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Le procès de Riom comme si vous y étiez... |
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L’intérêt des procès de septembre est que pour la première fois, les Faucheurs et les témoins cités par la défense ont pu, avec l’accord des présidents de cours, exprimer en toute liberté, et sans limite de temps, leurs motivations, et les confronter publiquement aux arguments des pro-OGM. En l’absence de tout débat public organisé par les autorités sur la problématique des organismes génétiquement modifiés, l’avancée est notable. Cependant, ces débats passionnants sont en quelque sorte restés entre les murs des tribunaux, les différents médias présents se cantonnant, comme d’habitude, à ce qui est leur brouet : l’événementiel. Pourtant, ce qui a été dit doit être su ! C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de diffuser le compte-rendu (à peu près) exhaustif de ces trois audiences. Nous avons choisi de retranscrire les débats bruts, sans commentaires, afin de vous permettre de vous faire votre propre opinion. La lecture pourra paraître parfois un peu ardue, mais nous restons persuadés que la qualité des arguments déployés lors de ce procès vaut la peine d’en faire l’effort...
Le 19 mai, la Cour d’appel de Riom rejetait la demande de 167 comparants volontaires, demandant à être inculpés au même titre que les six prévenus pour le fauchage de Marsat (14 août 2004). En première instance, le tribunal correctionnel avait pourtant reçu cette demande, reprenant le principal argument de la défense : selon l’article 6 de la Déclaration européenne des Droits de l’Homme, il ne peut y avoir de procès équitable que si tous les complices sont jugés en même temps.
Le 14 septembre, le procès sur le fond pour le fauchage de Marsat commençe donc. Sur les six prévenus, cinq sont présents : Françis Roux, paysan [il insiste lui-même à la barre sur ce terme, ndlr] sur le Larzac, Christian Roqueirol, paysan [donc] sur le Larzac, Jean-Baptiste Libouban, responsable de la Communauté de l’Arche et intiateur du mouvement des Faucheurs volontaires, Gilles Lemaire, ancien secrétaire-général des Verts, Laurent Cayla, paysan en Haute-Garonne. Le jeune Adrian Depaul n’a quant à lui pas jugé bon, comme il le dit lui-même dans une lettre envoyée au tribunal, « de venir cautionner par sa présence une justice à la botte du pouvoir. »
Premier échange : la procédure utilisée.
François Roux (avocat de la défense) : J’émets la plus grande réserve quant à la procédure actuelle, contraire au droit, celui d’un procès équitable.
Procureur : Les arguments déjà cités par la défense en première instance [sur la question des comparants volontaires, ndlr] sont irrecevables pour des raisons juridiques, les cités n’ayant pas la capacité de demander la collusion. [...] Il s’agissait d’une manœuvre dilatoire. [...] La décision du tribunal correctionnel n’était pas sérieuse, et la Cour d’appel en a jugé ainsi. De plus, la demande des comparants était dangereuse pour le respect des libertés publiques, car l’application d’une telle jurisprudence aurait créé un risque de paralysie de la justice par des bandes organisées. [...] Seul le ministère public est compétent en matière de poursuite. [...] Le ministère public a décidé d’engager des poursuites pour des violences inacceptables en démocratie. Si ces poursuites se sont limitées à six personnes, c’est que la société n’a rien à gagner à une poursuite collective. Ces six-là suffisent pour l’exemple et évite de transformer un tribunal en tribune par une minorité. [...] La stratégie de la défense était habile, car deux tribunaux s’y sont laissés prendre [les tribunaux correctionnels de Riom et de Toulouse, ndlr]. Mais la stratégie du “tout ou rien”, “vous jugez tout le monde, mais vous ne le pouvez matériellement pas, ou vous ne jugez personne”, est inacceptable. Nous devons stopper cette dérive d’obstruction de la justice.
François Roux : Il ne s’agit pas d’obstruction, mais au contraire d’application du droit. La France est d’ailleurs le pays le plus condamné pour non respect du droit par la Cour européenne de justice à Strasbourg. Après cet échange, le débat sur le fond commence vraiment.
Marie-Christine Etelin (avocate de la défense) : La question de fond est de savoir si l’essai détruit était légal. Si ce n’était pas le cas, les Faucheurs auraient fait le travail de l’Etat. Pour nous, cet essai n’était pas conforme à la directive européenne 2001-18, que la France n’a toujours pas transposé en droit français. A partir de là, peut-on condamner des gens qui se sont attaqués à un concept illégal ?
Avocat de la partie civile : Cet argument n’est pas recevable. Voyez l’exemple de l’affaire du préfet Bonnet. De plus, l’Etat a déjà fait détruire des essais non conformes. Or, celui de Marsat a été inspecté plusieurs fois, et sa conformité a été démontrée.
Procureur : Je suis d’accord avec la défense sur le retard dommageable de la transposition des directives européennes. Mais cette question n’a pas à interférer sur l’affaire que nous jugeons ici. Si les Faucheurs étaient sûrs que l’essai étaient illégal, ils ne l’auraient pas détruit, ils auraient agi par voie judiciaire. De toute manière, nul n’est fondé à faire justice lui-même.
Avant de procéder à l’audition des prévenus, le président précise : « pour une fois que nous en avons la possibilité sur cette question [des OGM, ndlr], je souhaite un débat de qualité. L’audience doit avoir un rôle pédagogique. »
Parmi les six prévenus, Christian Roqueirol tient une place à part. Il n’est pas accusé de destruction ( ?), mais de “violence sur agent” [un gendarme a eu une côte cassée et un écrasement des... parties génitales pendant l’action ; une femme-gendarme (gendarmette ?) se plaint aussi de violences subies, ndlr].
Christian : Je nie les faits qui me sont reprochés, aussi bien en tant que militant non-violent de longue date que syndicaliste ayant souvent démontré son sang-froid sur le terrain [...].
Gendarme : [...] Ils avaient mis les femmes devant [ce à quoi le président rétorque : "mais parmi vous, il y avait aussi des femmes-gendarmes, non ?"]. [...] Je maintiens mes accusations et reconnais formellement mon agresseur.
Gendarmette : [...] J’ai été frappée à plusieurs reprises à coups de bâton. [...] Je suis atterrée par l’attitude de ces gens, qui se disent non-violents.
François Roux : Sur les images filmées par les gendarmes eux-mêmes [que la cour a visionnées en début d’audience, ndlr], on ne voit aucun Faucheur avec un bâton. Par contre, on y voit de nombreux pro-OGM armés de la sorte...
Gendarme : [...] Nous étions attachés à la protection rapprochée [sic] de la parcelle. [...] C’était une manifestation violente.
Un témoin de la défense : Christian était à terre, se protégeant des coups des gendarmes.
Un témoin de la défense : Les Faucheurs prennent des risques pour eux, comme il a été démontré par les soixante blessés de Solomiac et les vingt blessés de Valvidienne lors des fauchages suivants, mais n’en font pas courir aux autres, comme le font ceux qui mènent les véritables actions violentes. [...] Il existe d’ailleurs une nuance très importante entre la violence envers les biens et la violence envers les personnes [...] Les Faucheurs ne cherchent aucun intérêt particulier, ils posent des questions citoyennes, alors que les medias et les élus se taisent.
La parole est ensuite donnée aux six prévenus, afin qu’ils expriment leurs arguments devant la cour.
Laurent : En tant que paysan, je ne peux qu’être très inquiet de la possible pollution irréversible de l’environnement. [...]
Francis : Ma position est identique. [...]
Gilles : La non-violence active fait évoluer le droit, comme ce fut le cas lors de la guerre d’Algérie, pour l’objection de conscience, pour l’avortement, lors de la lutte du Larzac. [...] Le brevetage du vivant est un scandale, qui transforme les paysans en serfs. [...] Le débat démocratique sur les OGM n’existe pas.
Jean-Baptiste : Pour moi, la prise de décision de passer à l’action n’a pas été évidente. Mais je suis responsable de l’Arche, citoyen, grand-père. [...] Les démarches auprès des pouvoirs publics n’ont rien donné. [...] Le devoir de l’Etat n’est pas de protéger les intérêts privés, mais le bien commun. [...] Un Etat de droit se doit de protéger le plus faible contre le plus fort, sinon ce n’est plus un Etat de droit. [...] Si nous ne résistons pas maintenant, tout sera fini. [...] Les firmes font actuellement ce qu’elles veulent, même cacher, même mentir. [...] Le Faucheur s’engage individuellement, en connaissance de cause, il prend des risques, ne gagne rien. [...] Cet été, les fauchages nocturnes nous permettent d’appliquer à nous-mêmes [face à la violence policière, ndlr] un principe de précaution que l’Etat revendique, mais n’applique pas [allusion à l’inscription récente de ce principe dans la constitution, ndlr]. [...] La désobéissance civile est la respiration de la démocratie, l’interpellation de la conscience.
Christian : La lutte du Larzac contre l’extension du camp militaire a été une formation à la résistance à l’injustice de façon non-violente.
Viennent ensuite les témoignages de la partie civile.
Premier témoin de la partie civile (un chercheur de Limagrain) : Les recherches que nous menons ont pour but d’améliorer les semences, d’abord en laboratoire, puis au champ. Le passage de l’un à l’autre est très contrôlé, en vertu de la loi du 13 juillet 1992. [...] L’autorisation de l’essai est donnée par l’Etat, avec possibilité de veto du ministère de l’Environnement. L’information est publique, puisqu’elle est mentionnée par internet. Le contrôle de l’essai est effectué par des contrôleurs assermentés, qui envoient leur rapport aux autorités. L’essai de Marsat était ainsi autorisé. [...] Il consistait à introduire dans le maïs un gène de sorbeau, donc sans risque, pour limiter la consommation de la plante en eau, donc l’irrigation, et à modifier un gène de maïs, donc sans risque, pour limiter la consommation de nitrate. [...]
Second témoin de la partie civile (un chercheur de Limagrain) : Nous avons pris toutes les précautions nécessaires quant à une éventuelle pollution. Tout en sachant qu’un gène de maïs ne peut polluer que du maïs, nous avons pris des précautions par la castration et la mise sous poche des fleurs, afin d’éviter toute pollénisation. Quant à la pollution verticale [infiltration de bactéries modifiées dans le sol, ndlr], elle n’a jamais été démontrée. [...] Les essais comme celui-ci sont impossibles à mener en laboratoire confiné. Ils sont donc indispensables et encadrés, avec un avis de différentes commissions et des académies. Mais les fauchages continuent. [...] Les chercheurs sont découragés. [...] La recherche française risque de prendre du retard par rapport aux Etats-Unis, au Canada, au Japon et à la Chine.
Suivent les témoignages de la défense.
Premier témoin de la défense (élue au Conseil régional d’Auvergne, faucheuse) : Le Conseil régional d’Auvergne a voté une résolution hostile aux OGM sur son territoire, tout en étant favorable à la recherche en milieu confiné. Ce qui n’a eu aucun effet. C’est un déni manifeste de démocratie, au moment où l’Etat parle de décentralisation. [...] Limagrain, fortement implanté dans la région, a fait du chantage à la délocalisation. Mais le Conseil régional a persisté dans son vote. Puisque cela n’a pas eu plus d’effets, il a bien fallu passer nous-mêmes à l’action. [...] Le brevetage du vivant est un scandale, car il s’agit d’un déni de l’agriculture traditionnelle. L’absence de risques n’a jamais été prouvée. [...] Ce n’est pas lorsque le sucre est dissous dans l’eau qu’on peut le retirer.
Second témoin de la défense (ancien généticien-sélectionneur de plantes, faucheur) : Jusqu’alors, je m’étais toujours contenté, malgré l’évidence des dangers, de discours de protestation. [...] La science et l’éthique ne doivent jamais être séparés. [...] Il existe une distorsion entre les besoins des agriculteurs et ceux des semenciers. On n’a jamais demandé leur avis aux agriculteurs. C’est en prenant conscience de ces différents points que j’ai décidé de quitter mes fonctions. [...] L’homogénéité de la biodiversité, vers laquelle on semble vouloir tendre, est très dangereuse. De quel droit exploite-t-on le patrimoine de l’humanité à des fins privées ? C’est contraire à ce que les généticiens apprennent. [...] Les firmes, qui ne se sont jamais souciées des populations du Sud, ne peuvent pas dire aujourd’hui, comme elles le font : “nous travaillons pour vous.” [...] La pollution, tant horizontale [pollénisation, ndlr] que verticale [voir plus haut, ndlr] est inévitable. [...] Lors de la crise de la “vache folle”, face au risque, on n’a pas cherché à comprendre, on a abattu des troupeaux entiers. Face aux risques des OGM, on ne fait rien. Autre bizarrerie : la recherche pour les OGM bénéficie de budgets énormes alors qu’il n’y a pas de demande, tant de la part des agriculteurs que des consommateurs.
Troisième témoin de la défense (agriculteur, faucheur) : Je suis certain qu’un jour, les OGM entreront dans mon champ, sans que je le sache. De nombreux rapports publiés en Angleterre, en Suède, au Danemark, prouvent que des productions agricoles traditionnelles ont déjà été polluées. Ces productions deviennent impro-pres à la vente. [...] Quand je vois ce que j’ai vécu au moment de la “vache folle”, quand je me suis trouvé face à des clients qui me soupçonnaient de vouloir les empoisonner, je préfère aujourd’hui aller en prison pour avoir fauché des OGM plutôt que de revivre cela. [...] La castration du maïs n’est jamais sûre à 100%. Les firmes, en disant que vouloir le “risque zéro” revient à arrêter l’expérimentation, en apporte la preuve. [...] Limagrain, en demandant des dommages et intérêts, avoue ses intentions exclusivement mercantiles. [...] L’argumentaire de l’essai de Marsat, une moindre consommation d’eau et d’azote, est un mensonge. Ces maïs existent déjà, mais ils ont un gros défaut pour les firmes : il s’agit de maïs modifiés naturellement, donc sans brevets, donc gratuits. [...] Une molécule peut ne pas être dangereuse dans son contexte, mais déclencher une dangerosité dans un autre.
Quatrième témoin de la défense (chercheur et enseignant en génétique et biologie moléculaire) : Je ne suis pas foncièrement anti-OGM. Personne ne peut être contre les OGM... dans le cadre de la recherche en laboratoire confiné, par exemple en recherche médicale. Mais je suis farouchement opposé aux OGM en plein champ car les risques de dissémination sont réels et scientifiquement prouvés. [...] Les chercheurs en biologie moléculaire sont de bons mécaniciens, mais ils ne connaissent pas le moteur sur lequel ils travaillent. [...] Pour moi, les risques des OGM sont supérieurs à ceux du nucléaire, car ces derniers sont limités dans le temps, même s’il est très long. Pas ceux des OGM. A mon sens, le danger est encore plus grand en ce qui concerne les OGM-thérapeutiques, car là, on lâche n’importe quoi dns la nature, de manière irréversible. [...] De nombreux chercheurs ont perdu tout sens de l’éthique. Les scientifiques sont trop enfermés dans leurs laboratoires. [...] Les Faucheurs sont des éveilleurs de conscience.
Arrive le moment des plaidoieries, en commençant par celles de la partie civile et du ministère public.
Plaidoierie de l’avocat du gendarme blessé : Nous n’avons pas ici à prendre de position pro ou anti-OGM. Mais dans un Etat de droit comme le nôtre, il faut assurer aussi bien le droit de manifestation que l’ordre public. [...] Le rapport de force était inégal, entre 80 gendarmes et 400 Faucheurs. Pour moi, ces derniers sont comparables aux membres des commandos anti-avortement. [...] Ces gens ne sont pas des pacifistes : ils ont des couteaux, ils mettent les femmes et les enfants devant. [...] La déposition de la victime mentionne que son agresseur portait des lunettes. Certes, M. Roqueirol n’en porte pas, mais sur cette photo, certains de ses voisins lors de l’action en portent. Il est aussi fait mention que l’agresseur était âgé d’environ 60 ans. Certes, M. Roqueirol est plus jeune, mais il avait fait plusieurs heures de route ce jour-là, il faisait très chaud et on sait que les Faucheurs aiment bien boire avant de partir en action. Il avait donc les traits tirés, ce qui explique la confusion de mon client. [...] M. Roqueirol est bien l’agresseur volontaire [jeu de mots, ndlr]. Nous demandons en conséquence 1.500 euros de dédommagement.
Plaidoierie de l’avocate de la propriétaire du champ d’asperges voisin (qui aurait subi des “dommages collatéraux”) : La destruction comme argument de résistance est absurde, car le risque est inexistant. Je suis d’aileurs choquée d’entendre parfois des comparaisons entre les Faucheurs et les Résistants des années 40. A la différence de ces véritables héros, les Faucheurs ne risquent rien, eux, et détruisent. [...] La cour doit juger les faits, et non les concepts de désobéissance civile et autres absurdités. [...] Les Faucheurs n’ont pas à se plaindre comme ils le font, mais à assurer leurs actes. Les faits sont établis : il y a destruction de la propriété d’autrui, une destruction en réunion et concertée. S’ils sont contre les OGM qu’ils utilisent la voie législative. [...] Les essais sont autorisés et contrôlés. Les Faucheurs ne peuvent donc invoquer l’état de nécessité [prévu dans l’article 122-7 du Code pénal, ndlr], qui consiste à réagir à une infraction. Ils ne peuvent invoquer le principe de précaution, qui est du seul ressort des pouvoirs publics. Ils ne peuvent pas plus invoquer le droit à un environneent sain, reconnu par l’article 8 de la Déclaration européenne des Droits de l’Homme, et en même temps bafouer le droit de propriété, reconnu dans l’article 1 de la même Déclaration.
Plaidoierie de l’avocat de Limagrain : Limagrain ne fait pas de prosélytisme pro-OGM. Les Faucheurs en font un anti-OGM. Ils pensent être détenteurs de la Vérité et détruisent à ce compte. Il y a là un grand danger pour la démocratie, car à ce titre, ils pensent pouvoir détruire et diaboliser leurs adversaires. Ce sont eux les victimes, les autres sont les menteurs, les monstres. [...] La Mission parlementaire d’information sur les OGM a pourtant rendu un avis favorable aux essais en plein champ. [...] Le vrai principe de précaution consisterait à laisser les essais aller à leur terme pour le progrès scientifique. [...] Vous vous abritez derrière le concept de désobéissance civile, qui consiste à agir de manière non-violente, à visage découvert, en cherchant à convaincre l’adversaire. Or, vous êtes violents, vous fauchez maintenant de nuit et vous détruisez au lieu de débattre. Vous vivez dans vos phantasmes. [...] Le préjudice est très important pour Limagrain, mais aussi pour les chercheurs. Nous demandons donc 5 millions d’euros de dommages et intérêts.
Plaidoirie du procureur : La cour n’a pas vocation à juger du bienfait ou de la nocivité des OGM, mais des faits précis. Cependant, en qualité de représentant du ministère public, j’accepte le débat. Les précédents sanitaires (“vache folle”, amiante, etc.) doivent effectivement inciter à la prudence. Vous avez le droit d’être contre, mais ce n’est pas la raison de votre présence ici. Ce ne sont pas vos idées que l’on juge, mais vos actes. Vous ne piétinez pas que du maïs, vous piétinez aussi la loi. Les prescriptions légales ont été respectées à Marsat, et vous invoquez une fausse légitimité. Votre seule motivation est de commettre des actes délictueux. En quoi sont-ils différents de vous, ces agriculteurs qui louent leurs champs aux chercheurs ? Vous pensez les avoir convaincus en agissant de la sorte ? Ils vous attendaient avec des bâtons, dites-vous. Mais qu’attendiez-vous de leur part ? Des fleurs ?. La tolérance n’est pas de votre côté. Vous prenez le risque de provoquer une réaction en chaîne de violence. Vous diabolisez tous ceux qui ne pensent pas comme vous. Arrêtez-vous avant qu’il ne soit trop tard, choisissez des moyens légaux. N’invoquez pas la désobéissance civile : où est la dictature, en cette France de 2005 ? Je ne suis pas pour la “démocratie molle”, qui consiste à se contenter de mettre un bulletin de vote dans l’urne tous les cinq ans, mais je n’accepte pas pour autant qu’une minorité cherche par la force à imposer son opinion. Vous remettez en cause le consensus démocratique. La désobéissance civile n’est pas la respiration de la démocratie. L’état de nécessité ne peut être reconnu que face un danger ponctuel et imminent pour tous, ou face à un cas non encadré par la loi. Vous faites preuve de malhonnêteté intellectuelle, pire, de provocation. D’ailleurs, avez-vous penser que vos destructions pouvaient accélérer la dissémination ? Vous n’acceptez du droit que ce qui vous sert. Je suis convaincu de la culpabilité de M. Roqueirol pour voies de fait sur agent et demande donc à son égard une peine de quatre mois fermes sous forme de la surveillance électronique [le fameux bracelet, ndlr]. Je suis convaincu de l’innocence des accusations de rébellion à l’encontre de M. Cayla et de M. Depaul, pour qui je suggère la relaxe. Je suis convaincu de la culpabilité de M. Roux, M. Libouban et M. Lemaire pour destruction et demande donc à leur égard une peine de prison avec sursis assortie d’une période de travail d’intérêt général.
Cette dernière demande provoque la réaction immédiate des trois concernés, une réaction exprimée au nom de tous par Gilles Lemaire. « Nous refusons de faire un travail d’intérêt général. Nous l’avons déjà fait en fauchant la parcelle. » Le “sursis” se transforme donc automatiquement en “ferme”...
Plaidoirie de François Roux (défense) : Le procureur n’a pas compris, car il n’a pas écouté. Voilà trente ans que la désobéissance civile est traînée devant les tribunaux, et la logique du Parquet reste inchangée, malgré les victoires juridiques et les nombreuses relaxes qu’elle a obtenues. La cour ne pourra pas être aussi méprisante que l’a été le procureur. Les Faucheurs ne sont pas des irresponsables. Ils expriment au contraire une haute responsabilité citoyenne. La demande de travail d’intérêt général est donc ridicule. Voilà ceux que l’on présente comme des délinquants, qui plus est comme des violents. Pour exercer dans des tribunaux, nous savons tous ce qu’est la vraie violence. [...] Considérez-vous que Gandhi, Lanza del Vasto, les Paysans du Larzac, Jésus, étaient violents ? [...] Rappelons-nous les scandales des farines animales, du sang contaminé, de l’amiante. “Science sans conscience n’est que ruine de l’âme”. [...] Tout a été tenté : les pétitions, les visites au ministère de l’Agriculture, la prise de position anti-OGM de 4.500 élus européens, les milliers de maires et le président du Conseil général du Gers qui en ont fait autant et se sont vus traînés pour cela devant les tribunaux administratifs. [...] Nous ne sommes certes pas en dictature, mais n’oublions pas que la France est le pays européen le plus condamné à Strasbourg pour non-respect de la loi. Nous savons, vous savez, que les choses n’avancent que quand les gens se lèvent. [...] Le vrai débat est de savoir si l’on peut impunément faire des essais en plein champ. N’oublions pas qu’en leur temps, les farines animales, le sang contaminé, l’amiante, étaient légaux. La soit-disante légalité des essais, derrière laquelle vous vous abritez, n’est dûe qu’à la carence des pouvoirs publics, qui n’ont pas transposé la directive européenne 2001-18, au nom de la protection des intérêts d’une firme privée faits sur le dos des autres, avec un risque de contamination irréversible qu’aucune compagnie d’assurance ne veut se risquer à assurer. Allez-vous, M. le président, cautionner cela, devant l’Histoire ? Les Fau-cheurs, eux, ont pris leur responsabilité. Ils sont en état de légitime révolte. La violation de propriété est commise en premier par les firmes semencières, qui polluent les champs alentours. Quant à la lecture de l’article 122-7 relatif à l’état de nécessité, le procureur en fait une lecture très partisane. L’an dernier, des tribunaux anglais ont relaxés des faucheurs en invoquant cet état de nécessité.
Plaidoierie de Marie-Christine Etelin (défense) : Les OGM ne s’inscrivent pas dans le domaine de la recherche pure, mais dans celui de la technologie et du business. Les Faucheurs comblent par leur action les carences de l’Etat face aux intérêts privés, et qui compte sur le temps pour instaurer un fait accompli irréversible. Les essais sont soit-disant autorisés, mais la transposition de la directive européenne n’a pas été faite, depuis maintenant quatre ans. L’essai de Marsat n’était donc pas légal. [...] Les arguments avancés par les pro-OGM sont ridicules : lutter contre la faim dans le monde, alors que les paysans des pays du Sud seront obligés d’acheter leurs semences ; protéger l’environnement, alors que les études en Amérique du Nord démontrent qu’avec les OGM, l’utilisation d’insecticides et de pesticides augmente ; quant à la recherche médicale, c’est le nouveau Cheval de Troie. Les firmes semencières ne sont que des sociétés de business sur le vivant. Limagrain est un holding qui détient Biogemma et est associé à la RAGT. [...] La demande de dommages et intérêts de la part de la partie civile est infondée, car les OGM ne sont pas, par définition, inscrits au catalogue des semences et donc inestimables. [...] Par ces poursuites, les firmes et l’Etat veulent éviter le débat public, car ils connaissent d’avance quel en serait le résultat.
Plaidoierie de Michel Guillaneuf (défense) : Je suis ahuri de voir, audience après audience, la mise en scène du déploiement massif des forces de l’ordre à l’entrée des tribunaux. Vous voulez tellement alimenter le mythe de la violence des Faucheurs, qui sert tant l’accusation et le procureur, que vous en devenez grotesque. [...] En ce qui concerne M. Roqueirol, arrêtons le mythe, là aussi, des sauvages qui ne font pas de distinction entre les gendarmes et les épis de maïs. Si M. Roqueirol était vraiment coupable, pourquoi les gendarmes, qui le tenaient, ne l’ont pas arrêté sur le champ ? On y a bien arrêté M. Cayla et M. Depaul pour moins que cela. On le reconnaît sur photo, sept jours plus tard, parmi le “trombinoscope” des “meneurs” de Millau, alors qu’on l’avait entre les mains ! Dans ce dossier, l’accusation a besoin d’une émeute, de violences, de blessés, de voyous. Elle a besoin de “violence volontaire”, ce qui motive par ailleurs les cars de CRS à l’entrée de ce tribunal. Quant aux réquisitions du procureur, elles ne sont pas à la hauteur des motivations des inculpés.
Le jugement est mis en délibéré jusqu’au 24 novembre...
Gilles Gesson
Création de l'article : 9 novembre 2005
Dernière mise à jour : 14 novembre 2005
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