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Une information judiciaire est ouverte envers Halliburton et le français Technip, partenaires d’un contrat gazier au Nigeria |
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Éric Decouty [10 octobre 2003]
« Nous sommes potentiellement face à l’affaire Elf à l’échelle mondiale », commente un magistrat du pôle financier. Le procureur de la République de Paris a en effet décidé d’ouvrir une information judiciaire pour « corruption d’agents publics étrangers, abus de biens sociaux, complicité et recel », visant notamment la société française Technip mais surtout l’américaine Halliburton.
L’affaire, révélée par Le Figaro (voir nos éditions du 2 juin dernier), est d’une ampleur insoupçonnée sur le plan tant judiciaire que diplomatique, le président d’Halliburton à l’époque des faits incriminés étant Dick Cheney, l’actuel vice-président des États-Unis.
L’enjeu de l’enquête, dont sera chargé le juge Renaud Van Ruymbeke, est d’identifier les destinataires d’environ 180 millions de dollars (154 millions d’euros) de commissions occultes versées à partir du milieu des années 90 à l’occasion d’un contrat gazier au Nigeria.
L’histoire se noue à l’automne dernier, en marge de l’affaire Elf et d’une procédure visant notamment Georges Krammer, ancien directeur général de Technip, puissante société d’ingénierie aujourd’hui dénommée Technip-Coflexip. Interrogé par la justice, Krammer révèle l’existence d’une « caisse noire » constituée sur l’île de Madère, « servant à alimenter les commissions offshore » (nos éditions du 2 octobre 2002). Prudent, le procureur de la République de Paris décide alors d’ouvrir une simple enquête préliminaire, confiée à la brigade financière.
Le résultat des investigations peut se résumer ainsi.
Fin 1995 est décidée la construction de la plus importante unité de liquéfaction de gaz dans la partie orientale du delta du Niger, à Bonny Island. Initiateur de ce projet, la Nigeria Liquified Natural Gas (NLNG) rassemble quatre actionnaires principaux : la Compagnie nationale des pétroles du Nigeria (49%), Shell (25,6%), TotalFinaElf (15%) et Agip international (10,4%). Cette association décide ensuite des entreprises qui vont construire le complexe industriel. Le français Technip, l’italien Snamprogetti, le japonais JGC et l’américain Kellog Brown and Root (KBR), filiale de Halliburton, sont choisis et réunis dans un joint-venture baptisé TSKJ (pour les quatre initiales des groupes concernés). Mais, selon les investigations policières, KBR est « l’incontestable maître d’oeuvre ».
Ce joint-venture a deux particularités : il est constitué à Madère, ce qui lui permet d’être une société de droit portugais au statut fiscal avantageux, mais surtout il a signé un mystérieux « contrat d’assistance ». Le bénéficiaire, une société parfaitement identifiée, ainsi que son dirigeant, domiciliée dans un paradis fiscal, aurait perçu entre 1995 et 2002 180 millions de dollars de commissions. Cette rémunération correspondant à un peu moins de 10% du marché serait justifiée par les facilités que cet intermédiaire aurait obtenues pour le joint-venture auprès des autorités nigérianes. L’enquête a également permis de déterminer que l’essentiel de ces commissions aurait ensuite été distribué sur de nombreux comptes offshore, dont les détenteurs demeurent inconnus.
Ce sont ces éléments qui ont motivé la décision du parquet de Paris d’engager des poursuites pour « corruption d’agents publics étrangers » et « abus de biens sociaux ». La justice française soupçonne en effet les sociétés opérationnelles, telles Halliburton et Technip, d’avoir organisé un montage permettant de dégager des fonds occultes.
Du côté de Technip et de ses avocats, on se refuse à tout commentaire, renvoyant aux déclarations faites il y a plusieurs mois affirmant que « l’opération était parfaitement régulière », même si le montage était le fait exclusif de KBR, la filiale de Halliburton.
C’est d’ailleurs bien celle-ci qui semble la première visée par l’information judiciaire dans la mesure où l’enquête préliminaire a établi qu’elle avait le rôle principal dans la construction de l’usine de Bonny Island et les montages qui y étaient liés.
Le juge Renaud Van Ruymbeke va donc enquêter sur les pratiques d’une société proche de George W. Bush, connue du grand public international pour avoir obtenu du gouvernement américain 1,7 milliard de dollars de marchés de remise en route de l’exploitation pétrolière en Irak et pour avoir été dirigé jusqu’en 2000 par Richard Cheney.
Il convient également de souligner qu’au moment où la justice américaine accentue sa pression sur des personnalités françaises dans l’affaire Executive Life une procédure française menace à son tour les dirigeants d’une compagnie proche du gouvernement Bush.
Une première judiciaire en France [10 octobre 2003]
L’information judiciaire ouverte pour « corruption d’agent public étranger » par le procureur de la République de Paris dans l’affaire Technip-Halliburton est une première en France..
En fait, cette décision judiciaire est possible depuis l’adoption en 1997 de la convention de l’OCDE « sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les négociations commerciales » par les 29 pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ainsi que l’Argentine, le Chili, le Brésil, la Bulgarie et la Slovaquie. Cette convention n’a cependant connu de traduction juridique concrète qu’en 2000, quand la loi française a prévu de telles poursuites.
C’est donc la première fois que la justice utilise cet outil destiné à traquer la grande corruption internationale. Techniquement, le délit est défini comme le fait de proposer « directement ou indirectement des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour obtenir d’une personne dépositaire de l’autorité publique ou investie d’un mandat électif public dans un Etat étranger qu’elle accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte de sa fonction en vue d’obtenir ou de conserver un marché ». Hasard de l’histoire, au moment de la signature de cette convention, les Américains, qui soupçonnaient la France de tiédeur à l’égard du projet, avaient tenu à marquer l’importance qu’ils attribuaient au texte en dépêchant à Paris Madeleine Albright, alors qu’elle dirigeait la diplomatie américaine.
louison
Création de l'article : 13 octobre 2003
Dernière mise à jour : 13 octobre 2003
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