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La nuit auprès d’un maïs, le coeur bat plus fort... |
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Thierry Autefage :
Que faire d’une lettre anonyme ? Oui, la jeter. C’est une règle. On peut aussi avoir la curiosité malsaine de la lire avant et pour le coup, trouver que le message peut être intéressant à proposer à un plus grand nombre.
L’an passé, quelqu’un a cru bon de laisser dans ma boîte aux lettres un long texte qu’il ou elle m’a demandé de « diffuser au plus grand nombre... ». Le plus grand nombre, je ne sais pas comment l’atteindre mais je me suis dis qu’il pouvait trouver sa place sur notre site. Cette personne semble concernée par le sujet des OGM et a voulu nous laisser une trace de ses émotions. Je me suis permis de la recopier avant de la détruire de mes archives cette année.
« La force du dérisoire :
J’ai peur.
Il fait noir.
Il fait noir et j’ai peur. Oh, ce n’est pas du noir lui-même que j’ai peur ! Je me suis tellement promené la nuit. J’ai tellement vécu d’émotions la nuit.
Mais cette fois-ci, il ne s’agit pas simplement de se promener au clair de lune. Cette fois-ci, il faut, une nouvelle fois, faucher une parcelle d’OGM de nuit.
Cette fois-ci, je ne la sens pas cette parcelle à faucher.
J’ai attendu une partie de la soirée sur une place obscure de village que d’autres me rejoignent. Ils sont arrivés dans deux voitures différentes et c’est la mienne que l’on a choisie pour rejoindre la campagne.
Ils sont sympas ces gars. On ne se connaît pas trop mais on a suffisamment confiance en tous pour tenter ensemble « ce n’importe quoi », cet « insensé ». On a passé l’âge et l’inconscience de jouer à l’excès au jeu du gendarme et du voleur. On n’a aucune motivation à être des apprentis voyous. D’ailleurs, on aurait bien voulu continuer à poser des affiches, faire des réunions publiques, occuper des supermarchés. Oui, tout ça c’est très bien et il faut le faire. Mais en attendant, d’autres, illégalement parfois, cachés toujours, continuent à planter des chimères, des aliens, des OGM.
Nous, on est juste un groupe de faibles, de petits. Notre force c’est de faire des actes dérisoires. Plus on en fait, plus on sait que l’on est vivant et ça, c’est déjà pas mal. Sentir couler en soi l’énergie de l’action et se dire que l’on est du bon côté, dans le sens de ce qu’il faut faire. Des fois, je me le raconte ainsi. Des fois, ça me regonfle mais des fois, ça ne suffit plus. La peur ne se contient pas facilement ; les ridelles de la morale n’enlèvent pas l’envie de pisser de trouille.
Ce soir, j’ai la trouille. Je ne la sens pas cette parcelle.
Depuis quelques temps, j’entends de plus en plus parler d’écoutes téléphoniques, de filatures, de fausses parcelles, d’autres piégées par une masse de gendarmes, de vigiles, de chiens, de gaz lacrymogène, de paysans armés...
Nous, on a aucune vocation et aucun entrain à la clandestinité. On a une famille, un métier à tenir et on n’a pas envie non plus de courir des risques inutiles.
Ce soir, je sature. La tête me tourne. J’ai peur. On va où ainsi ? Là, je le sais mais demain ? Quoi encore ? Heureusement que nous sommes tous stables dans nos têtes. C’est le meilleur garant pour éviter de péter les plombs. Chacun contrôle chacun.
Je crois que je pourrais assumer le regard de mes enfants à 6h du matin, menotté, la porte défoncée par de ridicules terminators qui confondent terrorisme et détresse politique. Ces « jouets » on les envoie maintenant pour tout et n’importe quoi. Sur le Corse bien sûr mais aussi sur le pauvre postier en grève. Oui, le regard de mes enfants, je pourrais l’assumer. Je crois. J’aurai par contre beaucoup de mal à vivre leur absence si je dois être enfermé. Faut-il tout perdre pour se sentir vivre ? C’est quand qu’il faut reculer ?
Je ne la sens pas cette parcelle ce soir !
On roule. On cherche à se détendre, on plaisante. Bien sûr les blagues de mauvais goût y passent. C’est curieux de voir comment, malgré une bonne éducation et un bon niveau scolaire, on peut, au moins dans ces circonstances, sortir des propos ridicules. Les nerfs sans doute. La trouille ne se contient pas non plus avec un quotient intellectuel.
Le cœur n’y est pas. Celui qui connaît le chemin reste concentré sur la route et son collègue qui a fait les repérages ré-évoque encore et encore la configuration des lieux. Moi, en automate, j’obéis aux indications routières et je me laisse envahir par mon imagination à l’évocation des lieux où nous allons. La route défile.
Aucune femme ce soir. Elles sont souvent moins présentes sur ce genre d’actions que les hommes. Ces derniers sont-ils plus prompts à passer à l’acte ? Les femmes préfèrent-elles chercher d’autres solutions ?
Ca y est, c’est maintenant notre couplet politique ! Bien sûr que c’est nous qui avons raison ! Non, nous ne sommes pas des délinquants. On ne s’enrichit pas de ces actions. On n’a rien à gagner dans ces razzias mais beaucoup à perdre. En ce qui me concerne, certains de mes amis, c’est possible. Mon travail c’est sûr. Ma famille en souffrira. Pourtant, on ne fait physiquement de mal à personne ! On n’a même pas un bâton ! Il ne s’agit que de fleurs, de simples mauvaises fleurs... Oui, il faut bien que certains fassent ce boulot et maintiennent une forte pression en plus des autres actions. On ne peut tout de même pas laisser quelques personnes faire prendre des risques à tout le monde sans rien dire ? Qu’aurions nous dit de groupes qui auraient détruits les lots de sang contaminé ou les usines de fabrication d’amiante ! C’est vrai que nous sommes dans le sens de ce qu’il faut faire. Pourtant, jamais je n’aurais pensé être dans une voiture comme ce soir, pour aller là où je dois aller et faire ce que je dois faire. Je le bloque où le curseur ? Au début, il s’agissait seulement de demander un arrêt de la production d’OGM. Et puis, il a fallu manifester dans des champs. Et puis, il a fallu appeler la population à faucher en plein jour. Et puis me voilà ce soir... Pourquoi l’État écoute plus facilement les lobbys semenciers que les citoyens ? Pourquoi l’État cède-t-il si facilement à la pression de ce tout petit groupuscule mafieux alors que nous représentons le plus grand nombre ? Les raisons, je les connais mais je ne veux pas les accepter, je ne le peux pas. Pas sans rien dire. Pas sans rien faire. Il faut que j’occupe ma place, seulement ma place mais toute ma place.
Ce soir, je ne la sens pas cette parcelle...
Deuxième village. On rejoint d’autres voitures. Il n’y en a plus pour très longtemps maintenant...
Quelques kilomètres plus loin, les voitures sont cachées. Aucun téléphone allumé, lampe dans la poche, c’est sans bruit que nous nous approchons des lieux en suivant l’un de nous. Un champ puis un autre ; un bosquet, une haie. Nous sommes tous regroupés en avançant en silence mais je me sens seul. Je regarde à droite et à gauche, seules des ombres avancent. A quoi chacun pense ? J’ai l’impression que mes yeux vont exploser à force de trop vouloir s’ouvrir pour voir dans cette nuit ! Nous heurtons un barbelé qu’il faut franchir. Devant nous se dessine maintenant une haute barrière. Dans le plus grand silence possible trois ou quatre personnes escaladent. Toujours le silence après leur franchissement. Nous savons que nous pouvons y aller.
C’est drôle comme le temps peut s’accélérer subitement ! Je sais que je ne suis maintenant plus un simple promeneur nocturne. Je suis « au milieu d’une rivière » et il me faut la franchir le plus vite possible. Je n’ai plus peur. Je suis dans l’action. J’agis. Il faudra peu de temps pour que la parcelle soit presque entièrement couchée. J’ai l’impression que le froissement des épis a empli toute la campagne. C’est peut-être aussi la sensation des autres car nous laissons une petite partie. On décroche.
La catastrophe va arriver ! Je la sens. Peut-être après être repassé derrière la barrière ? Ou derrière le barbelé ? Ou au bout du champ ? Ou aux voitures ?
Mais non, ce n’est pas ce soir que « nous tomberons ». Il n’y aura pas de chiens menaçants, de vigiles, de gendarmes. Il n’y aura pas de cris dans cette campagne.
Le retour en voiture est un gentil brouhaha avec une pause saucisson et vin rouge mais lorsque je me retrouve seul dans la mienne, je sens un vide, un précipice. La peur à nouveau.
La trouille se contient en restant sagement chez soi mais comment alors faire face à sa conscience ?
Même si ça ne suffit pas totalement, je sais que j’ai raison.
La raison...
De la raison pour peser tous les contours de la situation. De la peur pour soutenir la raison et les limites de mon possible. De la nécessaire inconscience pour s’engager dans cette voie. Du recul pour se faire rire de jouer à cache-cache et de se trouver ridicule.
Curieuses sensations. Curieuses émotions.
Un patchwork de tout et son contraire avec lequel il faut vivre chaque jour. Chaque jour, voire chaque nuit quand l’absence de sommeil est tenace, il faut se repenser. Il faut essayer de se comprendre dans ce complexe mélange.
Je roule et je me regarde rouler en rentrant chez moi. J’essaye de me comprendre et je m’avoue que j’ai aimé, une nouvelle fois, ce vertige de la peur et de l’action. Il faut maintenant que je ralentisse car il y a un virage plus loin. Il faut ralentir, ralentir, ralentir... tout doucement. Un peu de calme...
Tu es à la maison.
Assis au coin de ma table de cuisine, la lumière blafarde régnant, j’esquisse un sourire satisfait. Il fallait le faire et je l’ai fait !
L’aurore est là.
Le sommeil sera difficile à apprivoiser.
Le jour sera pénible à aborder car la peur est revenue. Je vais tout de même sourire, aller travailler, m’occuper de ma famille. La joie de mes enfants et la mienne de les revoir contient maintenant ma peur. Elle recule même.
Je reprends ma place d’anonyme.
Assis au coin de ma table de cuisine je vous écris ces quelques lignes en cachette de tous. Qu’ai-je fait cette nuit là ? Je crois que j’ai dérisoirement posé un acte. Des fois ça fait battre plus vite le cœur et la conscience et des fois, les actes dérisoires font reculer les salauds. »
X
Je vous laisse juge de ce qu’écrit cette personne...
Thierry Autefage
Création de l'article : 16 septembre 2006
Dernière mise à jour : 16 septembre 2006
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La nuit auprès d’un maïs, le coeur bat plus fort...
18 septembre 2006, par
que dire ??? cette lettre est bien représentative des différents ressentis de l’action de fauchage ! c’est trés trés bien écrit et décrit... "CHÂPEAU" à la personne qui a écrit ces lignes... la lutte continue...
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La nuit auprès d’un maïs, le coeur bat plus fort...
19 septembre 2006, par Autefage Thierry
Merci pour lui.
J’ai effectivement pensé qu’il était utile, alors que plusieurs de nos camarades doivent ces temps ci s’expliquer sur ce type d’action, de faire part des émotions contenues dans ce message afin d’appuyer sur le fait qu’il s’agit d’action politique et pas de voyous... Que même s’il s’agit de la nuit, du caché, de l’anonymat, il n’y a rien de sale...
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