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Il y a 50 ans : L’incendie (nucléaire) de Windscale |
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Autour de Windscale, on élève des vaches et des moutons, et on pratique la pêche en mer ; à 13 km au nord se trouve le petit port de Whitehaven, et à 40 km au sud le port industriel de Barrow-in-Furness (60 000 habitants). Le complexe de Windscale, qui allait apporter 3 000 emplois, était bien accueilli par la population de cette région relativement pauvre, où s’éteignait une petite industrie minière et métallurgique. Les deux réacteurs démarraient en 1951. Ils pouvaient produire à eux deux environ 80 kg de plutonium par an, de quoi faire plus de dix bombes atomiques. Grâce à eux, la première bombe britannique a explosé le 3 octobre 1952 dans les îlots Montebello, au nord-ouest de l’Australie.
L’effet Wigner
Le 7 octobre 1957 à 19 h 25, le réacteur n°1 de Windscale, qui était à l’arrêt, est remis en marche sans refroidissement afin de procéder à un " recuit " du graphite. Ce réacteur, ainsi que le n°2, son frère jumeau, comprend un bloc de graphite à axe horizontal, de 15 m de diamètre et 10 m de long, percé parallèlement à son axe de 1 500 canaux où sont disposées des barres d’uranium naturel de 2,5 cm de diamètre, gainées d’aluminium. Le graphite, variété de carbone cristallisé (celle qui fait les mines de nos crayons noirs), sert à ralentir les neutrons très rapides émis lors des fissions de l’isotope 235 de l’uranium, qui représente 0,7 % de l’uranium naturel. Ainsi ralentis, et contrairement à ce que l’on pourrait penser intuitivement, ces neutrons ont plus de chances de provoquer la fission des noyaux d’uranium-235 qu’ils rencontrent, ce qui facilite l’établissement d’une réaction en chaîne, c’est-à-dire d’un processus où les neutrons émis par les noyaux qui fissionnent vont à leur tour provoquer la fission d’autres noyaux, et ainsi de suite. En fonctionnement normal, le réacteur est refroidi : des soufflantes aspirent l’air extérieur et le refoulent à travers les canaux vers une cheminée d’évacuation de 123 mètres de hauteur.
Les réacteurs de Windscale fonctionnent à basse température, et le graphite s’y trouve à moins de 200°C. Or à ces températures, le graphite est sujet à ce que l’on appelle l’effet Wigner, du nom du physicien américain qui l’a découvert. Dans le graphite, les atomes de carbone sont disposés régulièrement aux sommets d’un " réseau cristallin " (le plus simple de ces réseaux est une juxtaposition de cubes identiques ; le réseau du graphite est un peu plus compliqué). Ces atomes, sous l’effet du choc des neutrons rapides, changent de position et emmagasinent de l’énergie : le réseau cristallin du graphite se trouve alors dans un état instable. Il peut revenir brutalement à son état normal, un phénomène qui, en libérant une grande quantité d’énergie, peut porter le graphite jusqu’à 1 200°C, d’où un risque d’incendie. Pour éviter cela, il faut chauffer le graphite de temps en temps (environ deux fois par an) : l’augmentation de température accroît les vibrations des atomes l’" agitation thermique "), ce qui enclenche la remise en place des atomes avant qu’une trop grande quantité d’énergie n’ait été accumulée. C’est l’opération de " recuit " qui vient d’être entreprise sur le réacteur n°1.
Cette opération n’est pas sans risques : l’uranium naturel est utilisé dans les réacteurs de Windscale sous forme métallique, or l’uranium métallique chaud prend feu à l’air. Dans cette hypothèse, tous les produits de fission [...] contenus dans cet uranium sont émis dans l’atmosphère. [...] De plus la simple rupture des gaines, même si l’uranium ne prend pas feu, laisse échapper une partie des produits de fission ; c’est pourquoi tous les réacteurs de ce type sont arrêtés dès la détection d’une rupture de gaine. Comme il n’y a pas de refroidissement, le recuit doit être effectué à une très faible puissance : ainsi le recuit enclenché lundi soir s’effectue à 2 MWth, 1 % de la puissance normale du réacteur.
Mardi 8 octobre très tôt le matin, le réacteur est arrêté à nouveau. Normalement les atomes de carbone doivent continuer à libérer de l’énergie en revenant à leur position normale, et donc le graphite doit continuer à s’échauffer. Or, quelques heures plus tard, l’équipe de quart croit observer que le graphite refroidit. L’opération de recuit aurait été incomplète, et le responsable décide de procéder à un nouveau chauffage nucléaire, procédure qui avait déjà été utilisée lors d’opérations précédentes. En fait, les températures qu’il avait lues ne concernaient qu’une petite partie du réacteur, et les autres relevés montraient bien une élévation d’ensemble de la température du graphite : il y aurait eu erreur d’interprétation, ou mauvais positionnement des thermocouples destinés à suivre le " recuit ". Le réacteur est donc remis en marche à 11 h 05, trop rapidement selon des experts français, et toujours sans refroidissement ; à 11 h 15 les barres de contrôle sont alors insérées plus avant, afin de réduire la puissance à quelques centaines de kilowatts [...]. Cependant la température de l’uranium en zone centrale monte brutalement de plus de 100°C en moyenne, puis semble se stabiliser autour de 350°C. La puissance du réacteur tombe en dessous de 100 kW vers 14 h 30, puis, toujours à l’aide des barres de contrôle, la réaction en chaîne est arrêtée à 17 heures.
Au cours de la journée du 9 octobre, le graphite continue de S’échauffer régulièrement par effet Wigner, d’abord en zone centrale où il approche de 400°C, puis très rapidement en zone périphérique. Afin de refroidir le coeur, le physicien en charge de l’opération rouvre de 22 h 15 à 22 h 30 des volets qui permettent une circulation naturelle d’air à travers les canaux. La température du graphite périphérique diminue, mais celle de l’uranium passe par un pic à la fin de l’ouverture des volets : il y a des " points chauds " où les gaines se sont rompues, et l’uranium mis en présence d’air par ces ruptures prend feu et commence à brûler lentement, ce qui provoque la rupture des gaines voisines et la propagation de l’incendie. L’opération est répétée le jeudi 10 à 0 h 01 pendant dix minutes, à 2 h 15 pendant treize minutes et à 5 h 10 pendant une demi-heure : cela ne fait qu’accélérer la combustion de l’uranium, de même que souffler sur les braises ranime un feu indolent. Un pic de radioactivité est enregistré à 5 h 40 dans les filtres à base de fibres de verre aspergées d’huile, dont, en cours de construction, on a décidé de munir la cheminée. C’est cette décision, prise sur l’insistance de sir John Cockcroft, qui permettra d’éviter une catastrophe majeure. Pourtant, nombre d’ingénieurs et de physiciens trop confiants ricanaient en douce devant ces protubérances dont sont affligées les cheminées, et les avaient surnommées " les folies de Cockcroft ". En particulier, Christoplier Hinton, responsable de la conception et de la construction des deux réacteurs, et Henry Davey, directeur général des travaux à Windscale, ont demandé plusieurs fois leur retrait en 1954-1956 ; heureusement, à un niveau plus élevé, la décision finale de les garder a été prise.
A part les éléments radioactifs, rien ne filtre à l’extérieur. Silence sur l’accident. On continue d’essayer d’influer sur le déroulement des phénomènes en espérant pouvoir cacher au voisinage ces regrettables événements. De 5 h 40 à 8 h 10, l’activité baisse pour remonter régulièrement ensuite. Les températures du graphite recommencent à monter, et les volets sont rouverts pour un quart d’heure à 12 h 10 et pour cinq minutes à 13 h 40 : de nouveau, brusque augmentation de l’activité au niveau des filtres. Une analyse de l’air sortant du réacteur montre une radioactivité très élevée : on est maintenant sûr que des gaines se sont rompues. Tom Tuohy, administrateur général de Windscale, et Kenneth Ross, directeur national des opérations, se torturent les méninges pour trouver une solution. Et le black-out sur l’information est toujours maintenu.
C’est ici que prend place ce que l’on peut appeler un acte d’héroïsme nucléaire, qui ne sera surpassé que par celui des sauveteurs de Tchernobyl. La décision est prise de " regarder le monstre dans les yeux ", c’est-à-dire d’observer visuellement l’intérieur du coeur. C’est s’exposer à une irradiation intense, et éventuellement à des retours de flamme de l’incendie que l’on subodore. Pour les éviter au maximum, on remet en route des soufflantes auxiliaires, chargées de repousser matières radioactives et flammes vers la face de déchargement. A 16 h 30, masqués et revêtus de combinaisons protectrices, deux hommes enlèvent un bouchon de la face de chargement à l’endroit où la température est la plus forte, et peuvent observer quatre canaux. Ils constatent que l’uranium rougeoie en se consumant lentement, avec des flammes bleues qui lèchent le graphite. L’un de ces hommes est Tom Hugues, administrateur en second ; quant à l’autre, il s’agit de Ronald Gausden, directeur du réacteur (certains témoignages citent Huw Howell, chargé de la sûreté et de la santé, au lieu de Gausden ; en fait, Howell a dû examiner le coeur après les deux autres). Six travailleurs, suffoquant dans leur équipement, prennent place à côté de Hughes et Gausden, et tentent de décharger ces canaux en poussant les barres d’uranium avec de longues tiges d’acier ; mais l’uranium est déformé par l’incendie, et c’est impossible. On peut décharger les canaux voisins, mais cela ne change rien. Par ailleurs, la mise en route des soufflantes auxiliaires a accru l’incendie et le propage au graphite. On estime qu’environ 150 canaux sur 1 500 sont en train de brûler.
Alerte
Vers 15 h puis vers 17 h, des camions spéciaux partent sillonner les environs de Windscale pour faire des mesures de radioactivité. Les résultats sont alarmants, mais rien n’est dit à la population, qui pense qu’il s’agit de mesures de routine. La direction de Windscale se rassure en constatant que le vent souffle vers l’ouest, et donc que l’essentiel des fuites se perd en mer. A la nuit tombée, on fait venir du C02 (gaz carbonique) liquide des réacteurs voisins de Calder Hall, qui utilisent ce gaz pour leur refroidissement : cela n’y fait rien, il n’y a aucun effet sur l’incendie, car les quantités de C02 sont insuffisantes, et les températures trop élevées (une mesure par analyse de la couleur des radiations lumineuses a indiqué 1 300°C dans un canal ; or l’uranium métal brûle dans le C02 au-dessus de 800°C. Vers minuit on envisage d’essayer l’eau, si rien d’autre ne marche, bien que l’on sache que l’eau réagit très violemment avec l’uranium métal au dessus de 100°C, et que l’on soit sûr de détruire irrémédiablement ce précieux réacteur militaire. Vendredi à 1 h 55, Kenneth Ross, d’autant plus inquiet que le vent a tourné et souffle vers le sud-est, donc vers les terres, décide enfin de prévenir l’officier de police en chef du lieu. Il s’est écoulé près d’un jour entre la première détection de radioactivité dans les filtres et la notification aux autorités locales. Un état d’alerte est décrété, et des centaines de " bobbies " sont réveillés en pleine nuit. Les travailleurs de l’installation de retraitement et ceux de Calder Hall doivent interrompre le travail, et il leur est interdit de quitter les cantines où ils sont rassemblés. Les gardiens du site, qui patrouillent en permanence avec des chiens (il s’agit d’une installation militaire) doivent mettre des masques à gaz ; ils se font attaquer par leurs chiens, qui ne les reconnaissent pas dans cet accoutrement ! Mais aucune mesure de protection n’est conseillée aux habitants. On ne leur dit pas de rentrer le bétail, de rester confinés chez eux. Ceux dont un parent travaille à Windscale savent que quelque chose marche de travers, mais on a certifié aux travailleurs qu’il n’y avait aucun danger pour le public. En prévenant la police, les atomistes tentent-ils simplement de dégager leur responsabilité ?
Les conduites d’eau sont mises en place à 3 h 45, à l’aide de connexions spéciales réalisées par Donald Ireland, ingénieur des travaux. Pendant des heures les responsables scrutent les températures en espérant qu’elles voudront bien descendre, mais rien de tel ne se passe. Alors le vendredi à 7 h, la décision est prise : le réacteur sera inondé. Le personnel de nuit est autorisé à quitter les cantines pour regagner son domicile, et le personnel de jour est mis à l’abri. Seuls Tom Tuhoy, Kenneth Ross et le chef des pompiers, Bill Cross, restent dans le bâtiment du réacteur en feu. A 8 h 55 ils ouvrent les vannes, et se précipitent derrière une porte en acier. Aucune explosion, le coeur commence à refroidir, le déversement d’eau continue jusqu’au refroidissement complet samedi en début d’après-midi. L’accident proprement dit est terminé, mais la vapeur d’eau chargée de produits radioactifs s’est partiellement échappée à travers les filtres. Il ne sera sans doute plus possible de cacher les faits à la presse et à la population. [...]
Le vendredi et le samedi, les physiciens chargés de la radioprotection continuent leurs mesures et recherchent particulièrement l’iode-131 et le strontium-90. L’iode-131 est un corps radioactif qui disparaît assez rapidement, mais auparavant passe dans le lait des vaches et va contaminer la thyroïde des enfants (et à un moindre degré des adultes), pouvant provoquer des cancers de cet organe ; quant au strontium-90, il a une longue durée de vie et se fixe sur les os, d’où possibilité de leucémie. En ces années 50, l’attention s’est focalisée sur ces deux éléments en raison des essais nucléaires militaires, qui en ont rejeté de grandes quantités dans l’atmosphère. Les physiciens de Windscale s’aperçoivent que l’iode s’est déposé sur le sol, à des taux allant jusqu’à un million de becquerels par m2 à 6 km sous le vent de Windscale c’est-à-dire que sur chaque m2 de sol un million d’atomes d’iode-131 se désintègrent chaque seconde, se transformant en atomes de xénon (1 becquerel = 1 Bq = une désintégration par seconde). Ils décident d’interdire la consommation de lait dans les fermes environnant le réacteur. Les mesures montreront que la contamination du lait, exprimée en Bq/l (becquerels par litre), est à peu près le dixième de la contamination du sol, exprimée en Bq/ml : la concentration en iode-131 dans le lait aux environs de Windscale est en moyenne de 30 000 Bq/l, 400 fois plus que le maximum observé à Salt Lake City, ville souvent contaminée par les retombées des essais nucléaires américains. L’interdiction concerne d’abord douze fermes situées dans un rayon de 2 miles (3,2 km) autour de Windscale. Les fermiers sont réveillés dans la nuit de samedi à dimanche pour s’entendre notifier l’interdiction de consommer et de vendre le lait. Il est décidé de fixer le seuil admissible à 3 700 Bq/l, et lundi matin 14 octobre l’interdiction est étendue à 90 fermes, puis 150 dans l’après-midi. Mardi elle s’étend sur une surface de l’ordre de 500 km2, jusqu’à la ville de Barrow-in-Furness. Deux millions de litres de lait seront jetés à la mer d’Irlande. L’UKAEA reconnaîtra que la radioactivité du lait " n’a pas décru aussi rapidement que nous le pensions ". On détectera une activité de 10 000 becquerels dans la thyroïde d’un habitant. [...]
Est-ce bien grave ?
Environ 20 000 curies d’iode-131 ont été dispersés. [...] Heureusement l’iode-131 a une " durée de vie " assez courte : huit jours, C’est-à-dire qu’en huit jours la moitié disparaît (plus précisément, se transforme en xénon), puis la moitié de la moitié restante dans les huit jours qui suivent, et ainsi de suite : les 20 000 curies ci-dessus représentent moins de deux dixièmes de gramme d’iode ! Il n’y a pas eu que de l’iode : 12 000 curies de tellure-132, 600 curies de césium-137, 80 curies de strontium-89 et 9 curies de strontium-90 ont également été émis, ainsi que du polonium, mais on ne reparlera plus de ce dernier produit pendant plus de vingt ans. Tout cela n’est pas resté au dessus de Windscale. Le passage du nuage radioactif, étalé sur une vingtaine d’heures, est détecté dans presque toute l’Angleterre ; il atteint Leeds au nord de l’Angleterre vendredi 11 à 9 h, puis Londres à 16 h. A Oxford, le dépôt au sol est de 740 Bq/m2 ; dans des conditions météorologiques analogues (pas de pluie) il sera de 500 Bq/m2 à la suite de l’explosion de Tchernobyl, ce qui montre la différence de gravité des deux accidents : Oxford est à 340 km de Windscale, et à 4 350 km de Tchernobyl ! Ignorant (déjà) les frontières, le nuage atteint la Belgique et les Pays-Bas vers 19 h ; son activité y est cependant dix fois plus faible qu’à Londres. Plus tard, Paris, Vienne en Autriche et même, dans la journée du 15, la Norvège seront légèrement touchés. [...]
Extrait du livre : Les jeux de l’atome et du hasard, de Jean-Pierre Pharabod - Jean-Paul Schapira, 1988.
http://www.dissident-media.org/infonucleaire
infonucleaire
Création de l'article : 8 octobre 2007
Dernière mise à jour : 6 octobre 2007
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P.S.
Lire :
Windscale, le site le plus polluant d’Europe
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/windscale_sale_air.html
Windscale, une passoire nucléaire rebaptisée Sellafield
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/passoire_nuc_sellafield.html
Un documentaire vidéo de 50 mn en RealVidéo 41 kb http://www.dissident-media.org/fichier_real/winscall_41kb.ram qui explique le rôle de l’usine et les circonstances de l’incendie de 1957.
La fuite de 1973
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/atome_et_hazard2.html
Les enfants maudits de Sellafield
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/enfants_sellafield.html
Dents de lait au plutonium
http://www.dissident-media.org/infonucleaire/dents_plutonium.html
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