Français, encore un effort si vous voulez être Européens
Le double non au projet de Constitution a immédiatement libéré des forces de dislocation de l’Union européenne.
Tony Blair a pris l’offensive pour tenter d’imposer sa conception de la compétitivité et de la croissance en Europe. Sa légitimité est réduite par l’europhobie prégnante en Angleterre et il est en défaut sur la solidarité. Néanmoins il a déjà des alliés hollandais et nordiques, peut-être demain allemands et même espagnols.
La France ayant saboté l’Union politique, ses dirigeants sont mal placés pour prétendre la relancer. Il faut pourtant reprendre l’initiative.
La France ne pourra le faire sans consentir une autocritique. Ses voisins ont raison de l’interroger sur la qualité de son régime social et économique et sur les attitudes de refus face à l’ouverture et à la compétition. En nous réformant, nous serions mieux à même de proposer à l’Europe la recherche de solidarités pour un nouveau type de croissance. Encore faut-il que les citoyens et les organisations syndicales et patronales ne renvoient pas ces responsabilités aux seuls dirigeants politiques en leur disant « débrouillez-vous ». Ils n’y parviendront pas tous seuls. Cessons de nous autodétruire en attendant tout de l’État, en refusant la mondialisation, en négligeant d’apprendre à connaître les autres Européens. N’enterrons pas dès maintenant le Traité constitutionnel, au risque de contribuer au naufrage. Exploitons la « pause » décidée par le Conseil pour entreprendre une réflexion de fond. Notre association n’a pas attendu le choc du non pour dire qu’une Constitution ne peut réussir sans un projet (2). Il faudra beaucoup plus que deux ans, mais on peut dès maintenant agir et susciter l’espérance. La conjoncture est mauvaise et l’euro menacé : consolider l’Union économique et monétaire exige d’urgence des propositions et un agenda. Réhabiliter l’Union politique est possible si on se tourne vers les nouveaux membres, qui seront au cœur d’une nouvelle alliance. Or nous sommes peu nombreux à avoir tenté de faire comprendre et aimer la réunification : il faut démultiplier l’effort. Démocratiser l’Union est l’enjeu fondamental, et le problème est autant à Paris et dans nos régions qu’à Bruxelles. Ce qui manque le plus en effet, c’est l’appropriation de l’Europe par les citoyens. Confrontations Europe a multiplié les efforts en ce sens(3) : il faut briser l’écran de notre culture de gouvernement et de citoyenneté profondément étatiste et délégataire. Notre République monarchique est en pleine déconfiture. Comment pourrait-elle donner des leçons aux autres Européens ! Quant à l’harmonisation sociale, c’est actuellement un mythe protectionniste. Les Anglais ont beau jeu de dire : pour répondre aux préoccupations exprimées par les électeurs, il faut redresser l’économie. Leur solution est intéressante, mais ne peut être un modèle, encore faut-il qu’on trouve d’autres options innovantes. Qu’ils soient dirigeants ou non, tous les Français devront apprendre à être responsables de l’Europe. Une France qui continuerait à cultiver son « exception » dans tous les domaines resterait en plein désarroi. Ceux qui ont déculpabilisé le vote négatif en agitant le mythe du plan B n’auront réussi qu’à faire monter les extrêmes en Europe. Pour régénérer la confiance et la responsabilité, Confrontations Europe contribuera au dialogue européen pour doter l’Union de politiques de solidarité et de développement. Elle aidera les Français à mieux écouter leurs voisins en s’investissant dans les réseaux d’acteurs qui participent à la vie de l’Europe. Plus que jamais nous voulons former société en Europe !
Philippe Herzog
Président de Confrontations Europe
http://www.confrontations.org/philippeherzog/biographie/index.php
Nous paraphrasons ici le titre d’un pamphlet de Sade « Français, encore un effort si vous voulez être républicains ». Le titre, non la substance. Sade avançait sa propre anticipation du totalitarisme : l’État républicain (le père) appelle au désordre en la société civile (le désir) sur la base de la prostitution universelle et obligatoire des femmes. On recommande pour en discuter le livre original et intéressant du Canadien Robert Richard « L’émotion européenne Dante, Sade, Aquin » (éditions Varia).
(2) Cf. « Une Constitution véritable appelle un projet » dans L’Option de Confrontations Europe n° 17, décembre 2002 « Pour un nouveau modèle social, économique et culturel ».
(3) On rappellera entre autres nos rapports pour la participation des citoyens (Parlement Européen, 1996), pour le dialogue social (remis au gouvernement français, 1998), et notre colloque « Former société en Europe » (2000)
sources : http://www.confrontations.org/