L’ultra libéralisme contre l’entreprise ?
A l’ère où une organisation internationale totalement inféodée aux entreprises, au travers d’états eux-mêmes soumis aux "forces du marché", l’OMC ou le WTO selon le choix de chacun, tente de généraliser l’ultra libéralisme à tout ce qui peut s’échanger de par le monde en édictant des lois souveraines sur les lois des états, on pourrait supposer que la démarche vise à conférer aux entreprises plus de pouvoirs dans l’objectif de leur permettre de mieux se développer.
C’est d’ailleurs là à peu près le programme de l’OMC. _
Et si ce raisonnement s’avérait erroné ?
Si la dynamique de l’OMC orientait le monde dans une direction opposée au plus grand développement des entreprises ?
La question mérite d’être étudiée de près en tenant compte d’autres faits que celui de l’existence de l’OMC : cette organisation s’inscrit dans le monde et ne peut faire abstraction du contexte.
Un des points clef des règles de l’OMC est cette ambition de libérer les entreprises de toute contrainte, notamment des contraintes que voudraient leur imposer des états "indociles".
Il s’agit notamment d’annuler toute contrainte existante ou à venir en matières sociale et environnementale.
Que l’OMC n’oublie pas de constater que ces deux contextes, le social et l’environnement, constituent le socle de nos cadres de vie : c’est sur ces substrats que nous vivons, sur ces substrats que nous tissons nos liens d’amour, d’amitié, d’antagonismes, et c’est de ces substrats que nous tirons notre subsistance.
Vouloir contrôler ces deux contextes sans assise démocratique, et dans une direction qui risque de ne pas être favorable au plus grand nombre, recèle de grands dangers.
Nous assistons actuellement à une lutte pacifique entre les partisans d’un monde ultra libéral et ceux qui le refusent, les "alter mondialistes".
Imaginons un instant que les ultra libéraux l’emportent, que les entreprises jouissent de vastes libertés et ne se gênent en rien d’en profiter : soyons certains que des épisodes regrettables surviendront, tant sur le plan social qu’environnemental.
Que les ultra libéraux l’emportent signifie qu’ils seront du "bon côté" de la loi, même lors de ces épisodes regrettables.
Il n’y aura donc aucun recours légal contre les auteurs de ces épisodes, mais cela n’empêchera pas que les victimes de ces épisodes manifestent leur mécontentement, mais par d’autres moyens que ceux de la loi ou ceux que permet la loi.
Il faut envisager qu’une victoire des ultra libéraux constituera un socle de radicalisation des protestataires et des victimes, et nul ne sait quels moyens seront utilisés afin de lutter contre les entreprises qui auront créé des situations jugées inadmissibles.
Des actions seront menées (seront-elles toujours pacifiques ?) et ces actions seront conduites au détriment du meilleur développement de ces entreprises : elles viseront à provoquer l’effet qui aurait été celles de lois plus contraignantes, ces lois que l’OMC veut éviter.
Mais l’effet d’actions menées par des populations contre des entreprises aura des conséquences pires que celles qu’auraient des lois, même très contraignantes, car une entreprise engagée dans un processus contesté, dans le cadre d’une totale liberté, sera très fortement atteinte (dans son chiffre d’affaire) par la contestation.
Elle aura imaginé son développement et calculé ses perspectives de développement sur des hypothèses que les populations tenteront de rendre caduques.
Si cela advient l’entreprise courra le risque de disparaître à très brève échéance.
Au contraire si cette même entreprise évolue dans un cadre législatif contraignant et se conforme aux lois elle imagine son développement, calcule sa rentabilité dans un cadre au départ moins favorable que celui d’une totale liberté mais elle ne court pas un risque démesuré de se trouver confrontée à des contestations populaires fortes, parce qu’elle aura une faible probabilité de provoquer des épisodes regrettables (pour autant que la loi soit suffisamment bien établie pour les prévenir ET que la loi réponde aux exigences des populations).
Pour illustrer les décisions que peut prendre un état inféodé aux entreprises mentionnons que dans les derniers jours d’Août 2003 l’administration Bush a autorisé l’EPA (Environment Protection Agency) à diminuer les contraintes imposée aux entreprises dans la qualité des rejets aériens : les entreprises peuvent donc polluer plus massivement.
Cette décision a suscité des protestations des défenseurs de l’environnement.
Soyons assurés que les entreprises placées sous la seule tutelle de l’OMC sauront s’arroger le droit d’empoisonner qui elles voudront, de la façon qui leur sera la plus rentable.
L’OMC aurait tort d’agir, et de légiférer, en ne tenant pas compte du contexte d’évolution climatique actuelle.
Cette évolution a poussé les états à des dynamiques fortes, notamment la réduction d’émissions de gaz à effet de serre.
Si les règles de l’OMC permettent aux entreprises d’émettre ce qu’elles voudront comme elles voudront soyons assurés qu’elles le feront : ce sera une énorme gifle au visage de ceux qui travaillé jusqu’à maintenant à la protection d’un environnement aujourd’hui en très mauvaise santé.
Ce sera de leur part un très mauvais calcul, dans le sens de la radicalisation évoquée plus haut, mais aussi dans le sens de la stagnation de leur niveau technologique.
Sur ce plan il y a plus à inventer et à produire dans le domaine des énergies renouvelables que dans le domaine pétrolier.
Cela signifie qu’il y a plus de chiffre d’affaire à réaliser sur les énergies renouvelables que sur le pétrole.
Cela est vrai même si l’on ne tient pas compte de la diminution des réserves mondiales de pétrole.
Si l’on considère la question en intégrant ce paramètre on constate que nous serons bientôt contraints de vivre en consommant moins d’un pétrole qui deviendra beaucoup plus coûteux qu’il ne l’est aujourd’hui.
Ce sera une loi parfaitement incontournable, la loi de la rareté (prévue) de cette ressource.
Aurons-nous ce jour là les moyens de produire les énergies de substitution qui nous seront indispensables ? _
On peut donc penser que de très nombreuses entreprises se prépareraient un avenir beaucoup plus florissant en consacrant l’argent qu’elles dépensent en lobbying auprès de l’OMC en vue d’obtenir une profonde dérégulation à l’étude de solutions alternatives, tant pour la production de l’énergie que pour l’économie de sa consommation.
Si cela est vrai il faut admettre que la plupart de ceux qui dirigent actuellement le monde brillent plus par leur naïveté ( ?) ou leur cupidité que par leur intelligence, car ils font sur l’avenir le pari le plus dangereux et le plus incertain qu’on puisse imaginer.
Les débats actuels sur l’ultra libéralisme nous renvoient donc à cette question fondamentale et très philosophique : peut-on imaginer ? et réaliser ? les conditions d’une totale liberté ?
Et il me semble que seuls les naïfs (pour être gentil) répondront par l’affirmative.
jcm, 3 septembre 2003