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AGCS = Attention Grande Crise Sociale

Les enjeux des négociations sur les services en cours à 1’Organisation Mondiale du Commerce dépassent l’entendement. Ce n’est pas un hasard. "Quand on veut assécher le marais, on ne prévient pas les grenouilles " rappelle le dicton populaire. Les grandes manoeuvres de privatisation des services avancent masquées à travers le plus retord des accords de l’OMC : l’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS). Signé en 1994 avec les accords de Marrakech, cet accord entre aujourd’hui dans une dangereuse phase de révision. Une revision qui menace les politiques internes, sociales, environnementales et culturelles de chacun des pays membres de l’OMC. Mais l’alerte est lancée

Derrière son sigle imprononçable, l’AGCS est trop longtemps passé inaperçu. Difficile à interpréter et décrypter, il l’est encore davantage à vulgariser. Voilà qui explique le retard des mouvements citoyens à s’emparer d’enjeux qui nous concernent tous : le devenir des services publics et des droits sociaux, la sauvegarde de la démocratie et celle de notre planète. Mais depuis plus de deux ans, les campagnes contre l’AGCS se multiplient. L’AGCS est sorti de l’ombre. Au siège de 1 ’OMC, comme à la Commission européenne, les technocrates qui travaillent de concert avec les grands lobbies de services sont confrontés à une opposition de mieux en mieux informée et organisée. Quelle ne fut pas leur stupeur au lendemain de la manifestation qui réunit 15 000 personnes contre l’AGCS à Bruxelles le 9 février dernier : "Quoi ? 15 000 personnes contre un accord technique " put-on entendre au siège Genevois de l’OMC.

Technique, l’AGCS l’est à outrance. Ses visées, guère avouables, furent codifiées dans un ensemble de règles destinées à être comprises par leurs seuls bénéficiaires. Accord hybride, à double entrée, il a été conçu pour entraîner des effets à retardement. L’article 19 engage les pays dans des négociations successives vers toujours "plus de liberalisation de tous les secteurs de services". Le Commissaire Européen au commerce extérieur, Pascal Lamy, ne déclarait-il pas avant Seattle : "aucun secteur n’est hors de la table des négociations" ? Le même Lamy jure aujourd’hui, la main sur le coeur, que les services publics ne sont pas concernés par l’AGCS, mais tient un tout autre discours devant le TABD, Transatlantic Business Dialogue. Celui qui négocie pour les 15 pays de l’Union - entre autres fonctions prestigieuses [1]- a occupé celle de président de la commission prospective... du CNPF ! Prospective. Pour les PDG des transnationales de services, européens ou américains, le champs des services - les 2/3 de l’activité économique des pays développés- représente un gisement de profits inépuisables Pourvu que les domaines puissent être "capturés" par le marché.

Les services couverts par l’AGCS sont innombrables : de la construction aux postes et télécommunications, des transports aux assurances, du tourisme aux services d’environnement, en passant par la santé, l’éducation, la médecine, et même les musées, bibliothèques et archives nationales. 160 sous secteurs en tout furent fourgués pêle-mêle dans 1’AGCS 94. Éducation ? ! Santé ? ! Ses défenseurs vous rétorqueront que les services publics ne figurent même pas dans l’AGCS. C’est exact, le terme n’apparaît pas une seule fois dans les 28 pages de l’accord. Loin d’une reconnaissance, cette omission trahit un déni d’existence. L’AGCS concerne le Commerce des services, avec un grand C. Le reste n’est que nostalgie et innefficience. L’éducation et la santé, domaines immenses, vitaux de surcroît, constituent des marchés potentiellement colossaux... Les dépenses d’éducation dans le monde se chiffrent a plus de 2000 milliards de dollars par an. Celles de la santé dépassent les 3500 milliards2. La dispense de ces services par la puissance publique, leur gratuité, les politiques de redistribution et de péréquation constituent des obstacles à éliminer, progressivement, méthodiquement, sans .alerter les grenouilles.

Imposture intellectuelle suprême, c’est au nom de la "régulation du commerce international" que ces services, fournis aux citoyens à l’intérieur des frontières, et déjà engagés dans l’AGCS, s’apprêtent à être démantelés. Mais la progressivité est la règIe d’or pour parvenir a déreglementer tout ce qui peut 1’être. Les outils pour y parvenir sont nombreux. L’AGCS contient aussi des dispositions sur les subventions et sur les marché publics de services.

La flexibilité selon l’AGCS

Les partisans de cet accord attrape-tout vantent sa flexibilité. Les pays seraient "libres" d’engager des secteurs ou de les préserver. Dans la réalité des textes, c’est nettement plus complexe. 1l est vrai que seuls les secteurs de services que les pays, ou plutôt leurs négociateurs, acceptent d’ouvrir à la concurrence, sont soumis aux clauses les plus extrêmes de l’accord : traitement national, qui oblige à octroyer les mêmes conditions, et subventions, aux opérateurs étrangers qu’aux prestataires nationaux. Tout engagement de libéralisation est irréversible. La moindre enfreinte aux règles peut se solder par un verdict du tribunal de l’OMC -1’Organe des règlements des différends - et entraîner soit le dementèlement de la mesure incriminée, soit des compensations financières immédiates.

Mais tous les secteurs, engagés ou non, sont soumis aux disciplines dites générales de transparence et réglementation intérieure. Ces articles donnent à 1 ’OMC, le droit de passer au peigne fin toutes les législations nationales "plus contraignantes que nécessaires pour assurer la qualité d’un service". La qualité et non l’accès, notion anathème pour l’AGCS. Pour comble, c’est la Commission européenne qui a proposé* que les législations nationales soient soumises à un "test de nécessité" pour statuer si elles correspondent... à des objectifs politiques légitimes !

Leur contenu explosif explique le secret qui entourent les tractations en cours sur les "demandes" et "offres" de libéralisation de services. Un secret tel que les parlementaires n’ont pas le droit de connaître les "offres" précises que la Commission s’apprête à déposer à Genève. Elles ont été transmises aux capitales avec l’ordre formel d’en interdire toute photocopie !

Ce contournement scandaleux de la representation politique a suscité un sursaut à la hauteur des enjeux. Le 3 décembre [2] des élus lançait l’Appel pour la suspention immédiate des négociations de l’AGCS. Cette prise de position, auquel plus de 350 élus français ont aujourd’hui apposé leurs signatures appelle "tous les élus de toutes les assemblées élues à se joindre à ce mouvement et à faire prévaloir cette exigence" [3].

Agnès Bertrand, auteur avec Laurence Kalafatides de "OMC, le pouvoir invisible", Fayard, 2002.

Plus d’information sur l’AGCS sites : www.ire-sauve.org et www.transnationale.org

Notes

[1] www.reseauvoltaire.net/article9298.html

[2] Suite au colloque international « l’OMC et la démocratie : les implications politiques de l’accord général sur le commerce des services » à l’Assemblée nationale Organisé par l’IRE, l’URFIG et IFG

[3] Pour se joindre à cet appel courriel :

IRE, 1er décembre 2003