L’UNITE SE CONSTRUIT A PARTIR DE LA DIVERSITE
Gustave Massiah
L’UNITE SE CONSTRUIT A PARTIR DE LA DIVERSITE
gustave massiah
20-09-03
Entre le rassemblement du Larzac et l’université d’été d’Arles, Attac et notamment son président a eu l’occasion de s’exprimer, largement et sur les sujets les plus divers, dans les médias ; et c’est une très bonne chose.
Plusieurs questions fondamentales ont été posées, particulièrement la question des alliances qui recoupedirectement celle de l’identité d’ATTAC. Certaines des prises de position ont été mises en exergue et présentées comme des arguments d’autorité. Jacques a indiqué au cours de l’Université d’été qu’il s’agissait pour lui d’ouvrir le débat.
C’est dans ce sens que je voudrais donner mon point de vue sur quelques uns de ces points, notamment la stigmatisation de l’extrême gauche et la prise en compte du PS, la remise en cause de la désobéissance civile, le dédain des libertaires, le rôle de la représentativité dans les alliances.
Je voudrais aussi revenir sur le rôle et les modalités du débat dans la construction de l’identité d’ATTAC. Il s’agit de se situer dans une perspective d’élaboration, et non de polémique, pour montrer que ATTAC est capable d’assumer sa diversité et de s’en enrichir.
Il ne me paraît pas judicieux de commencer à affirmer notre identité par une stigmatisation de l’extrême gauche. Il est certain que ATTAC ne peut pas être qualifiée d’organisation d’extrême gauche et que ce n’est pas son ambition.
Il ne s’agit évidemment pas de se lancer dans une défense et illustration de l’extrême gauche. Il s’agit de rappeler que, en France, stigmatiser l’extrême gauche a un sens politique précis qui ne peut être ignoré ; surtout quand on se souvient que l’étiquette d’extrême gauche a été inventée par la droite pour marginaliser le PCF et rallier la SFIO. Je voudrais rappeler trois cas qui montrent les dangers de se définir par la stigmatisation de l’extrême gauche plutôt que par ce que l’on veut représenter.
Le premier cas recoupe l’évolution du PCF. Certes les facteurs qui expliquent l’effondrement du PCF sont nombreux. Mais, il faut admettre que d’être taxé d’extrême gauche ne l’a pas empêché de caracoler à 25 % des voix et de jouer un rôle réel dans la défense des intérêts des classes populaires, alors que de se démarquer à tout prix du gauchisme ne l’a pas empêché de flirter avec les 5%. Le PS, à partir de 78 et de l’échec du programme commun, en sommant le PCF de se démarquer de l’extrême gauche, a expérimenté sa stratégie du baiser qui tue.
Le deuxième cas est celui du PSU. En 1971, Rocard déclare au Congrès de Lille du PSU : " des dizaines de milliers de militants attendent pour rentrer au PSU que l’extrême gauche le quitte ". Deux ans après, Rocard après avoir éliminé les courants de gauche, qualifiés d’extrême gauche, S rentre au PS.
Le troisième cas est celui de la CFDT, de Edmond Maire à Nicole Notat et François Chérèque. La dénonciation systématique d’un complot mythique de l’extrême gauche est le moyen choisi pour recentrer la confédération syndicale, lui apporter la respectabilité et la faire accéder au rang de partenaire reconnu comme négociateur responsable par le patronat.
Certes, il n’y a aucune raison d’accepter les comportements sectaires et dogmatiques ; encore faut-il rappeler qu’ils ne sont pas réservés à l’extrême gauche et qu’il convient de les combattre en tant que tels.
Et il faut rappeler que la source des malheurs de la gauche, ce n’est pas l’extrême gauche, c’est la gauche elle-même !
Cette question rejoint celle de la radicalité et des formes de lutte. Pour beaucoup, la radicalité se confond avec la violence et nous sommes sommés de nous en éloigner. ATTAC s’est toujours défini comme une association radicale, au sens de prendre les choses par la racine. Il ne s’agit pas de gérer la société mais de la transformer,de construire un autre monde possible. Et nous savons qu’il existe des intérêts contradictoires qui rendent impossible de gagner l’accord de tous, et particulièrement des dominants et des privilégiés, par la seule conviction. Les luttes sociales et citoyennes sont les formes de résistance à une violence qui permet de maintenir un monde injuste et insupportable. Mais nous savons aussi les conséquences des formes de lutte qui ont privilégié la violence et la manière dont elles ont gangrené les espoirs de libération et d’émancipation.
C’est ce qui explique l’actualité de la non violence qui rejoint cet avertissement terrible de Gandhi : " si la non-violence échoue, nous serons condamnés à tuer ou à trahir ". Une des réponses à cette contradiction est dans l’invention des nouvelles formes de lutte collective comme la désobéissance civile et la non-violence active. C’est pourquoi nous devons être attentifs à ne pas dévaloriser les formes de résistance légitime et nous ne pouvons nous démarquer de la désobéissance civile quand elle est mise au service des mobilisations de masse.
La question de l’extrême gauche renvoie évidemment à celle de la gauche et donc du Parti Socialiste. Il est vrai comme l’a dit le Président d’ATTAC que la droite voudrait utiliser le mouvement altermondialiste pour isoler le parti socialiste et qu’il ne faut pas rentrer dans ce jeu. Certes, le démontage du stand du parti socialiste au Larzac est d’autant plus regrettable qu’il permet à celui-ci de se réfugier derrière l’atteinte à la liberté d’expression pour se mettre en position de victime. Mais on ne peut soutenir le PS par rapport aux réactions de ceux qui le contestent,serait-ce sous des formes contestables, sans préciser nos positions par rapport au PS. Il faut comprendre ce qui suscite l’exaspération de tant de militants et de secteurs engagés par rapport au PS. Le PS ayant réussi à régler ses problèmes internes de courants a fini par se persuader qu’il avait réglé ses problèmes avec la société. Il considère donc qu’il est superflu de s’expliquer plus avant sur ses responsabilités, rejetées sur Lionel Jospin institué en bouc émissaire général.
Le PS en est à considérer que la responsabilité en incombe à ceux qui n’ont pas voté pour lui sans même se demander pourquoi ils ne l’ont pas fait. Il n’estime pas avoir à s’expliquer sur les critiques des politiques de la gauche libérale ni sur les politiques sur lesquelles il s’engagerait s’il arrivait au pouvoir qu’il revendique. Il considère que la crainte de revoir un 21 avril sera suffisante et que tout le monde votera pour lui sans qu’il ait plus à se préoccuper de propositions. Ce en quoi il se trompe ! Avec une extraordinaire arrogance, il considère que le mouvement altermondialiste peut toujours critiquer, il n’aura pas d’autre solution que de voter pour lui. Ecoutant ses conseilleurs qui s’expriment à longueur de presse en le pressant de ne pas se mettre à la remorque du mouvement altermondialiste qualifié d’extrême-gauche, il peut donc se consacrer à son sport favori, savoir quels compromis faire pour rallier le centre.
Je voudrais aussi souligner que je n’aime pas l’association facile et, à mon avis fausse, de libéraux-libertaires. Elle sous-estime complètement la question des libertés et de la démocratie. Pourtant,le débat stratégique entre libertaires et communistes a été fondateur de l’identité du mouvement ouvrier. Elle envoie à la contradiction fondamentale de l’Etat. Comme le disait excellemment et dialectiquement Engels, " l’Etat est un Etat de classe, mais pour être un Etat de classes, il doit être au-dessus des classes ". La question de l’Etat est la question centrale de tout le débat philosophique et politique actuel. Elle est au centre du deuil du soviétisme qui a nié l’importance des libertés et de la démocratie. Elle règle aussi de manière discutable la nature et le caractère émancipateur, bien que profondément contradictoire, des luttes des années 70 (notamment le Larzac, Lip, Malville, Sonacotra, etc.), et du sens des mouvements des années 68 dans le monde.
La question des alliances victorieuses ne se résume pas à la représentativité. Bien sûr que la représentativité est importante à prendre en compte, mais elle n’est pas suffisante. D’abord elle renvoie à la question très complexe de la majorité dans les fonctionnements démocratiques. La majorité ne garantit pas le sens d’une position. Même quand la majorité des français et de leurs élus étaient pour la colonisation, les luttes anticoloniales n’en étaient pas moins justifiées. Il s’agit donc de distinguer ce qui dans une situation révèle les contradictions et les failles ; ce sont ces failles qui différencient les avenirs, qui préparent l’avenir. Il ne s’agit pas de magnifier les minorités et les petits groupes mais de distinguer ceux qui sont significatifs pour comprendre les structures cachées du présent et les lignes de force de l’avenir. Cette question n’est pas anodine dans la société française qui a réussi à marginaliser et à minoriser les exclus. Les structures institutionnelles jouent un rôle majeur dans la socialisation, pas toujours dans la création. On peut choisir de mettre l’accent dans les alliances sur les plus représentatifs ; cela n’implique pas de le faire au détriment d’autres partenaires significatifs.
Cette question des alliances est directement liée à la nature et à l’identité d’ATTAC ; cette identité est indissociable de l’évolution du mouvement altermondialiste. ATTAC trouve son sens dans ce mouvement et ce mouvement est difficile à imaginer sans ATTAC. Or, en grande partie grâce à ATTAC, ce mouvement s’est consolidé et élargi et ne se résume pas à ATTAC. C’est la raison majeure des interrogations sur la nouvelle phase d’ATTAC. Ce n’est pas simplement une question d’alliances, il s’agit aussi de l’élargissement des bases de ce mouvement. Une des formules est de renforcer ATTAC et de proposer au mouvement de se structurer autour d’ATTAC. Il s’agit aussi d’être capable de penser, et d’inventer, de nouvelles formes de mouvement. C’est ce que ATTAC a su faire en jouant un rôle majeur dans la création des forums sociaux, en osant ne pas subordonner l’intérêt du mouvement à son intérêt d’organisation. Cette orientation n’élimine absolument pas la nécessité de renforcer ATTAC, elle implique que tous les renforcements ne sont pas de même nature. C’est moins sécurisant mais c’est une des conditions pour ne pas se transformer en quasi-parti et pour inventer de nouvelles formes du politique ; ce que ATTAC et le mouvement altermondialiste ont été capables de faire en proposant des alternatives à la dépolitisation.
Un dernier point enfin, l’expérience de cet été doit aussi nous amener à réfléchir sur les formes du débat dans le fonctionnement d’ATTAC. D’autant que les formes du débat dans ATTAC forgent l’identité d’ATTAC. Le Président et plus généralement les membres d’ATTAC, doivent réagir rapidement, y compris sur des questions qui n’ont pas été discutées ou tranchées. Je ne suis pas pour restreindre ce droit d’expression et de réaction. Il y a évidemment des risques, en assumant une forte transparence, de nous exposer à être perturbés en permanence par les interprétations des médias. La solution qui consisterait à concéder au Président le monopole de la parole extérieure est difficilement envisageable. Nous risquerions de glisser vers une autre figure : le Président disposerait de l’argument d’autorité ; les autres pourraient afficher leur accord ou alors murmurer leur désaccord éventuel sur des listes restreintes en courant le risque d’être aussitôt taxés de vouloir nuire à ATTAC si leur parole est perçue à l’extérieur. Il ne s’agit pas là d’un procès d’intention mais de la nécessité de prendre en charge une contradiction réelle.
louison
Création de l'article : 21 octobre 2003
Dernière mise à jour : 19 octobre 2003
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