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Notre "G8" en Ecosse (seconde partie) |
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Ce matin du 6 juillet, nous quittons Edimbourg vers 10 heures à bord d’un "double decker" bus jaune (« we all live in a yellow... » ?). Nous mettrons près de deux heures pour parcourir les cinquante kilomètres jusqu’à Auchterarder, la village le plus proche du château de Gleneagles, où se réunissent les valets des maîtres du monde (1). Nous devrons en effet patienter plusieurs fois à des barrages filtrants installés par la police britannique, et finir le voyage par des petites routes de campagne pour en contourner d’autres.
C’est en début d’après-midi que nous atteignons Auchterarder. Des dizaines de bus, venus notamment de Glasgow et d’Aberdeen, sont déjà arrivés. Leurs occupants ont rejoint les centaines d’alternatifs européens venus du second "village intergalactique" (2), installé à Stirling, tout proche. Vous avez vu le film Braveheart, inspiré de la vie de William Wallace (1270-1305), premier héros national écossais ? La première grande bataille du film, où les patriotes écossais écrasent l’armée anglaise, est celle de Stirling. Un bon présage ! Mais nous en reparlerons...
Pour l’heure, un rassemblement des "troupes" est organisé dans le parc verdoyant du village, où les prises de parole se succèdent en attendant les derniers arrivants (dont la plupart resteront néanmoins bloqués par la police, à Edimbourg ou sur les routes avoisinantes). Mais le spectacle est plutôt dans l’assistance. Dans une multitude de costumes bariolés et de déguisements, un feu d’artifice de couleurs chatoyantes, un foisonnement de banderoles et drapeaux multicolores claquant au vent, se distinguent déjà plusieurs groupes : l’Armée des Clowns (habillés de treillis militaires, mais aux visages poudrés de blanc et affublés de gros nez rouges et de perruques multicolores), la Brigade du Grand Bruit (une fantastique fanfare-batucada venue de Seattle, déjà croisée à Seattle en 1999, Prague en 2001 et Cancùn en 2003), les nationalistes écossais en kilts et cornemuses (ah, Braveheart...).
Au bout d’une heure, le défilé, fort d’environ trois mille personnes, se met en mouvement en direction de Gleneagles, distant de deux kilomètres. Une manifestation surréaliste : le cortège, bruyant et bariolé, défile sur une petite route étroite, coincée entre des barrières de sécurité et des cohortes de policiers à casquette. Les jardins cossus des riverains sont bien gardés ! Des riverains d’apparence très "bourgeoise", mais néanmoins accueillants : de leurs jardins, de leurs pas de portes ou de leurs fenêtres, ils nous adressent de grands sourires et des signes d’encouragement. Allez comprendre... Toujours ce nationalisme écossais virulent ?
Après une autre heure de marche au ralenti (étroitesse de la voie oblige), nous arrivons devant la triple barrière de sécurité, haute de deux mètres cinquante et entourant, sur plusieurs kilomètres, le parc du château de Gleneagles. Derrière, des policiers en casquettes et vestes jaunes. Derrière eux, des policiers casqués et en armures noires. Derrière eux encore, les mêmes, mais à cheval. Apparemment, on ne passe pas. Alors, après un petit arrêt pour jauger la situation, les premiers commencent à évacuer la place, pour permettre aux suivants de passer, eux aussi, devant ce barrage. Mais, puisqu’il est impossible de retourner à notre point de départ par où nous sommes venus (trop de monde et voie trop étroite), nous devons emprunter une petite route perpendiculaire, séparant les dernières maisons d’Auchterarder des champs. Et là, surprise, la barrière anti-émeute laisse la place à une simple barrière "agricole" en barbelés. Nous sommes quelques-uns à sentir le coup. Certes, la barrière anti-émeute se profile à nouveau au bout du champ, à environ cinq cents mètres, mais le dispositif policier y semble moins dense et, au moins, s’en approcher nous permettrait de sortir du parcours imposé par la police.
Les barbelés sont facilement enjambés et nous nous retrouvons à quelques dizaines dans le champ de blé encore vert, sous le regard incrédule des autres manifestants (qui hésitent visiblement à franchir cette barrière symbolique)... et courroucé des policiers (qui, "enfermés" derrière leurs propres grilles, ne s’attendaient apparemment pas à cette manœuvre). Sans y prêter plus d’attention que nécessaire, nous commençons notre progression, en file indienne. Au loin, derrière les arbres, nous pouvons apercevoir les toits de Gleneagles. Au fur et à mesure que nous approchons, un escadron de police à cheval prend position. Un remake de la bataille de Sterling se prépare-t-il ? Bon. Elle s’était bien terminée pour les insurgés... mais une charge de cavalerie, ça peut faire très mal (Braveheart ? bof...). Nous continuons néanmoins à progresser. Arrivés devant la triple barrière de sécurité, en nous retournant, nous voyons avec joie que plusieurs centaines de manifestants, qui avaient déjà replié leurs banderoles et s’apprêtaient à rentrer, couchent à leur tour les barbelés en plusieurs endroits et se répandent joyeusement dans le champ. Avant qu’ils nous aient rejoints, nous sommes cinq à partir en inspection, le long de la barrière. Et c’est au pied d’un mirador ( !) que nous trouvons le point faible : à cet endroit, la barrière, toujours aussi haute, n’est pas triplée. C’est là que se produira l’assaut.
Parmi ceux qui nous rejoignent, les plus décidés s’attaquent sans tarder à la haute grille, qui ne résistera que quelques minutes. Disloquée à main nue, elle ne tarde pas à s’abattre, ouvrant une brèche de quelques mètres dans le système défensif de Gleneagles. Comme la dizaine de policiers présents en cet endroit reculent... nous sommes quelques-uns à avancer, et à faire ainsi quelques pas dans la fameuse "zone interdite". Victoire ! En ce qui nous concerne, les trois du Larzac, nous étions venus en Ecosse pour cela : être au plus près du bâtiment abritant le sommet officiel et faire pression (au sens propre) sur le système de défense afin de montrer, une fois de plus, que pour travailler au bonheur du monde, nos dirigeants doivent s’abriter de notre colère dans des forteresses gardées par l’armée... Mission accomplie, donc.
Cela dit, nous ne resterons pas longtemps en zone interdite. Au bout de quelques minutes, la police, remise de sa surprise face à notre détermination, réorganise son dispositif. Et c’est les grands moyens ! Un vacarme nous fait soudain sursauter. Dans notre dos, deux gros hélicoptères de transport militaire (des Chinook) ont surgi de derrière la colline proche, nous survolent en piqué à moins de vingt mètres d’altitude et vont se poser à cent mètres derrière le mirador. Lorsque leurs portes-arrière s’ouvrent, c’est une nuée de policiers en tenue de combat (casques, boucliers, matraques) qui surgit, pendant que la police montée arrive au galop à travers la forêt. Sans céder à la panique, nous reculons doucement. Nous savons que nous ne pourrons pas aller plus loin, mais nous n’allons tout de mêle pas déguerpir en courant ! La première charge de police (que certains tentent de ralentir par quelques jets de pierre pour permettre aux derniers d’entre nous d’évacuer les lieux avant d’être pris) s’arrête au niveau de la grille abattue. Car visiblement, les ordres sont "soft". Alors que la police anti-émeute prend position dans le village et que la police à cheval opère un vaste mouvement de contournement comme pour nous prendre à revers, le tout pouvant constituer une nasse dans laquelle nous semblons être pris au piège, les charges policières resteront "limitées" (3) : charge au pas de course en hurlant (« move, move, move ! »), coups de boucliers dans le dos de ceux d’entre nous qui ne reculent pas assez vite (et quelques coups de matraques pour les plus récalcitrants), puis arrêt pour reconstituer la ligne (ça paraît important, ça, la ligne, pour un policier !). S’ensuit un mouvement de sac et de ressac : nous reculons, dos tournés et mains levées, lorsque les policiers nous repoussent, puis ré avançons lorsqu’ils s’arrêtent. Au bout d’une heure de ce petit jeu, la police gagnant à chaque fois un peu plus de terrain, nous sommes finalement repoussés hors du champ.
Nous nous regroupons dans le village, fatigués, mouillés (c’est qu’il pleut un peu, en Ecosse), mais heureux. Certes, nous n’avons pas bloqué le sommet. Mais ce n’est pas ce que nous avions prévu de faire, tant l’arsenal militaire déployé est infranchissable. Par contre, nous avons une nouvelle fois montré, de manière pacifique et déterminée, à quel point le pouvoir de ces pantins est devenu illégitime.
Le voyage de retour à Edimbourg sera plus rapide qu’à l’aller. Presque arrivés à destination, ce n’est qu’en passant devant le stade de Murrayfield, où le dernier concert du Live Eight vient de commencer, que nous, les trois du Larzac, nous souvenons que nous disposons de places gratuites. Nous n’avons même pas besoin de nous concerter pour décider de continuer notre route et de finir la journée dans un pub du centre-ville. C’est que nous avons choisi notre camp.
Et ce n’est pas la déclaration de Geldof dans la presse du lendemain qui allait nous faire regretter ce choix. Pour l’auto-proclamé porte-parole de la société civile mondiale, les manifestants de Gleneagles « n’ont rien compris et mettent en péril notre travail effectué en secret depuis des années. »
Eh, Sir Bob Geldof, vas expliquer ça aux mères des 60 150 000 enfants morts de faim ou de maladies depuis que tes amis en costume gris ont promis, il y a cinq ans, de s’occuper d’eux !
Gilles Gesson
Création de l'article : 26 juillet 2005
Dernière mise à jour : 26 juillet 2005
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P.S.
(1) étant entendu que nos gouvernants sont devenus les porteurs de seaux des maîtres de la finance et du commerce international...
(2) le premier, que nous avons visité la veille pendant que Geldof et ses amis étaient en train de parader à la mairie d’Edimbourg, a dressé ses toiles dans la banlieue même de la capitale écossaise.
(3) notamment en comparaison, par exemple, de la violence exercée par les policiers de notre République sur ses citoyens pour protéger de simples épis de maïs OGM.
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