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Le procès de Toulouse comme si vous y étiez... |
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L’intérêt des procès de septembre est que pour la première fois, les Faucheurs et les témoins cités par la défense ont pu, avec l’accord des présidents de cours, exprimer en toute liberté, et sans limite de temps, leurs motivations, et les confronter publiquement aux arguments des pro-OGM. En l’absence de tout débat public organisé par les autorités sur la problématique des organismes génétiquement modifiés, l’avancée est notable. Cependant, ces débats passionnants sont en quelque sorte restés entre les murs des tribunaux, les différents médias présents se cantonnant, comme d’habitude, à ce qui est leur brouet : l’événementiel. Pourtant, ce qui a été dit doit être su ! C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de diffuser le compte-rendu (à peu près) exhaustif de ces trois audiences. Nous avons choisi de retranscrire les débats bruts, sans commentaires, afin de vous permettre de vous faire votre propre opinion. La lecture pourra paraître parfois un peu ardue, mais nous restons persuadés que la qualité des arguments déployés lors de ce procès vaut la peine d’en faire l’effort...
Le 14 avril, la Cour d’appel de Toulouse rejetait la demande de 222 comparants volontaires demandant à être inculpés au même titre que les neuf prévenus pour le fauchage de Menville (25 juillet 2004). En première instance, le tribunal correctionnel avait pourtant reçu cette demande, reprenant le principal argument de la défense : selon l’article 6 de la Déclaration européenne des Droits de l’Homme, il ne peut y avoir de procès équitable que si tous les complices sont jugés en même temps.
Le 20 septembre, le procès sur le fond pour le fauchage de Menville commençe donc. Les neuf prévenus, sont présents : Gérard Onesta, député Vert européen et vice-président du Parle-ment européen, Noël Mamère, député-maire Vert de Bègles, Michel Daverat, conseiller régional Vert d’Aquitaine, Gilles Lemaire, ancien secrétaire-général des Verts, Pierre Labeyrie, élu municipal Vert de Toulouse, François Simon, élu municipal de Toulouse, Jean-Baptiste Libouban, responsable de la communauté de l’Arche et initiateur des Faucheurs volontaires, Jean-Aimé Gravas, ancien Résistant, et José Bové.
Après les échanges devenus “habituels” entre la défense (l’absence des comparants volontaires est dommageable quant à la tenue d’un véritable procès) et l’accusation (la question a déjà été réglée par la Cour d’appel), la parole est donnée aux prévenus.
Gilles Lemaire : La présence de cinq élus Verts parmi les neuf prévenus démontre qu’il s’agit la fois d’un engagement individuel et collectif. [...] Les voies démocratiques que nous avons utilisées, saisie de l’Assemblée Nationale par Noël Mamère, saisie du Parlement européen par Gérard Onesta, initiative de référendum départemental dans le Gers, ont débouché sur une impasse. Nous nous sommes donc trouvé à faire le choix forcé de l’illégalité, ce qui ne fut pas de gaîté de cœur. Cependant, nous savons que le droit évolue souvent dans la confrontation avec des actes illégaux, mais légitimes. Ce fut le cas lors de la guerre d’Algérie, pour la reconnaissance de l’avortement et de l’objection de conscience. Nous nous considérons comme des éveilleurs de conscience. [...] Dans le domaine de “l’illégalité légitime”, le Larzac est une référence. A l’époque, les actions menées étaient illégales (renvois des livrets militaires, refus de l’impôt, etc.), mais le Larzac a gagné et est aujourd’hui vivant et dynamique. A tel point que les Larzaciens occupent souvent vos prétoires... [...] Prenons l’exemple du “régent” : sa vente est interdire, mais il coûterait plus cher aux firmes de ne pas écouler les stocks que de payer les amendes. Le profit a toujours la priorité sur la santé publique. [...] Nous sommes face à une démocratie vacillante. Le dernier exemple en été donné lors du référendum sur la constitution européenne : 80% du Parlement français était pour, 55% des électeurs français ont été contre. [...] Je ne suis pas partisan d’un système où les élus, une fois élus, n’ont plus de compte à rendre aux électeurs. [...] Les risques de contamination, tant horizontale que verticale, sont aujourd’hui prouvés. Nous somes pour la recherche génétique, mais un milieu confiné et pas sur des fonds publics au profit du privé. [...] Les fauchages sont faits pour alerter l’opinion publique et forcer le débat. [...] La non-violence ne consiste pas à ne pas toucher aux biens, mais à ne pas toucher aux personnes.
Jean-Baptiste Libouban : A Menville, j’ai coupé un épi de maïs OGM, en tant que citoyen, grand-père et membre de l’Arche. [...] Je suis horrifié que le gouvernement préfère la défense d’intérêts privés au détriment du bien commun. [...] Au Canada, des paysans voient leurs cultures polluées par les OGM et sont condamnés pour vol de semences brevetées. [...] J’ai une certaine expérience militante non-violente : au moment de la guerre d’Algérie, contre le nucléaire, pendant la lutte du Larzac, et récemment lors d’un jeûne à l’ONU contre la guerre en Irak. Le mouvement des Faucheurs est dans la même lignée. J’en ai écrit la charte, que j’ai proposée au moment du rassemblement “Larzac 2003”. Nous ne demandons pas aux gens de suivre quelqu’un, mais de suivre leur conscience. [...] La procédure d’attribution des brevets ne comporte aucun élément éthique. [...] Ma philosophie est : “pas par plaisir, pas par profit, pas par commodité”.
Gérard Onesta : J’ai refusé de profiter de mon immunité parlementaire pour être jugé, et ainsi disposer d’un espace de débat. L’Etat est plus diligent à poursuivre les Faucheurs qu’à appliquer le droit européen, en l’occurence la directive européenne sur les OGM. C’est donc l’Etat qui, en autorisant les essais, organise la dissémination des OGM dans l’environnement. Si l’Etat appliquait cette directive, il n’y aurait pas d’essais, et donc pas de fauchages. [...] La directive européenne est très insuffisante, mais même cette insuffisance n’est pas appliquée par l’Etat. [...] Le droit européen est supérieur au droit national. Le Parlement européen s’est clairement positionné contre les OGM et le Conseil [des ministres européens, ndlr] lui-même n’arrive pas à dégager une majorité qualifiée en leur faveur. Les essais en plein champ sont des pratiques criminelles. Quand la catastrophe se produira, aucun commissaire européen ne sera inquiété, comme on l’a vu pour la “vache folle”. En Autriche, 9 régions sur 12 sont hostiles aux OGM. En Grèce, c’est la totalité des régions. Dans tous les pays de l’Union Européenne, c’est la grande majorité des régions, et cela augmente chaque semaine. [...] Quand le Parlement européen veut légiférer sur les OGM, c’est impossible car il est bloqué par la règle de la majorité qualifiée [des 2/3, ndlr]. Avant la catastrophe de Tchernobyl, le naufrage du Prestige, le scandale des farines animales, les massacres au Kosovo, la catastrophe d’AZF [nous sommes à Toulouse..., ndlr], on savait, et on n’a rien fait. Après AZF, les médias m’ont ouvert leurs portes, simplement parce j’étais debout sur trente cadavres. Je n’ai pas envie de revivre cela. [...] Mon travail de législateur, je l’ai fait, je l’ai gagné, mais cela n’a servi à rien. [...] Si les décisions démocratiques ne sont pas appliquées, il ne faudra pas s’étonner que des franges entières de la population virent vers le populisme. [...] La démocratie est malade. [...] Mon engagement contre les OGM est déjà ancien. Il était mentionné dans mon programme électoral et mes électeurs n’ont donc pas été trompés. [...] J’ai dû, nous avons dû, agir pour défendre le droit à la vie de tous contre les intérêts de quelques-uns. [...] Le droit de propriété, derrière lequel s’abrite les firmes semencières, est d’abord celui des labels, des AOC, et surtout celui de notre propre corps. [...] Si votre décision est aussi symbolique que mon geste, alors nous resterons bons amis.
Noël Mamère : Nous avons posé un acte symbolique en l’absence d’un débat démocratique sur une question de société. [...] Nous avons agi pour alerter l’opinion. [...] Nous n’incendions pas les préfectures, nous ne détruisons pas des bureaux de ministres, mais nous sommes néanmoins poursuivis avec célérité. [...] La commission d’évaluation a organisé une conférence des citoyens sur les OGM, dont ses propositions n’ont pas été reprises lors des débats à l’Assemblée Nationale, et ont encore moins eu une traduction législatives. Toute demande de commission d’enquête parlementaire est repoussée. A la place, pour calmer le jeu, le président de l’Assemblée Nationale crée une simple mission d’information, dont le rapport, favorable aux OGM, est très critiqué, y compris par des membres de la majorité parlementaire. [...] Les arrêtés anti-OGM pris par les élus de 1.250 communes et de 20 régions sur 21, sont systématiquement cassés par les préfets, représentants de l’Etat. [...] Les OGM interactivent sur le vivant et la pollution possible sera irréversible. C’est ce doute qui nous fait agir. L’humanité devient le cobaye d’une science avide et impatiente. Ce n’est pas à Monsanto, Syngenta ou Limagrain de transformer nos champs en paillasses de laboratoire. Ce système est réellement totalitaire, car c’est à la société de décider quels risques elle veut prendre, et elle seule. [...] Nous avons agi pour la liberté et pour le droit. Vous devez trancher entre la “nécessité sociale” et la “nécessité économique”...
François Simon : C’est le non-respect des élus, dont je fais parti,e qui m’a décidé à agir. [...] Depuis cette action, il y a un an, rien n’a évolué dans le domaine du contrôle des OGM. [...] Je suis médecin. L’inoccuité des OGM est un mensonge. Une expérience menée sur des rats nourris avec des pommes de terre OGM a montré un grave disfonctionnement organique chez les rongeurs. L’étude avait été commandé par Monsanto, une firme semencière. Que s’est-il passé ? Le chercheur a été licencié et le rapport rangé au placard. Un placard d’où la fait ressortir le CRIGEN [Centre (indépendant) de Recherche et d’Information sur la Génétique et le Nucléaire, ndlr]. [...] L’affaire de la “vache folle” était prévue par certains médecins dès 1978, les dangers de l’amiante étaient connus en Angleterre dès 1888. Les études de dangerosité doivent être meées par les pouvoirs publics, pas par les firmes comme c’est le cas. [...] Un amalgame est sciemment organisé entre la recherche génétique, en milieu confiné, et la recherche OGM, en plein champ. [...] La solution d’éradiquer la faim dans le monde passe par une meilleure répartition et par le respect de la souveraineté alimentaire des pays du Sud. On n’a pas besoin des OGM. Ils sont d’ailleurs majoritairement utilisés dans l’alimentation animale, ce qui multiplie les risques sanitaires, par introduction cachée dans la chaîne alimentaire, et de dissémination. [...] Je suis un élu local. Je suis là pour défendre les intérêts des citoyens. Les OGM constituent une tentative de coup d’Etat agricole. [...] L’essai détruit à Menville était un essai non pas scientifique, mais de commercialisation, c’est-à-dire une recherche... de débouché commercial.
José Bové : A Menville, j’ai coupé symboliquement un épi de maïs. Je suis Faucheur volontaire, mais inculpé involontaire [référence à la demande repoussée des comparants volontaires, ndlr]. Je suis éleveur de brebis laitières pour Roquefort. Les industriels se sont très vite positionnés contre les OGM. En tant que producteur, je suis responsable face aux consommateurs. [...] La problématique des OGM est apparue à la fin des années 90. La Confédération Paysanne a pris position contre les OGM à la suite d’un débat contradictoire. La première action anti-OGM date de 1997, au moment où le gouvernement Juppé venait d’autoriser l’importation de soja transgénique. D’autres actions ont suivi en 1998, et ont forcé les autorités à décider un moratoire. Sans les actions des faucheurs, aucune information n’aurait filtré. [...] La récente mission parlementaire d’nformation conseile un moratoire sur les essais en plein champ. En réponse, le gouvernement autorise de nouveux essais. Jusqu’à quand va-t-on devoir faucher pour être entendu ? [...] Des fauchages ont aussi eu lieu en Inde, au Brésil, en Espagne, en Allemagne. [...] Le système des OGM repose sur les brevets ? Il ne s’agit uniquement que de business. Pour preuve, le système des brevets est défendu par l’Organisation Mondiale du Commerce. [...] Nous agissons en état de nécessité pour faire respecter la loi, notamment l’article 8 de la Déclaration européenne des Droits de l’Homme sur un environnement sain. certes, le droit de propriété existe, mais il connaît des limites légales, comme la loi de réquisition de logements ou le statut du fermage. Les OGM constituent un abus du droit de propriété. [...] L’Etat se place au service des firmes. Nous devons donc le droit et le devoir de résister, par la désobéissance civile. Quant à la justice, elle est ici prise en otage par l’Etat. A vous de choisir.
Suivent les dépositions des témoins de la partie civile.
Premier témoin de la partie civile (chercheur à l’INRA) : Les OGM répondent à un besoin permanent du monde paysan de pouvoir disposer de nouvelles variétés. Cela a toujours existé, seule la technique a changé. La mutation génétique est actuellement obtenue par une transgénèse contrôlable, mais les firmes vont avoir tendance, si elles continuent d’être importunées, vers une mutagénèse beaucoup plus aléatoire en terme de contrôle. [...] L’essai de Menvile concernait un maïs tolérant à l’herbicide. Il a dû satisfaire à une avalanche d’autorisations, de vérifications, de tests, notamment toxicologiques. La mise au champ d’un OGM n’est pas plus dangereuse que celle de son équivalent traditionnel, sur lequel aucun test n’a d’ailleurs été fait. Pourtant, des croisements naturels peuvent être toxiques. [...] La dissémination est impossible par le recours à la castration et à l’ensachage. De plus, le pollen du maïs est très lourd et tombe dans un court rayon, un rayon qui est respecté lors des essais par l’installation d’un corridor de sécurité. [...] Le besoin de nouvelles variétés est dicté par l’évolution des prédateurs. [...] L’essai au champ est fait pour voir comment l’OGM réagit dans l’environnement. Des essais au champ sont aussi nécessaires pour les variétés traditionnelles avant d’être homologué. [...] Pour les firmes, es essais sont préférables aux essais en milieu confiné, car ces derniers sont trop chers.
Second témoin de la partie civile (vétérinaire, député de la majorité, membre de la Mission parlementaire d’information sur les OGM) : La Mission parlementaire avait pour but de préparer le prochain débat parlementaire sur les OGM. Dans de nombreux pays, Les Etats-Unis, la Chine, l’Inde, l’Argentine, etc., on développe et cultive les OGM. En France, on a des interrogations d’ordre sanitaire, environnemental, philosophique, économique, d’où la création de cette mission de 31 membres, qui a auditionné 130 personnes, organisé des tables rondes, s’est rendue aux Etats-Unis et en Afrique du Sud. Il s’agit donc d’un rapport très circinstancié, qui s’est montré favorable aux essais en plein champ. Les OGM sont bénéfiques à la santé publique, par la recherche médicale, à la santé des agriculteurs, par le moindre emploi de pesticides, pour l’alimentation, par l’amélioration de la qualité et l’élimination des toxines, pour l’environnement, par l’emploi moinde d’insecticides. Les fauchages rendent la recherche difficile, qui manque par ce fait d’un maillon essentiel pour le diagnostic. La France est ainsi à la traîne par rapport à ses concurrents. [...] Le risque est inhérant à la vie. Dans notre vie quotidienne, nous prenons tous des risques bien plus grands. [...] Par l’action des anti-OGM, la France n’aura bientôt plus de brevets, qui seront justement entre les mains de firmes étrangères. [...] Le principe de précaution ne doit être un outil de blocage. [...] Les Faucheurs sont des idéologues, des fanatiques.
La parole est ensuite donnée aux témoins de la défense.
Premier témoin de la défense (Gisèle Halimi, avocate) : Les Faucheurs sont les sentinelles de l’avenir de nos enfants. Dans un état de nécessité face à un risque, on peut être amené à désobéir. Je l’ai fait pour l’Algérie [elle avait alors constitué un collectif d’avocats et initié le Manifeste du droit à l’insoumission, signé par 121 intellectuels, dont Claude Sautet, Agnès Varda, Simone Signoret, etc., ndlr] et pour l’avortement [elle fut l’avocate des femmes traînées en justice et l’instigatrice du Manifeste des 343 Salopes, signé par Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Delphine Seyrig, Agnès Varda, etc., ndlr]. On a toujours raison de s’élever contre une loi discriminatoire, mais ce n’est perçu par les autres qu’après. On faisant cela, on cherche à faire abroger cette loi pour la remplacer par une meilleure. Il n’est certes pas question d’accepter que n’importe qui viole la loi, mais de reconnaître des valeurs supérieures. La lutte des Faucheurs aujourd’hui est semblable à celles dont je viens de parler, car devant l’absence de loi pour protéger les consommateurs contre les risques des OGM, nous sommes vraiment dans un état de nécessité.
Troisème témoin de la défense (président du Conseil général du Gers, député, ancien préfet) : Je pense que mon curriculum vitae suffit à prouver que je suis respectueux de la loi, que je fais confianceà la loi et aux déclarations de nos dirigeants. [...] Après les événements de l’été dernier à Solomiac [où les Faucheurs ont été pour la première fois confrontés à la violence policière et étaient repartis, sans avoir fauché, avec 60 blessés, ndlr], dans mon département du Gers, j’ai pensé qu’il fallait réagir pour éviter ce climat de guerre civile. J’ai alors proposé l’organisation d’un référendum sur les OGM. Pour le réaliser, la loi stipule que je dois réunir en signatures l’équivalent de 10% du corps électoral, soit dans le Gers 10.000 signatures. Nous en avons recueilli 16.000. Mais avant d’avoir pu l’organiser, je me suis retrouvé devant le tribunal administratif sur injonction du préfet, où l’on m’a notifié l’oppositio des autorités au déroulement d’un tel référendum. D’évidence, l’Etat craint une prolifération... de référendums qui seraient défavorables aux OGM [et qui, pourtant, ne sauraient être que consultatifs, ndlr]. [...] L’intrusion des OGM cause un désordre social, caractérisé par le risque, la prolifération et l’opacité. Dans le Gers, avant la récolte des signatures, nous avons organisé des débats contradictoires qui ont réuni plus de 2.000 personnes. De ces débats sont issus le vote d’un vœu anti-OGM par le Conseil général et l’initiative de ce référendum. Mais nous sommes dans l’impasse. Je comprends donc l’action des Faucheurs. L’organisation d’u référendum national est pourtant possible. On l’a bien fait au printemps pour un traité compliqué, de 300 articles. Je ne voudrais pas que dans quelques années, les pouvoirs publics se bougent, mais après-coup, pour retrouver les responsables de la catastrophe. L’Etat écoute seulement les lobbies avant de légiférer. [...] Ce qui m’impressionne peut-être le plus, et m’effraie, c’est l’absence de doute de la part des pro-OGM. L’absence de doute me paraît toujours suspecte.
Arrivent les plaidoiries, en commençant par celles de la partie civile et du ministère public.
Plaidoirie de l’avocat de la firme Pioneer (partie civile) : Ce débat sur les OGM a été très intéressant, mais nous sommes ici devant une banale affaire correctionnelle, malgré le déploiement médiatique et policier. Ce n’est pas le procès de la carence parlementaire ni de l’utilité des OGM. Le tribunal est chargé de faire appliquer la loi d’après les faits. [...] L’Etat a eu raison de s’opposer au référendum dans le Gers, car un référendum concerne l’ensemble de la société. [...] L’essai de Menville était très utile pour parvenir à une moindre consommation d’insecticides et une meilleure résistance aux parasites. Les Faucheurs sont des petits Attilas, des locustes. Il s’agit d’un acte de vandalisme prémédité. [...] Le tribunal se doit de se fixer sur les poursuites contre les prévenus, non sur leurs pseudo-motivations. Il ne lui reste plus qu’à sanctionner pour préserver la paix sociale. [...] Comment des législateurs [allusion à Noël Mamère et Gérard Onesta, ndlr] ont-ils pu aller jusqu’à commettre un acte illégal ? Même si la directive européenne n’est pas appliquée en France, Pioneer s’est conformé à la réglementation française : un espace de 400 mètres a été observé avec les cultures voisines, une barrière anti-pollénisation constituée de tournesol entourait la parcelle, l’ensachage des fleurs de maïs la rendait de toute manière impossible, des contrôles très stricts ont été menés tout au long de l’expérimentation, y compris selon les préceptes de la directive europérenne non transposée. [...] Le principe de précaution s’impose d’ailleurs aux décideurs, non aux acteurs, comme le stipule l’article 122-7 du Code pénal. Ce principe ne peut donc constituer une justification du fauchage. Il n’y a donc aucune justification au fauchage de Menville, qui a d’ailleurs été mené après la période de pollénisation. Il ne s’agissait que d’une opération médiatique maquillée en désobéissance civile. Quant aux références que les Faucheurs s’attribuent, Thoreau, Gandhi, Tolstoï, elles me paraissent très prétentieuses. On a par ailleurs parlé ici des insoumis à la guerre d’Algérie, des femmes militant pour l’avortement. Mais ces gens n’utilisaient pas la violence. Ces principes, respectables et nécessaires, sont usurpés par les Faucheurs. Selon un sondage récent, 74% des Français désapprouvent leurs actions. Mais les Faucheurs veulent imposer leur opinion aux autres.
Plaidoirie de l’avocat du GEVES (partie civile) : Les OGM sont très répandus dans le monde, ce qui suffit à démontrer leur inocuité. Comment peut-on imaginer que des gouvernements seraient prêts à assassiner leurs propres populations ? [...] Les OGM ne sont pas comparables aux farines animales ou au sang contaminé, en ce sens qu’il s’agit d’un phénomène mondial et non isolé, avec beaucoupde contrôles. [...] Les Faucheurs sont sectaires, ils diabolisent leurs contradicteurs. Leur accorder l’impunité reviendrait à les encourger.
Plaidoirie de l’avocat de la firme Syngenta (partie civile) : La présentation des promotteurs des OGM comme seulement motivés par le profit, sans égard pour la santé publique et sous le regard vide des pouvoirs publics, est mensongère. [...] L’essai de Menville était très contrôlé, selon les préceptes de la directive européenne, même non transposée. [...] Je suis d’accord avec M. Mamère et M. Onesta sur la carece parlementaire, mais cela n’a aucun rapport avec l’affaire que nous jugeons ici. L’état de nécessité est reconnu par la loi (article 122-7) en présence d’un danger imminent. Ce danger est loin d’être démontré ici.
Plaidoirie du procureur : Mon rôle est de défendre l’ordre social. Je suis donc au service de la loi, mais je suis aussi un citoyen, un père et un grand-père intéressé par son époque. [...] Vous avez voulu ce procès, vous l’avez, ne vous plaignez pas ! Mais il faut toujours faire attention quand la politique se faufile dans le prétoire. La justice en sort toujours perdante. Il est dangereux d’utiliser un tribunal comme tribune et amplificateur mediatique. [...] Ici, c’est un procès. La cour n’a pas compétence à trancher en matière d’OGM, mais doit juger une destruction de biens d’autrui. Les débats, au cours de ce procès, ont été passionnants. Organisez donc des débats contradictoires. J’y viendrai et y amènerai mes enfants. Mais là, vous violez la loi prise au nom du peuple souverain. De plus, vous vous contredisez : vous déplorez la non transposition de la directive européenne, mais vous la jugez inutile. [...] L’invocation de l’état de nécessité a déjà été rejeté à quatre reprises par la Cour de cassation dans des affaires de fauchages antérieurs. L’invocation de la désobéissance civile est tendancieuse, car elle implique une prise de risque pour soi-même et non pour les autres. Ce que vous dites est justifié, mais vous ne justifiez rien par vos actes. Lorsqu’une minorité cherche à imposer son opinion, on tend vers le totalitarisme. Votre position sur l’essai de Menville aurait été acceptable si le fauchage avait été précédé d’une plainte par voie officielle. [...] Dans d’autres prétoires, vous vous plaignez d’avoir été agressés, mais vous ne parlez pas de l’agression sur un gendarme [allusion au procès de Riom, voir plus haut, ndlr]. Vous parlez beaucoup, mais vous avez aussi beaucoup de silences. Votre présentation des chercheurs en valets du grand capital, indifférents à la protection de l’environnement et de la santé publique, en démons, est caricaturale. Vous demandez le débat démocratique, mais vous ne le pratiquez pas. [...] Je demande la relaxe pour M. Gravas [à sa grande fureur, ndlr] et, pour les autres, excepté M. Bové, une peine symbolique d’un an avec sursis de privation des droits civiques. Pour M. Bové, récidiviste, la prison ferme serait injuste, car sa place n’est pas en prison, et le sursis est impossible. Je demande donc, malgré mon souci de ne pas interférer sur d’éventuels projets politiques personnels, une peine symbolique d’un an ferme de privation des droits civiques.
Suivent les plaidoiries de la défense.
Plaidoirie de Marie-Christine Etelin (défense) : Nous vivons un moment historique. C’est la première fois que l’humanité refuse un progrès technique (nous n’avons pas les mêmes sondages, M. l’avocat de la partie civile) ! Nous sommes au seuil d’un grand changement. Le secret des OGM, dans leur conception et dans leur exploitation, serait protégé par la loi française ! La directive européenne, toujours pas transposée en droit français, abroge les lois antérieures. Les essais sont donc menés en l’absence de toute loi et de toute règle. Aucune enquête d’utilité publique, pilier de notre droit administratif, n’a jamais été menée sur les OGM, car ce serait trop risqué pour les firmes, qui, nous dit-on, aiment pourtant le risque. Elles aiment apparemment plus celui qu’elles font courir aux autres... Aucune publication de la localisation des parcelles n’a jamais été faite, pour la même raison. L’enquête environnementale a été ramenée à un très évasif questionnaire sur internet. Aucune réglementation n’oblige à mentionner les OGM dans l’alimentation animale. Pourquoi ? Pour protéger les intérêts des firmes. Le mouvement des Faucheurs est la réponse du mouvement social. Condamner ceux-là ne vous servira à rien. D’autres surgiront.
Plaidoirie de François Roux (défense) : M. le président, vous devez reconnaître la sincérité des prévenus, qui ont pris des risques personnels, les élus pour leurs mandats, M. Bové pour sa liberté. [...] La véritable question est celle-ci : qu’allez-vous faire des grandes idées exprimées ici ? Ne nous répondez pas : “la loi, rien que la loi”. Le rôle du juge est d’interpréter la loi. L’état de nécessité a été reconnu par des juges, à Colmar en 1957. Mais il a fallu attendre cinquante ans pour son inscription dans la loi. Nous ne vous demandons pas de malmener les textes, ils sont éloquents. Vous devez trancher sur cette question. Les prévenus ont d’ailleurs décidé de venir devant vous pour cela. Nous sommes face à un paradoxe : une firme privée , non assurée, a pris le risque de disséminer, et porte plainte ! Que les OGM soit dangereux ou pas n’est pas la question. La question est que les OGM commettent des infractions sur la propriété des autres. De plus, le risque est irréversible. De plus, il existe des solutions alternatives, mais plus chères, certes. Les fauchages sont des actions symboliques non-violents. D’ailleurs, les prévenus sont poursuivis pour dégradation, par pour violence. Vous devez requalifier les faits : les dégradations ont été commises par 400 personnes, non par 9. Vous devez noter l’abus de propriété privée de la part des firmes, qui provoquent aussi des dégradations, mais bien plus graves. [...] Nous revendiquons la légitime défense et l’état de nécessité, en vertu de l’article 122-7, car il y a nécessité de se protéger d’un danger imminent. Nous sommes face à un danger imminent, les scientifiques appelés à la barre l’ont démontré, contre lequel l’acte de faucher est socialement utile. Des tribunaux anglais, avec des jurys populaires, l’ont reconnu. [...] Est-il utile de vous rappeler quelques références, la lutte non-violente des Paysans du Larzac, hier illégale, aujourd’hui admirée dans le monde entier, la France continuellement condamnée à Strasbourg par la Cour européenne de justice, l’article 8 de la Déclaration européenne des Droits de l’Homme sur le droit à un environnement sain, l’article 1 de la même déclaration sur la protection de la propriété, pas seulement celle des firmes, mais aussi celle des paysans ? Je n’insisterai pas. [...] La demande du procureur est symbolique, oui. Symbolique de l’infamie. Les peines demandées sont infamantes. Nous vous invitons à vous projeter dans l’avenir.
Le jugement est mis en délibéré jusqu’au 15 novembre...
Gilles Gesson
Création de l'article : 9 novembre 2005
Dernière mise à jour : 14 novembre 2005
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> Le procès de Toulouse comme si vous y étiez...
15 novembre 2005
Vous trouverez ci-dessous le communiqué du groupe des élus Verts de Montpellier du 15 novembre 2005
tous les communiqués du groupe des élus Verts sur http://www.verts-montpellier.org/
Communiqué du groupe des élus Verts du 15 novembre 2005 _ Après les condamnations de Toulouse
Solidarité avec les faucheurs volontaires
La décision de la Cour d’appel de Toulouse vient de tomber : quatre mois de prison ferme pour José Bové et trois mois avec sursis pour Gérard Onesta, député Vert européen, et Noël Mamère, député-maire Vert de Bègles, et deux mois avec sursis pour les cinq autres prévenus.
Les faucheurs volontaires, qui agissent à visage découvert, ne font qu’appliquer le principe de précaution et cherchent à provoquer le débat démocratique sur une question qui fait courir un risque majeur pour la planète et la santé de ses habitants.
S’ils sont obligés d’agir ainsi, c’est parce que ce débat démocratique est refusé jusqu’à aujourd’hui par le gouvernement et le président de la République alors même qu’une majorité de nos concitoyens est inquiète des cultures d’OGM en plein champ.
Nous remercions les faucheurs volontaires pour leur engagement et leur exprimons toute notre solidarité.
Un nouveau procès de faucheurs volontaires, celui des neuf de Guyancourt, tous membres de la confédération Paysanne ayant décontaminé deux parcelles de maïs-OGM en 2003 s’ouvre à Versailles jeudi 17 novembre.
Le groupe des élus Verts de Montpellier apporte son soutien et lance un appel à participer à la manifestation organisée par la Confédération paysanne, les Faucheurs Volontaires, Greenpeace
ce jeudi 17 novembre 2005
à 13h au Peyrou à Montpellier
Jean-Louis Roumégas Président du groupe des élus Verts
LIENS
Ce communiqué est disponible sur le site des élus Verts de la région de Montpellier www.verts-montpellier.org/ Le communiqué des Verts sur le site national des Verts www.lesverts.fr
DANS L’AGENDA
Yves Cochet, député Vert de Paris, ancien ministre de l’Environnement sera à Montpellier le jeudi 1er décembre 2005 à 20h30 pour une réunion publique, salle Pétrarque, à l’occasion de la sortie de son livre Pétrole Apocalypse
Les Verts Montpellier - 4, boulevard Victor Hugo 34 000 Montpellier - 06 24 63 41 53
http://www.verts-montpellier.org/
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15 novembre 2005
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