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Certains en sont propriétaires, d’autres l’empruntent à leurs enfants, d’autres enfin se sentent ses invités, de passage sur la planète bleue.
C’était il y a bien longtemps, plus de vingt ans, une étrange pulsation qui venait du sol et montait dans mes jambes. J’avais envie de travailler la terre, de m’installer sur un petit coin de ferme et de faire un grand jardin, d’y planter des fleurs, des arbres et des légumes. En suivant les règles d’une agriculture respectueuse de l’environnement qu’on avait déjà baptisé bio...
Et puis la Safer avait vendu 6 ha à côté de chez moi et j’avais pu m’y installer moyennant une formation au lycée agricole de Moissac.
6 ha de terres de vallée, limoneuses, faciles à travailler, du moins en principe, irrigables (et inondables) d’un seul tenant et bordée de talus boisés ; bref le paradis sur la terre.
Je plantai là tous mes rêves sous la forme de fraisiers, petits pois, cornichons, haricots, artichauts et m’engageai vaillamment sur la voie de la fortune.
Ha ! Les jours heureux des premières récoltes, et du premier argent gagné ! Ho ! Les désillusions, les fruits gâtés, l’orage qui s’abat sur la plaine.
La vie du paysan n’est pas de tout repos, il faut bien le reconnaître (je préfère « paysans » à « exploitant agricole », au moins a-t-il gardé son âme).
Sur les terres sarclées, labourées et disquées depuis des décennies, les premières plantes à s’installer sont les plus puissantes, chiendents, liserons, chardons, aux racines profondes, épaisses, se multipliant au moindre éclat. Je devais entretenir mes terres en bon « père de famille » et ne tolérer aucune mauvaise herbe ! Autant dire qu’à la main (ou presque), la lutte était fort mal engagée. D’autant plus que je refusais l’emploi des herbicides et ne disposais pas de moyens adéquats pour une lutte mécanique contre les adventices. Aussi consacrais-je mes efforts à une petite part du terrain et laissais la nature s’occuper du reste en attendant de faire passer l’entreprise ou d’être assez riche pour acheter de meilleurs outils.
Au centre du terrain, une petite dépression n’était jamais travaillée, trop humide pour y passer avec le tracteur. La charrue avait dessiné au fil du temps sa forme d’îlot de verdure.
Autant la terre travaillée était pâle, sans odeur, minérale et inerte, autant à cet endroit la terre était noire, riche en débris végétaux, aux parfums mêlés de forêt, de champignons, d’ail sauvage et grouillant de petits animaux. De plus, dans toutes ces herbes et plantes sauvages poussaient des petits oignons parfumés et, au printemps, des asperges qui semblaient être venues spontanément en cet endroit.
Était-ce la clef ? Le retournement continuel du sol allait-il à l’encontre de la conservation de la fertilité ? Cela semble élémentaire, n’est ce pas, cher lecteur ? Mais toutes nos plantes sélectionnées avec soin depuis des générations ont beaucoup moins de « punch » que leurs cousines sauvages (au passage, il semblerait qu’elles aient perdu certaines caractéristiques alimentaires). Pas étonnant, dans ce cas, qu’il faille les aider pour qu’elles puissent accomplir correctement leur mission, en limitant les plantes concurrentes, ce que je continuais donc à faire sur une partie des terres, l’autre étant progressivement abandonnée. D’ailleurs, c’était moins un abandon qu’une restitution. Je ne voulais plus m’opposer à la nature, je voulais être un partenaire, participer à ce tourbillon d’énergie que je sentais extraordinaire.
D’autres plantes s’installèrent au côté des pionnières, des graminées et des légumineuses, association parfaite des prairies naturelles, des dizaines d’espèces différentes : je dénombrais 17 espèces de papilionacées (clin d’œil), davantage de graminées. En vinrent d’autres, toujours plus, jusqu’aux orchidées, reines du monde végétal, qui s’installèrent un peu partout, des grandes Orchis Bouc aux petites Ophrys Abeilles roses ou blanches. Il y eu même une colonie de sérapias pendant deux ou trois ans.
Les plantes voyagent elles aussi et les habitants d’un lieu se transforment lorsque les conditions changent.
Ainsi je voyais évoluer jour après jour la végétation naturelle et j’observais comment les associations des unes et des autres s’orientaient vers le plus grand bénéfice de l’ensemble.
J’étais moins attiré par les insectes, mais il y en avait bien sûr et je m’émerveillais de voir leur nombre et leur diversité augmenter en même temps que les plantes. Leurs populations se sont toujours régulées. Les cicadelles ont fait des dégâts sur les jeunes pommiers mais ont quasiment disparues par la suite. Il y a eu des pucerons tous les ans et aussi des coccinelles et des chrysopes, leurs prédateurs naturels, et les dégâts ne furent que minimes.
Et les oiseaux... Que dire d’un jardin ou d’une ferme sans oiseaux ? Ils apportent la joie dans nos campagnes. Que seraient les nuits de Printemps sans le chant du rossignol ?
Et les mésanges, les rouges gorges, les chardonnerets, les merles, tous ces petits êtres familiers.
Les tourterelles et les pigeons en vols serrés, les hirondelles et les guêpiers en arabesques acrobatiques.
Et le geai criard et la pie curieuse (jeannette), la hulotte et l’effraie que l’on clouait autrefois sur la porte des granges.
J’ai aimé chacune de nos rencontres, l’instant où nos chemins se sont croisés est gravé pour l’éternité.
Je dirais juste le vol silencieux d’un grand duc à deux mètres de ma tête une nuit de pleine lune, avant l’éclipse, ou l’éclair bleu argent d’un martin pêcheur faisant sa tournée des petites mares.
Les sentiers qui se dessinaient dans les herbes, au gré de nos déplacements, n’étaient pas droits. Au défit d’une loi géométrique toute simple et connue de tous, un rythme profond avait transformé la droite qui passait par deux points en une ondulation plaisante que l’on épousait avec bonheur. Et ces ondulations en croisaient d’autres par centaines, tracées par les pattes ou les sabots du peuple animal.
Elles étaient là, presque invisibles, profitant des haies et des grandes herbes, les petites et les grosses bêtes, tout droit sorties des albums du Père Castor : le rendez-vous du lièvre sous les pommiers, les renardeaux qui jouent au premier rayon du soleil, les chevreuils cherchant l’herbe tendre et la branche juteuse, jusqu’au blaireau bonasse surpris dans les lumières des phares au retour d’une sortie ciné.
Au bout de sept ans, j’avais senti comme un virage, un renouveau. Pour moi, chaque ferme peut être considérée comme un être vivant. Celle-ci s’éveillait enfin...
Alors que dire de mes tentatives d’agriculture ?
Tout d’abord sept ans, c’est long, très long, lorsqu’on a des charges importantes, des emprunts et une « petite » famille à nourrir. Je suis donc resté agriculteur huit ans et maintenant j’enseigne les mathématiques et je peux suivre sans souci de rentabilité l’évolution de ce qui est devenu pour nous une oasis, une petite réserve naturelle.
Je souhaite partager plusieurs idées qui me semblent essentielles :
- 1ère idée :
Il est facile de maintenir la biodiversité, il suffit pour cela de conserver autant de niches écologiques différentes que possible, c’est-à-dire accorder un peu d’espace à la nature (une nature non travaillée par l’homme, non productive à court terme).
Exemples : je plante un arbre, je creuse une mare, je conserve un talus, une haie, une zone humide, une zone dans laquelle je ne pénètre pas (ni personne d’autre), je multiplie les variétés anciennes au verger comme au potager.
- 2ème idée :
Tous les êtres vivants sont reliés, connectés et ce à tous les niveaux. La cohésion de l’ensemble est maintenue par l’association de tous ces éléments.
Exemple : le chêne du talus est connecté à tous les autres chênes, celui des Treize Vents qui a plusieurs siècles comme tous ceux qui poussent à son pied, et aussi aux autres plantes et « animaux » des alentours, dont vous et moi (à mon avis sans limitation de distance).
Si je prends conscience de ces interconnections, alors ma place dans le monde est unique et riche de sens. Ma façon d’être, de penser et d’agir en est bouleversée et j’accepte de m’associer plutôt que de lutter.
- 3ème idée :
L’Homme a peur de la nature. Je crois que cette connaissance des liens avec les êtres vivants a été perdue au cours de cette évolution. Sa peur l’oblige à combattre en détruisant. Combien d’espèces disparaissent chaque jour par la faute de l’homme ? Nous voulons tout contrôler et agissons en propriétaires. Cela semble résoudre les problèmes à court terme et en faire surgir d’autres plus graves un peu plus tard...
Nous sommes en train de changer, nous avons vu la Terre flottant dans l’Univers infini et pris conscience de la fragilité de la biosphère, ce mince espace qui imbrique la vie à la surface de notre magnifique planète. Avec émotion, nous avons découvert que notre richesse la plus précieuse est ce que nous partageons avec d’autres hommes, des femmes, des enfants, des dauphins, des baleines, des tigres, des araignées, des scorpions, des baobabs, des roses, des ronces, des écureuils...
On parle beaucoup de l’agriculture biologique... Elle ressemble encore beaucoup à l’agriculture qu’on lui oppose. Elle devra développer des approches originales ; des chercheurs visionnaires, des maîtres d’agriculture ont ouvert des pistes que des esprits aventureux auront du bonheur à suivre...
Je souhaite exprimer toute ma gratitude envers celles et ceux qui travaillent avec cœur à nourrir les autres.
Didier Wilmotte
Auteurs divers
Création de l'article : 6 décembre 2006
Dernière mise à jour : 4 décembre 2006
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Retour à la Terre
28 mai 2007, par
Bonjour Félicitations au professeur de mahématiques pour ses judicieuses observations ! Ayant fait une formation arboricole au cfpa de MOISSAC en 77-78,et m’étant "accroché" à mon lopin de terre pour pratiquer la bio ,malgré l’hostilité ,le scepticisme ,je poursuis cette quête du "graal" avec une certaine délectation grâce aux AMAP ... Bruno FREMONT
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