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Polémiques autour d’un OGM |
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Après avoir émis des doutes sur l’innocuité d’un maïs transgénique commercialisé par Monsanto, le MON 863, la Commission du Génie Biomoléculaire (CGB) rend un avis favorable à son importation.
La Commission du Génie Biomoléculaire (CGB) française devait annoncer, mardi 14 décembre, l’octroi d’un avis favorable à l’importation et à la commercialisation du MON 863, un maïs transgénique développé par Monsanto. L’annonce n’aurait rien de singulier si la même instance n’avait rendu, le 28 octobre 2003, un avis contraire à propos du même organisme génétiquement modifié (OGM).
La Commission se range ainsi aux côtés de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (Afssa) et de l’Agence Européenne pour la Sécurité des Aliments (EFSA) qui ont, toutes deux, voilà plus de six mois (voir Le Monde du 23 avril), donné un avis favorable au MON 863.
L’unanimité n’est cependant pas de mise au sein de la CGB, dont un membre, Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’université de Caen, a voté contre l’avis finalement rendu.
L’affaire n’a commencé qu’au printemps 2004, avec la divulgation des comptes-rendus de réunion de la CGB, dont seuls les avis sont rendus publics. La publicité de ces procès-verbaux avait été obtenue par le Comité de Recherche et d’Information Indépendantes sur le Génie Génétique (Crii-Gen), association fondée par l’ancienne ministre de l’écologie Corinne Lepage, qui avait saisi la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA). Ainsi rendues publiques, les conclusions de la première étude toxicologique, transmise par Monsanto à la CGB, faisaient état de nombreux effets biologiques sur les rats nourris, pendant 90 jours, au MON 863.
Les chercheurs du laboratoire Covance (commis, selon l’usage, par Monsanto) relevaient des anomalies sanguines variables en fonction du sexe (augmentation des taux de globules blancs et de lymphocytes chez les mâles, baisse des taux de jeunes globules rouges chez les femelles). Une augmentation de la glycémie chez les femelles était également notée. De même, l’apparition plus fréquentes de lésions rénales (inflammations, calculs) ainsi que des variations du poids des reins avaient été observées chez les animaux nourris au MON 863.
Ces résultats avaient conduit la CGB à conclure, dans son avis du 28 octobre 2003 adopté à l’unanimité, que « l’étude de toxicité subchronique réalisée avec le maïs MON 863 soulevait de nombreuses questions relatives aux différences significatives observées lors des dosages d’hématologie, de biochimie clinique, de chimie urinaire et de la mesure du poids de certains organes » des animaux testés.
Les choses n’en sont pas restées là. « Nous n’avons pas conclu à la toxicité du MON 863, explique Gérard Pascal, directeur de recherche à l’Institut National de la Recherche Agronomique et membre de la CGB. Nous avons simplement dit que, dans le dossier fourni par Monsanto, nous n’avions pas d’explications satisfaisantes aux anomalies observées. » L’instance française d’évaluation des OGM a ainsi demandé des compléments d’information au semencier.
Celui-ci a alors nommé deux anatomo-pathologistes réputés, Gordon Hard et Andrea Terron, pour réexaminer les résultats obtenus par le laboratoire Covance. Après étude des échantillons précédemment prélevés, les deux experts ont conclu, en septembre 2004, que les lésions et les anomalies sanguines entraient dans le champ de la variabilité naturelle des caractéristiques des animaux. « Les tests ont été menés chez le rat, qui n’est pas un modèle idéal pour la toxicologie chronique », dit Marc Fellous, directeur d’unité à l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (Inserm) et président de la CGB. « Les anomalies sanguines et les différences de glycémie s’expliquent par la variabilité des animaux, poursuit M. Fellous. Quant aux anomalies rénales, elles sont naturelles puisque le rat, ce que nous ne savions pas à l’époque, les développe spontanément. » Ces nouvelles interprétations ont été, par la suite, validées par un autre expert français, André-Laurent Parodi, professeur à l’Ecole nationale vétérinaire d’Alfort.
Restait le problème du poids des reins, plus faible chez les animaux nourris au MON 863. En novembre 2004, Monsanto fournit une nouvelle étude, utilisant cette fois une autre variété de maïs hybridée avec le MON 863. Cette nouvelle étude, menée par le laboratoire Wil Research (là encore choisi par Monsanto) n’a pas mis en lumière de telles anomalies.
Ces dernières conclusions ne satisfont pas Gilles-Eric Séralini, membre du Crii-Gen et de la CGB, qui a voté contre l’avis favorable d’importation du MON 863, formellement adopté le 23 novembre. « Monsanto se dédit, estime M. Séralini. Dans un premier temps, leurs études expliquent, de manière amusante d’ailleurs, qu’il y a des effets significatifs sans signification pathologique et dans un deuxième temps, leurs études disent que les effets observés ne sont plus significatifs. De plus le dossier a été saucissonné en prenant les problèmes séparément et non dans leur ensemble, ce qui est inadmissible. La moindre des honnêtetés aurait été de recommencer l’étude, ce qui n’a pas été fait. En tout cas, pas avec la même variété de maïs. » En outre, M. Séralini rappelle qu’« aucun test de l’insecticide produit par le MON 863 n’a été effectué sur cellule humaine » et que cette substance « n’est pas entièrement naturelle puisque la séquence de Bacillus thurigensis, introduite dans le génome du maïs, a été modifiée. »
Dans un communiqué du 10 décembre, le Crii-Gen demande la levée du secret industriel sur l’étude menée sur le MON 863, de manière à l’ouvrir publiquement à la controverse scientifique. L’association demande également qu’une expertise contradictoire soit menée sur fonds publics. Les études financées par les industriels sont en effet jugées "dépendantes" par le Crii-Gen. Certains membres de la CGB, peu suspects d’être anti-OGM, ne sont pas loin de dresser un constat comparable. Ainsi, M. Pascal, qui a voté favorablement au MON 863, estime que le résumé de l’étude sur ce maïs « ne correspondait pas exactement à ce qu’on trouvait dans le dossier détaillé. » Ce résumé ne mentionnait pas, selon M. Pascal, certaines des différences entre les groupes de rats observées par l’étude.
Le fonctionnement de la CGB est lui aussi au centre de polémiques. Au point que MM. Séralini et Fellous ne s’entendent pas sur le nombre de votants présents à la réunion, tenue hors quorum, du 23 novembre...
Stéphane Foucart
Le Monde du 15 décembre 2004
Gilles Gesson
Création de l'article : 15 décembre 2004
Dernière mise à jour : 15 décembre 2004
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