Elémentaire Prudence
Voter à droite ?
Voter à gauche ?
Voter social ?
Voter libéral ?
Accepter la main mise des marchés sur l’ensemble de ce qui fait nos vies, ce qui revient à diminuer l’impact des états et de tout ce qu’un état peut mutualiser ?
C’est ce que produira l’AGCS : l’ultra minimisation des états et leur soumission aux strictes lois des entreprises.
Accepter ou refuser, et pourquoi ?
La canicule de l’été 2003 nous montre ce que l’on attend d’un état : prévoir, organiser, réagir, indemniser ...
Tous les sinistrés de la canicule, et ceux qui ont pu craindre de l’être, personnes âgées, agriculteurs ? les sinistrés des incendies de forêts (en fait, la majorité d’entre nous et peut-être nous tous) attendent de l’état qu’il réponde à des questions comme à des besoins.
Questions et besoins qui existeront toujours, qui risquent même d’exister avec plus d’intensité et de fréquence si les changements climatiques se manifestent en bouleversant nos habitudes et nos économies.
Questions et besoins qui exigent que l’état (que les états) dispose de moyens tant législatifs que financiers et humains.
Des moyens importants qui ne peuvent résulter que d’une mutualisation, mutualisation qui prend sa source dans l’impôt et dans la démocratie.
Dans un monde ultra libéral, uniquement constitué d’une sphère du privé où l’état sera dépourvu de ses pouvoirs, il faudra par exemple que chacun puisse contracter une assurance afin de se protéger de toutes les catastrophes, même les plus surprenantes.
Il faudra donc que chacun dispose des moyens nécessaires.
Il faudra payer les services de sapeurs pompiers privés pour faire protéger sa maison dans la pinède lors d’un incendie, par exemple.
De la tutelle d’un état qui a pour vocation d’assurer le plus grand bien public (et qui certes le fait très mal ...) nous passerons à celle d’entités, des entreprises, qui n’agiront qu’en fonction du profit que chacune de leurs actions pourra générer.
Ce profit sera au bénéfice des actionnaires et non à celui de l’ensemble des personnes (l’ensemble de la population) qui devraient bénéficier des services dont ces entreprises auront le monopole.
On s’apercevra vite que cette "société à deux vitesses" que nous connaissons aujourd’hui sera traversée de multiples fractures nouvelles qui résulteront des choix que chacun se sera vu contraint de faire : s’assurer contre la grêle ou placer plus en prévision de sa retraite ?
On s’apercevra qu’il n’en coûtera pas moins face à des acteurs privés que face à des solutions mutualisées.
Devons-nous redouter la grêle ?
Plus de grêle, plus violente ?
Nous l’ignorons, mais nous ne pouvons désormais ignorer que les changements climatiques imputables à l’augmentation de l’effet de serre sont une réalité, et nous pouvons supposer que cette réalité ne nous sera pas systématiquement favorable.
La plus élémentaire des prudences voudrait que nous soyons prévoyants : à défaut de savoir prévoir ce que seront les manifestations de ces changements climatiques, nous pouvons prévoir des mécanismes capables de nous aider à gérer au moindre mal d’éventuelles catastrophes.
Des catastrophes qui nécessiteront que nous sachions agir ensemble contre des dangers et des dégâts.
Cela nécessite plus que jamais des services de protection civile efficaces, des services d’alerte, de secours, d’hospitalisation d’urgence ... Capables de faire face à des phénomènes inattendus et de grande ampleur.
Cela nécessite probablement que des professions entières, et l’on peut penser aux professions agricoles en premier lieu, s’organisent afin de pouvoir réagir à des variations climatiques imprévues.
Certains agriculteurs s’interrogent aujourd’hui, après cette canicule, sur la repousse des herbages : une récolte sera-t-elle possible l’an prochain ?
Comment la canicule aura-t-elle affecté les terres, sur quels rendements établir des prévisions pour estimer les revenus de l’an prochain, et donc décider aujourd’hui si l’exploitation a un avenir ?
Combien d’agriculteurs ont été capables de se couvrir par une assurance et se tirent sans perte de l’été que nous avons connu ?
Seule une organisation de la profession avec une dimension de mutualisation très forte permettrait à tous de survivre en dépit des événements.
Il est probable que nous assistions dans les prochains mois à de nombreuses cessations d’activité : cela démontrera que la profession n’aura pas su affronter l’imprévu.
La plus élémentaire des prudences voudrait que cette profession invente, en collaboration avec l’état, des solutions qui lui permettraient de mieux résister à des facéties climatiques.
Ce qui vaut pour l’agriculture peut être généralisé à l’ensemble de la société : savoir que des changements, notamment climatiques (mais ils ne sont pas les seuls, évoquons par exemple la diminution des ressources halieutiques océaniques qui mèneront infailliblement à l’effondrement de la pêche) nous contraindront à reconsidérer nos façons de vivre et souvent, en cas de phénomènes violents, à nous unir pour résister, au delà de tous les intérêts financiers : nous unir pour survivre face à une catastrophe.
Cela ne sera pas pris en compte par les initiatives privées, visant le seul profit immédiat, dans un monde ultra libéral.
Cela se fera en dehors de cette sphère de la finance et de la spéculation, cela se retournera un jour contre cette sphère, lorsqu’on se sera aperçu qu’elle organise un flux unidirectionnel qui ne contribue qu’à l’enrichissement de certains et, du fait du monopole qu’on lui a indûment concédé, elle assure des prestations nettement différentes, nettement inférieures et nettement discriminatoires par rapport aux prestations d’un système démocratique et mutualisé.
Un monopole auquel elle n’aura pas même besoin de s’accrocher puisqu’il sera impossible de le briser ... (dans le cadre de l’AGCS la seule façon pour un état de récupérer un monopole accordé précédemment à la sphère privée sera de verser des indemnités A TOUS LES ETATS SIGNATAIRES DES ACCORDS SUR L’AGCS, c’est à dire des sommes telles que toute récupération de monopole sera de fait impossible)
Un jour donc nous, "le peuple", les citoyens, nous comprendrons deux ou trois petites choses dont nous pourrions dès maintenant être certains :
Le cours de nos vies, de la vie de nos sociétés, risque d’être changé, peut-être bouleversé, par des phénomènes que nous n’avons encore jamais connus.
Nos économies en seront probablement violemment atteintes.
La meilleure façon, la seule souvent, d’affronter ces changements sera de s’unir dans l’urgence, face au danger.
S’unir ainsi c’est mettre en commun nos forces, nos ressources : c’est mutualiser.
La plus élémentaire des prudences voudrait que nous sachions dès maintenant mutualiser tout ce qui est nécessaire en vue d’affronter un avenir incertain, plus incertain que jamais.
Cette mutualisation est absolument incompatible avec la privation totale de nombreux secteurs, absolument incompatible avec l’esprit de l’ultra libéralisme où rien n’est accessible à qui n’a pas les moyens de payer.
En cas de catastrophe l’ultra libéralisme aura désigné par avance qui seront les morts, qui seront les invalides, qui seront les survivants.
Nous avons vu les cafouillages de notre état - théoriquement fort - face à la mortalité des personnes âgées lors de l’épisode caniculaire.
Il faut que notre état soit non seulement fort mais qu’il devienne performant : que se passerait-il du côté des urgences ces prochains mois en cas de grave pollution chimique ou nucléaire ?
Combien de temps mettrait-on à réagir ?
Combien de morts pour cause de mauvaise organisation, pour cause de manque de lits dans les hôpitaux ?
Dans une société ultra libérale où tous les services relèveraient de la sphère privée quelles seraient les obligations des entreprises de santé ?
Auraient-elles la contrainte de secourir tous le monde indistinctement ?
Nous voyons bien aujourd’hui qu’au niveau mondial aucune contrainte de ce type n’existe : si elle existait tous les malades du Sida bénéficieraient des derniers traitements, l’effort nécessaire aurait été fait pour qu’il en soit ainsi.
Nous voyons également, aujourd’hui en France, de nombreux dentistes refuser les soins à des allocataires de la CMU.
On peut craindre que ce comportement des entreprises (qui privilégient leur rentabilité par rapport au fait de sauver des vies : seuls ceux qui peuvent payer sont sauvés) gagne un jour le niveau local : soyez riche et n’ayez pas de revers de fortune !
Alors voter à gauche ou à droite, face aux incertitudes du moment, n’a plus grand sens.
Cette question est un pur archaïsme.
Travaillons sur les failles de notre état, notamment celles qu’ont mis en évidence canicule et incendies de forêts, envisageons les perspectives dans les domaines énergétiques, climatiques, pathologiques (ne pas oublier le SRAS, les légionelloses qui se multiplient, les résistances accrues des souches microbiennes aux antibiotiques etc ...) et autres causes d’incertitudes graves, et imaginons les meilleures dispositions qu’il nous faudrait adopter pour que le plus grand nombre puisse résister dans de bonnes conditions aux menaces qui pèsent sur notre avenir.
Nous verrons vite que l’ultra libéralisme ne propose rien de tel, et que l’AGCS ne résoudra rien de ces questions : ce n’est d’ailleurs pas son ambition.
Résister aux menaces, aux dangers : cela a été depuis la nuit des temps le problème de tout animal, de tout végétal.
L’homme n’a pas fait exception, et depuis des millénaires il ne cesse de trouver des solutions pour résister, pour perdurer.
Pendant des millénaires l’homme a tout ignoré de l’entreprise privée : la clé de sa survie était l’entraide et la collaboration, la mise en commun.
Au fur et à mesure de l’amélioration d’un certain nombre de conditions des solutions individuelles ont pu exister : les conditions permettaient à des individus de survivre en entretenant moins de relations de dépendance avec son groupe.
N’oublions pas que l’individualisme n’est possible, vivable, que si les conditions le permettent, en d’autres termes si les dangers ne sont pas démesurés par rapport à la force, aux ressources, d’un individu.
L’union est indispensable pour affronter des dangers plus importants, et alors l’union se fait : l’exemple nous en est donné avec le comportement de la Grande Bretagne durant la seconde guerre mondiale.
L’entreprise privée est-elle indispensable à la survie de l’humanité ?
On peut se demander pourquoi elle le serait alors que longtemps elle n’exista pas : y-a-t-il une différence de nature entre l’humanité d’hier et celle d’aujourd’hui ?
Probablement pas : il n’y a qu’une différence de contexte, un contexte d’ordre essentiellement philosophique.
L’entreprise privée est-elle la seule solution de survie pour l’humanité ?
Il n’est pas, de mon point de vue, question de revenir à un mode de vie tribal : il faut seulement parvenir à ce juste milieu qui permettra, quoi qu’il arrive, au plus grand nombre de vivre dans les meilleures conditions possibles et on trouve rarement un juste milieu dans un extrême.
Le "tout marché", l’ultra libéralisme, constitue par définition un extrême.
La plus élémentaire des prudences consiste à refuser tout ce qui conduira le monde vers plus de libéralisme.