tribunal correctionnel est moderne, vaste, lumineuse, agréable. Les quatre avocats de la défense sont à droite, en face l’avocat de Monsanto et un homme en civil.
À 9h45, la cloche sonne, les trois juges, un homme et deux femmes, font une première entrée. Le Président invoque la complexité des faits et propose un renvoi en audience collégiale. Il demande aux avocats des deux parties et au Procureur s’ils ont des objections, ils n’en ont aucune, les trois juges sortent, la cloche sonne à nouveau, les trois juges rentrent et l’audience commence. L’affaire est numérotée 13646, le plaignant est la société Monsanto.
Le Président et ses deux assesseures procèdent à l’appel des 44 prévenus qui doivent simplement se lever pour signaler leur présence et indiquer s’ils ont ou non changé d’adresse depuis que la citation à comparaître leur est parvenue. Seuls les changés d’adresse viennent à la barre pour donner leur nouvelle domiciliation. L’ordre d’appel des prévenus a sans doute une signification puisque Yves Contassot, François Dufour et Jean-Émile Sanchez sont appelés respectivement en deuxième, troisième et quatrième position. À quelques-uns dont le Tribunal n’a pas la convocation, le Président ou une assesseure demande s’ils acceptent de comparaître pour "faits de dégradation grave de biens d’autrui en réunion". Le Président affiche une affabilité et une politesse exquises, les deux autres juges sont aussi très aimables. Se fait ensuite l’appel des comparants volontaires. Eux, doivent aller à la barre pour décliner leurs date et lieu de naissance ainsi que les noms et prénoms de leurs ascendants.
Une heure après le début de l’audience, après que l’avocat de Monsanto s’en est remis à la sagesse du Tribunal pour gérer le problème des quelques encore absents, en arrivance par un bus poussif de quelque part en France, le Président rappelle les faits : le samedi 14 août 2004, de 130 à 200 personnes se sont réunies et ont détruit une surface de 1880 m² de maïs appartenant à la société Monsanto. Il n’y a pas eu d’incident, la situation était contrôlée par la gendarmerie qui a filmé, pris des photos et relevé des identités. 44 personnes ont été citées à comparaître au mois de janvier avant que l’audience ne soit reportée à aujourd’hui. De plus, 44 comparants volontaires demandent à être englobés dans le procès. Le Ministère Public s’oppose à cette demande.
François Roux est le premier des quatre avocats des Faucheurs à plaider. Émouvant, il a trouvé émouvant le défilé des Faucheurs comparants volontaires qui se sont succédés à la barre pour préciser leur identité. Émouvant ces 44 qui demandent à être jugés. Il se tourne vers le Procureur et lui demande pourquoi 44 sont cités à comparaître et pourquoi pas 88 ? Il y en a qui ont été entendus par la gendarmerie mais n’ont pas été retenus parmi les prévenus. Pourquoi ? Certes, le Procureur est allé dans le nombre de citations à comparaître bien au-delà de ce qui a été fait à Riom et à Toulouse. Mais pourquoi s’est-il arrêté au milieu ? Quel est cet arbitraire ? Et à quelle logique obéit-il ? À Riom et à Toulouse, le Tribunal a intégré les comparants volontaires dans le procès, ce sont les premières jurisprudences. Il faut mettre le droit en accord avec les faits, s’ils étaient 88, il faut que 88 soient jugés. Nous sommes en train de construire du droit, c’est un des paradoxes de la désobéissance civique. Comme en 77 avec les objecteurs de conscience. François Roux est l’apologiste de la désobéissance civique, il célèbre ces gens qui s’engagent individuellement dans des actions collectives, ces gens qui veulent habiter leur parole . Et qui veulent tous comparaître. Il écarte a priori l’intention dilatoire qu’on pourrait leur opposer, nous sommes tous pressés d’aborder le fond. À propos du fond, que dirait-on aujourd’hui des citoyens qui auraient détruit des stocks de sang contaminé il y a 15 ans ? Le droit, il n’y a pas besoin de le torturer dans cette affaire, il suffit de l’appliquer. L’article 388 reconnaît la comparution volontaire à la seule condition que l’action publique ait été mise en mouvement. Or, c’est le cas, puisqu’il y a 44 prévenus. De plus, la notion d’indivisibilité interdit qu’il y ait deux affaires séparées. L’indivisibilité s’applique en cas d’unité dans les faits, donc à un fauchage collectif d’OGM. La circulaire Perben qui réclame la plus grande fermeté face aux Faucheurs est dénoncée. Obéissant à cette circulaire, les Parquets cherchent à instrumentaliser les juridictions à des fins politiques. François Roux demande qu’il y ait deux jugements séparés, un sur l’incident que constitue la demande des comparants volontaires, et un autre, sur le fond. Il parle de l’ardeur combative des magistrats, il demande au Tribunal de résister au Parquet, il demande aux juges d’être des magistrats volontaires.
Antoine Comte revient sur le fait que certains comparants volontaires ont été entendus par la gendarmerie mais n’ont pas été cités à comparaître par le Procureur, c’est une aberration. La mémoire se perd, il ne faut pas que la Justice perde sa mémoire, car il y a des précédents anciens à notre affaire. Au XIXe siècle, il y eut beaucoup d’infractions collectives semblables aux fauchages d’OGM, par les mouvements ouvriers, syndicaux, paysans. Les articles 381, 382, 383 permettent au Tribunal d’étendre sa compétence à tous les auteurs et complices d’une infraction, si cette infraction est unique et s’il y a pluralité d’auteurs. Antoine Comte revient sur la notion d’indivisibilité qui s’applique en cas de délit collectif par unité de but. Il explique comment interpréter l’indivisibilité dans l’ancienne doctrine puis dans la nouvelle doctrine. La prorogation d’élargissement est obligatoire en cas d’indivisibilité, tous les acteurs d’un fait sont justiciables devant le Tribunal dès lors qu’au moins un est cité. Il demande l’élargissement aux comparants volontaires ainsi que deux jugements séparés, afin que l’incident ne soit pas joint au fond.
Christine Etelin voit dans ces affaires de fauchage une nouvelle forme de démocratie participative. En France, ces affaires vont aussi poser la question du pouvoir des Parquets. La Cour européenne des Droits de l’homme de Strasbourg (CEDH) se demande depuis quelques années s’il est normal que les parquetiers français (procureurs et substituts) soient qualifiés de magistrats. En effet, un magistrat n’est soumis qu’à la Loi, tandis que les Parquets sont soumis au pouvoir politique par l’intermédiaire du Garde des sceaux. Un effet délétère est que le parquet choisit les faits qu’il poursuit ou qu’il ne poursuit pas, alors que ce devrait être à la Loi et à elle seule de distinguer ce qui est justiciable de ce qui ne l’est pas. La CEDH a une notion très aiguë de l’équité, elle définit l’accusation comme "le reproche d’avoir accompli un méfait", pas comme "le choix d’un Procureur". Les instructions politiques données aux Parquets sont patentes. La circulaire Perben demande que la poursuite des Faucheurs soit exemplaire. Au passage, cette circulaire prend fait et cause pour les OGM. Au passage, les essais d’OGM en plein champ sont illégaux du fait de directives européennes de 2003 que la législation française n’a pas encore intégrées. Les poursuites s’appuient donc sur des textes obsolètes et illégaux. Il convient de montrer le chemin au législateur.
Jean-Paul Susini cite la loi constitutionnelle et l’affirmation des principes fondamentaux. "Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé". Un citoyen a le devoir de prendre part à la prévention des atteintes à l’environnement.
Maître Lebreton, l’avocat de Monsanto s’en remet à la sagesse du Tribunal.
Le Procureur comprend que la partie civile (Monsanto) n’intervienne pas. Il remercie les défenseurs de l’avoir informé de leurs demandes et plaidoiries. Il se dit un observateur attentif de ce qui se passe à Riom et à Toulouse où les Cours d’appel vont rendre leurs arrêts et ainsi fixer le droit. Car nous sommes en situation de faire du droit. Le Procureur dit au Tribunal ce qu’il a à faire : 1) Il faut gérer l’incident de procédure que constitue la demande de comparution des volontaires. Les articles du code et les jurisprudences qui obligeraient à un jugement distinct de l’incident par rapport au fond sont listés et le choix du Parquet de poursuivre 44 personnes et pas plus ne constitue pas une obligation de jugement distinct. Il convient en outre d’écarter les stratégies dilatoires. Donc, Le Tribunal a l’obligation d’examiner l’incident en même temps que le fond. 2) Il faut répondre aux demandes de comparutions volontaires. D’abord, comment être sûr que les comparants volontaires étaient bien présents au fauchage de Grenneville en Beauce ? Ensuite, en droit, personne ne peut demander la mise en route d’une procédure à son encontre. Seuls, les victimes, les parties civiles et le Parquet ont cette faculté de saisir. L’article 389 dit que la comparution volontaire n’est possible que si le Ministère Public a engagé un acte positif. Or le Parquet ne va pas requérir contre les 42 comparants volontaires (le Procureur s’en tient à 42 comparants, deux n’étant pas encore présents). La demande de la défense est une hérésie juridique. Le Tribunal n’est pas magistrat instructeur, sa saisine est restrictive. C’est le Parquet qui a le pouvoir d’opportunité des poursuites. Et pour poursuivre, il n’est pas nécessaire d’être saisi de la totalité des auteurs du fait. De plus, il faut que les autorités du Tribunal et du Ministère public soient séparées. Si le Tribunal accédait à la demande de la défense d’étendre sa compétence aux comparants volontaires, il perdrait de fait son aptitude à juger. Enfin, le Ministère Public refuse l’instrumentalisation du procès qui se transformerait en une tribune. La responsabilité collective est étrangère au droit français, la reconnaître conduirait à l’impunité judiciaire. En conséquence, le Ministère Public demande que la requête des comparants volontaires soit rejetée, la qualifiant au passage de stratégie de blocage.
Les avocats de la défense répondent alors à ses arguments :
Christine Etelin évoque la loi Peyreffite, la loi scélérate qui a été abrogée en 1981. Elle conteste l’interprétation d’un des arrêts cités par le Procureur.
François Roux réaffirme le caractère responsable des comparants volontaires, ils y étaient tous à Greneville, c’est sûr. Ils ne demandent pas à être condamnés, ils demandent à comparaître. Quand ils seront prévenus, ils demanderont tous la relaxe. L’ardeur combative du magistrat signifie qu’il ne faut pas être frileux, qu’il ne faut pas s’échapper. François Roux trouve très surprenante la menace que le Procureur a faite au Tribunal de lui dénier sa faculté de juger s’il accédait à la demande d’extension de ses compétences. Enfin, il évoque un choral de Bach qu’il écoutait récemment en se demandant ce que cela donnerait si une seule moitié de la chorale chantait. C’est un hymne citoyen , les citoyens se sont mis en marche, n’interrompez pas cet hymne citoyen.
Antoine Comte souligne que le Procureur n’a pas abordé la question de l’indivisibilité.
Les rares comparants volontaires arrivés en cours d’audience sont invités à préciser leur état civil à la barre. L’audience est suspendue à 13h par le Président au prétexte qu’il y a des besoins physiologiques et écologiques à satisfaire...
À l’extérieur, prévenus et comparants enfilent une combinaison blanche et se rendent en cortège, escortés par une foule joyeuse jusqu’à la place du Martroi où Jean-Émile Sanchez rend compte de l’audience du matin. Le cortège reprend sa route chantante jusqu’au cloître où les stands de la Conf’ proposent la restauration. Puis retour au Tribunal, les formalités pour passer le barrage de police, la salle d’audience où les avocats bavardent avec les prévenus, le Procureur avec les policiers, l’avocat et le directeur juridique de Monsanto.
La cloche sonne, le Tribunal entre et le Président annonce les résultats de la délibération. Le Tribunal a bien été saisi de l’incident de procédure constitué de la comparution volontaires de 44 personnes. Le Tribunal se déclare compétent pour élargir sa saisine aux 44 comparants volontaires, mais uniquement sur saisine du Parquet. L’indivisibilité ne peut s’appliquer que si le parquet met en mouvement l’action publique, or il ne veut pas le faire pour les 44 comparants volontaires. En conséquence, le Tribunal refuse la demande d’élargissement du procès aux 44 comparants volontaires. L’audience sur le fond est renvoyée au 27 octobre 2005 à 9h.
L’ambiance est morose, les Faucheurs ont perdu cette bataille. Un élu grommelle que c’est une justice aux ordres. La petite cohorte s’en revient au cloître, sans les chants cette fois-ci. Le compte-rendu est fait au petit millier de personnes encore présentes.
François Roux explique clairement ce qui s’est passé. Le Procureur a dit aux juges qu’il ne prendrait pas de réquisitions contre les comparants volontaires. Il leur a même dit que s’ils accédaient à notre requête, ils perdraient leur légitimité à juger. Le Procureur demandait que l’incident soit joint au fond, il a été débouté puisqu’un seul jugement a été rendu aujourd’hui et que l’audience sur le fond a été renvoyée. Concernant le jugement d’aujourd’hui, les Faucheurs ont perdu. Le Tribunal a cherché à répondre à nos arguments juridiques. Il a basé son jugement sur le fait que le Procureur lui a dit qu’il ne mettrait pas en marche l’action publique contre les comparants, ce qui l’a empêché d’élargir sa saisine. Nous allons faire appel. Nous irons s’il le faut jusqu’à la Cour européenne des Droits de l’homme. François Roux conclut que cette décision prouve que notre mouvement fait peur.
Christine Etelin explique que le jeu du Procureur, c’est le fait du prince mais que c’est la loi. Nous avons un vrai problème de démocratie en France. Dans d’autres pays, comme en Italie, le Procureur n’est pas aux ordres du ministère. Aujourd’hui, le Tribunal a cédé à la volonté politique du Procureur. Le Tribunal aurait très bien pu dire qu’il n’avait rien entendu quand le Procureur lui a dit qu’il ne poursuivrait pas car ce n’était ni le moment ni le lieu d’entendre ça. Bien sûr, il y a l’appel et la cassation, mais notre principal espoir est maintenant la Cour européenne des Droits de l’Homme qui n’admet pas ce style de justice. Le jugement définitif de cette affaire pourra prendre 5 ou 6 ans.
François Dufour fait un appel pour les fauchages de 2005. Dommage que nous ne soyons qu’en avril parce que nous aurions pu profiter de notre nombre et de notre motivation pour faucher quelques parcelles en rentrant chez nous.
Jean-Émile Sanchez rappelle que nos concitoyens rejettent les OGM à plus de 70%. Il dénonce un jugement politique qui n’est pas rendu au nom du peuple français. Il appelle à la désobéissance civique.
José Bové se félicite de la progression du nombre de Faucheurs volontaires, 4600 aujourd’hui. Il propose le 18 juin 2005 comme journée des Faucheurs. Il demande que les bateaux chargés de nourriture OGM pour les animaux soient aussi interceptés dans nos ports. Il s’agit de protéger notre santé et notre agriculture biologique. Les agriculteurs biologiques se sont engagés par une charte à ce que leur production ne comporte pas d’OGM. Pour respecter cette charte, ils ont en quelque sorte l’obligation de détruire les essais d’OGM en plein champ. José appelle aussi à manifester le 4 mai 2005 à 9h devant l’ambassade d’Australie où se tiendra une réunion de l’OMC, il y aura le numéro 2 de l’OMC qui se trouve être l’ancien avocat international de Monsanto. José suggère que nous luttions pour que l’agriculture soit considérée comme un Service Public.
Il est 17h.
Louis Amigo
Création de l'article : 23 avril 2005
Dernière mise à jour : 17 avril 2005
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