Scène introductive :
Au fond, une banderole ou un panneau : "l’union fait la farce"
En scène : Giscain d’Estard, Traité constitutionnel et le Lecteur caché dans sa boîte
G (au public) - Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, aujourd’hui, dimanche 29 mai 2005, nous sommes tous rassemblés ici pour célébrer le mariage entre Monsieur traité constitutionnel (ici présent et très très consentant - très très con, s’entend) et Mademoiselle ... mais où est-elle ? (il appelle : ) mademoiselle Citoyenne Européenne ?!
C - je suis là, j’arriiiiive ! (elle crie de derrière le public et elle traverse la foule vers la scène, elle traîne les quatre volumes de carton de la constitution , elle est essoufflée et nerveuse) (au public) j’ai pas tout lu, j’ai pas eu le temps ...
G - Vous n’avez pas eu le temps de tout lire ? ce n’est pas grave ! c’est un très très bon texte, d’ailleurs j’en suis un des auteurs, sans vouloir me vanter, on m’appelle même "le père de la constitution" ... Installez-vous, très bien (au public) Bien commençons la cérémonie : Monsieur traité constitutionnel acceptez-vous Oui ou Non de ...
T (le coupant, souriant et séducteur, s’adressant au public) - Oui, évidemment, pour la paix, le bonheur, la prospérité ... (il commence un beau discours)
G - (le coupe) Parfait, parfait, et vous mademoiselle Citoyenne Européenne, acceptez-vous OUI ou OUI (il faut dire oui, parce que ce traité est un bon traité) acceptez-vous de prendre pour époux monsieur Traité Constitutionnel ici présent, pour le meilleur et ... pour le meilleur ...
T (au public, tout sourire, et qu’on l’entende bien) - mais bien sûr !
M - Attendez, attendez, attendez, ne faites pas çà, arrêtez tout, ne faites pas çà (elle hurle depuis la foule, pardon, pardon)
Les trois autres la regardent arriver interloqués, ils attendent qu’elle arrive sur scène
T (au public, inquiet) - mais qui c’est celle-la ?
C (au public, blagueuse) - c’est ma copine, Zezette épouse X
M (au public, bien articulé) - eh, je te rappelle que je viens de divorcer de Monsieur Maestricht. Si j’avais su j’aurais pas dit OUI en 1992. (à C) T’es sûre qu’tu l’connais c’gazier ? (au public montrant le tas de cartons) et ton contrat de mariage, tu l’as lu ?
C - Attends ! Tu rigoles, (elle avance et montre successivement les quatre parties au public) 1- les valeurs, les objectifs et les institutions de l’union, 2 - les droits fondamentaux, 3 - les politiques de l’union, 4 - dispositions générales (elle continue à s’adresser au public, en regardant les gens l’un après l’autre) 4 parties, 448 articles, j’ai qu’ça à faire ! Je l’ai feuilleté, j’ai lu le fascicule résumé (elle le montre) et je me suis tapé toutes les émissions télé de préparation au mariage ; ils arrêtent pas de dire qu’il faut dire oui, je leur fait confiance.
M (au public) - évidemment, avec tout le battage médiatique pour le oui, on peut convaincre même une autruche !
C (se retourne vers M, piquée) - oh, mais ça va ! (au public) chuis pas une autruche
Scène des droits
M : (au public) tu vois, cette deuxième partie, toute mince, c’est -soit-disant- tes droits (elle tend un peu le carton en avant)
C : (au public) pourquoi "soit-disant" ?
M : (au public) parce que l’article 111 ... (T la coupe, lui arrachant le carton en passant devant et va se placer à côté de L)
T : (au public) par exemple tu as droit à la vie
C : (au public) ben encore heureux
T : (au public) oui, mais c’est important que ce soit dans le texte, écoute, article 62 ...
G sonne
L : "toute personne a droit à la vie ; nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté"
M : (au public) sauf que dans les annexes ... (C la coupe)
C : (au public) parce qu’en plus il y a des annexes !!!
M : (au public) oui, attends (elle va chercher des cartons et revient les montrer au public en énumérant) des protocoles, des annexes, et des commentaires, mais ne t’inquiète pas, on ne te fera sûrement pas tout lire, et en plus, rien que les quatre parties te suffiront pour te faire une idée de leur belle constitution
C : (au public) mais qu’est-ce-qu’elles disent ces annexes ?
M : (au public) elle commentent et propose une jurisprudence ; par exemple elles autorisent la mise à mort en cas de manifestation. Mais, surtout, rappelle-toi ce que disent les anti-avortements "toute personne a droit à la vie" ...
C : (au public) mais le droit à l’avortement doit bien être inscrit dans le texte
M : (au public) absolument pas, ni le droit à l’avortement, ni le droit à la contraception
G : (au public) mais enfin, ce texte est un compromis entre les 25 Etats de la famille, or certains d’entre eux n’acceptent pas l’avortement et d’autres -les mêmes- n’acceptent pas la contraception ; c’est bien les Français çà, à vouloir imposer leur modèle à tout le monde !
M : (au public) et si, dans certains domaines, notre modèle était socialement plus avancé, il faut y renoncer ? par exemple pourquoi renoncer au principe de laïcité ?
C : (à M) comment ?
T : (au public) mais ça n’arrivera probablement peut-être pas
M : (à T) alors citez moi un passage où il y a le mot laïcité
G : (voulant couper court) il n’y en a pas
M : (au public) écoutez donc le début du préambule
G sonne
L sort de sa boîte : "s’inspirant des héritages culturels, religieux (M le coupe), et humanistes ...
M : (au public) et l’article 52-3
G sonne
L sort de sa boîte : "reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l’union maintient un dialogue ouvert régulier et transparent avec ses églises ... " (M le coupe)
M : (au public) et l’article 74-3
G sonne
L sort de sa boîte : "la liberté de créer des établissement dans le respect des principes démocratiques ainsi que le droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses, philosophiques et pédagogiques" (C coupe après religieuses)
C (coupe, fort, au public) : moi qui ne voulait pas d’un mariage religieux (elle regarde T, ils sont face à face aux deux "extrémités" de la scène)
T : (la rejoint, séducteur) c’est pas grave, on est fait l’un pour l’autre, (ils se retournent face au public à qui T s’adresse) entre nous c’est la paix et la prospérité, et tu auras plein d’autres droits, écoute ... article 63 (il montre la 2e partie qu’il a toujours entre les mains et il l’entraîne dans une valse)
G sonne
L sort de sa boîte : "toute personne a droit à son intégrité physique et mentale"
T : (au public) article 64
G sonne
L sort de sa boîte : "nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants"
M : (s’approche, au public) encore heureux, mais l’article 111 ... (coupée)
T (coupe, au public) : article 65
G sonne
L sort de sa boîte : "nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude"
M : (à T) mais l’article 111 (coupée)
T (coupe, au public) : article 66
G sonne
L sort de sa boîte : "toute personne a droit à la liberté et à la sûreté"
M : (au public) mais l’article 111 (coupée)
T (coupe) : article 67
G sonne
L sort de sa boîte : "toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications"
M : (elle passe devant, arrache le carton à T, interrompt la valse et s’adresse au public) mais l’article 111-2 !
G sonne
L sort de sa boîte : "la présente charte n’étend pas le champ d’application du droit de l’Union au-delà des compétences de l’Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelle pour l’Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies dans les autres parties de la constit (coupé)
C (au public) : ça veut dire quoi ce charabia ?
M (au public) : ça veut dire que les parties 1 et 3 de la constitution passent avant la partie 2 sur les droits. Par exemple l’Union doit garantir la concurrence libre et non faussée, mais elle ne fait que reconnaître et respecter le droit à la sécurité sociale.
C - là, tu chipotes
M - (au public) mais pas du tout ! garantir c’est différent de reconnaître et respecter ; la constitution est une garantie pour les compagnies d’assurance privée de pouvoir te piquer ton argent sans forcément te rembourser, alors qu’elle ne fait que reconnaître et respecter la sécurité sociale qu’on est en train de supprimer.
C - (au public) c’est dégueulasse ! dans la constitution française les droits sociaux sont garantis
M - (au public) oui, et pas dans la constitution européenne, ils appellent çà le progrès ...
Scène du droit de travailler
C - bon, bon, de toute façon, de nos jours, avec le chomage, ce qui compte, c’est de trouver un emploi et d’avoir un salaire ; moi en ce moment, je galère, et je compte bien sur ce mariage ...
T - et tu as bien raison, je t’apporte la paix, la prospérité et le droit au travail
C - (comme un défi) et je te fais confiance
M - et tu ne devrais pas !
C - pourquoi ?
M - article 75 ...
L - "toute personne a le droit de travailler et d’exercer une profession librement choisie ou acceptée - tout citoyen de l’Union a la liberté de chercher un emploi ..." (coupé)
T - (coupe) et voilà, le droit au travail !
M - non, non, non, le texte dit "droit de travailler et de chercher un emploi" ; le droit au travail et le droit de travailler ce n’est pas la même chose ; dans un contrat les mots ont un sens précis et même s’ils sonnent pareil, leur signification peut être très différente ; la constitution française garantit le droit au travail, et donc le versement d’une indemnité si tu ne trouves pas d’emploi ; alors que le droit de travailler n’engage à rien, ni celui de chercher un emploi ... Tout ce texte joue sur les mots pour tromper le lecteur ; (comme dit l’ami Serge, c’est une escroquerie) (et comme dit l’ami Jean, c’est comme ton contrat d’assurance, tu payes et tu n’es jamais remboursée) ; et si tu avais lu ton contrat, tu aurais vu que ton indépendance économique disparaît avec ton mariage
C, T et G - comment ?
L - (sort de sa boîte) comment ?
M - d’abord, ton mari a tous les droits, article 6
L - "La Constitution et le droit adopté par les institutions de l’union, dans l’exercice des compétences qui sont attribuées à celle-ci, priment sur le droit des Etats membres"
M - ensuite, quand le contrat dit "compétence", il s’agit des domaines qui sont gérés par ton futur époux, même s’il est parfaitement incompétent dans ces domaines ... Or dans plusieurs domaines, il a une "compétence exclusive", c’est-à-dire qu’il est le seul à pouvoir prendre des décisions, article 13
L - "L’Union dispose d’une compétence exclusive dans les domaines suivants :
a) (lire "petit a") l’union douanière ; b) l’établissement des règles de concurrence nécessaire au fonctionnement du marché intérieur ; c) la politique monétaire pour les Etats membres dont la monnaie est l’euro ; d) la conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la politique commune de la pêche ; e) la politique commerciale commune"
C - encore un article incompréhensible !
M - non, non, c’est simple : c’est lui qui décide si le vendredi c’est sardine ou cabillaud (un temps) je plaisante ... plus sérieusement "union douanière", "règle de la concurrence", "marché intérieur", "politique commerciale", "politique monétaire", tu n’auras pas ton mot à dire sur ce que tu vends, ce que tu achètes, à quel prix, et encore moins sur quand, comment, à quelles conditions et pour quel salaire tu travailles ; quand à ton porte-monnaie, ce n’est même pas lui qui va le gérer ...
C - c’est moi, non ?
M - non, c’est une banque, la BCE, banque centrale européenne ; sans aucun contrôle, en toute indépendance, avec pour seule mission : réduire ton budget, limiter tes dépenses ; finies les frivolités, mais surtout les dépenses de santé, de retraites, ou d’éducation pour tes enfants, d’où les lois Douste-Balzy et Fillon ...
C - dis, t’exagères pas un peu, on dirait que je vais épouser un monstre !
T - est-ce que j’ai l’air d’un monstre ?
M - c’est pas un monstre, si t’es gentille, il te frappera pas ; il te donnera même peut-être du plaisir, si t’es pas trop exigeante ... tu sais, le mariage, c’est pour le meilleur ou pour le pire ...
G - vous voyez bien qu’elle délire ! N’AYEZ PAS PEUR ! Si vous dites oui, ce sera la paix, le bonheur, la prospérité, mais si vous dîtes non, ce sera la catastrophe, vous allez vous retrouvez toute seule, célibataire, isolée, comme une idiote ; et d’abord dans ce contrat il n’y a pas grand’chose de nouveau ; dans les précédents, comme celui qu’on appelle "traité de Nice", il y avait la même chose, et on l’a même amélioré !
M - voilà des arguments qu’on entend tous les jours, mais il faudrait savoir ! on te demande ton avis, mais si tu dis non t’es une idiote ; et en plus c’est la fin du monde, mais il ne faut pas avoir peur ; (au passage, moi, depuis que je suis célibataire, ça va beaucoup mieux, y’a pas qu’le mariage dans la vie : argument un peu souverainiste ...) ...et finalement : "il n’y a rien de nouveau" et pourtant "on l’a amélioré" ... (à G) ce fameux "traité de Nice" était si bien quand vous l’avez signé, et maintenant c’est une horreur ; (à C) ce qu’il y a de très nouveau, c’est que si tu dis oui, ton contrat aura une valeur constitutionnelle ; avant c’était le mariage avec la bague au doigt, cette fois, si tu dis oui, ta bague, ils vont te la tatouer, elle sera in-dé-lé-bile ...
Scène services publics
C (à T) : et tu pourras me rendre des petits services publics ?
T (charmeur) : mais bien sûr ma dinde, si tu dis oui, tu auras même droit à plus de services, qui te seront mieux garantis, des services petits et grands, juste pour tes beaux yeux ...
C (à M) : c’est chouette, t’entends ?
M (qui n’écoutait pas) : quoi ?
C (au public) : si je dis oui, j’aurais droit à plus de services, qui me seront mieux garantis, des services petits et grands, juste pour mes beaux yeux ...
M (espantée, au public) : il t’as dit ça ?
C (au public) : oui
M (au public) : et tu l’as cru ?
C (au public) : ben oui
M (en colère) : mais quel menteur !
C (au public) : pourquoi ?
M (au public) : Dans le texte il n’y a pas une seule fois l’expression service public !
G (au public) : objection ! (un temps, genre il savoure par avance ce qu’il va dire) l’expression y figure (même jeu) une fois ! (les autres réagissent en conséquence) : Article 238 . Il sonne.
L lit (vite) : "sont compatibles avec la constitution, les aides qui répondent aux besoins de la coordination des transports ou qui correspondent au remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public"
C : quoi ?
T : laisse tomber
M : vous pouvez relire plus lentement ?
L relit lentement : Article 238 "sont compatibles avec la constitution, les aides qui répondent aux besoins de la coordination des transports ou qui correspondent au remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public"
M & C en chœur (en se regardant) : "certaines servitudes inhérentes à la notion de service public" (au public) ça veut dire que ...
C (au public) : les services publics ... sont des servitudes ...
M (au public) : un esclavage ...
C (à M) : qui dit çà ?
M (à C puis au public) : c’est le point de vue des grands patrons, qui n’en tirent pas de profit et qui rêvent de liberté ... commerciale
C (au public, acquiesçant) : les renards libres dans le poulailler libre
M (idem) : bien sûr, depuis des années, les directives européennes, approuvées par nos gouvernements, poussent à la suppression des services publics
C (au public) : privatisation de France télécom, d’EDF-GDF, d’air-France, suppression des bureaux de poste, fermeture des écoles, menaces sur les hôpitaux de millau et de saint-affrique
T (aux deux) : mais vous exagérez, (au public) les services publics sont dans le texte, ils ont juste changé de nom
C : comment les appelle-t-on ?
G : les SIEG, service d’intérêt économique général
C (cette fois elle s’énerve, au public) : mais cela n’a rien à voir, "service public" et "service d’intérêt économique" ça ne veut pas dire la même chose ! (à G) pourquoi vous faîtes ça ?
G (le ton monte) : voyons mademoiselle, tout ces services publics, ces monopoles, ça coûte cher à l’Etat, c’est plein de fonctionnaires, ça n’est pas rentable, ni productif, il faut les mettre en concurrence, ...
M : ... non, les citoyens payent des impôts pour que l’accès de tous aux biens communs soit garanti. Mais depuis qu’ils sont gérés comme des entreprises privées, les abonnements du téléphone, de l’électricité et du gaz ont monté en flèche. l’eau est plus chère dans les communes où sa gestion est privée. aujourd’hui les gens en situation de précarité ne peuvent plus accéder à tous ces services pourtant essentiels, ils sont même virés de chez eux, et ce n’est pas la constitution européenne qui garantit le droit au logement !
C (se tourne vers T, fort) : tu me vendrais tes services ? à moi ta future femme ?
T : mais bien sûr que non, c’est ...(coupé) (sinon : un mensonge)
G : mais si voyons, soyez honnête avec votre future épouse, (au public) le mariage avec communauté des biens, s’est dépassé, maintenant, il faut être moderne : si on possède quelque chose qui de la valeur -marchande-, il faut le rentabiliser, le commercialiser
M (malicieuse, au public) : même votre sang, même son sperme, (à C) même tes ovules, et (au public) même nos gênes
C (atterrée) : mais c’est la marchandisation de tout ?
M (au public) ; elle va finir par comprendre !
Scène Oncle Sam
L : Chers auditeurs, voici l’heure de retrouver Jean Pierre Braillard, en direct du Palais Grognard pour les derniers cours de la Bourse ... ; G et T se sont retirés en fond de scène pour lire le journal, tapoter sur une calculette et téléphone-portabler
C (à M) : au fait, je ne t’ai pas parlé de mon tuteur, Oncle Sam
M : qu’est-ce-qu’il devient ?
C (au public) l’oncle Sam c’est de pire en pire. Il est devenu ultra religieux et très très violent. Il se dispute avec tout le monde. Depuis qu’il s’est fait agressé (à M) tu te souviens, c’était le 11 septembre 2001 (au public) il a pété un câble. Pour se venger, il a commencé par massacrer les amis et les voisins de son agresseur ..
M : il l’a retrouvé ?
C : non, toujours pas ; par contre il s’en est pris à un autre voisin, sous prétexte qu’il le menaçait avec des armes de destruction massive
M : et c’était pas vrai ?
C : non, il appelle ça la guerre préventive, et il dit que c’est un problème de religion ; mais c’est un prétexte, en réalité le voisin a plein de pétrole, et tu connais oncle Sam, il voulait mettre la main dessus.
M : vu l’état des réserves de pétrole sur la planète, c’est un bon calcul
C : c’est-à-dire ?
M : ben, on n’en a plus que pour 40 ans, et la crise commence déjà ; à plus de 50 dollars le baril, il y a du bénéfice à faire ...
C : en tout cas, moi je ne veux pas le suivre dans cette histoire ; il n’arrête pas de me demander de l’aide, et moi j’essaie de lui expliquer qu’on peut régler ces questions par la justice et les négociations. Mais il me rétorque toujours que seule la force fait plier l’adversaire. Moi je crois encore aux solutions pacifiques.
T (qui a écouté attentivement cette dernière réplique) : justement, ma dinde, si tu me dis oui, tu seras indépendante de ton oncle, je te rends ta liberté ; à deux (avec nos 25 enfants) nous serons plus forts que lui, mon entreprise commerciale est déjà meilleure que la sienne, et avec mes euros, nous battrons ses dollars, ainsi nous pourrons lui imposer notre point de vue
M : ne l’écoute pas , il continue à mentir, dans ton contrat, cette fameuse constitution, il y a l’article 41-2
L : article 41-2 "la politique de l’union n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains états membres, elle respecte les obligations découlant du Traité de l’Atlantique Nord pour certains Etats membres qui considèrent que leur défense commune est réalisé dans le cadre de l’OTAN ...". (pendant ce temps, T sort son foulard pour s’essuyer le front, quand C se retourne vers lui, il le range avec maladresse,mais elle voit le drapeau américain, devient colère et prend de la distance)
M : et l’alinéa 7 en rajoute une couche : tu seras soumise aux choix de l’OTAN, autant dire, de l’oncle Sam
C (à T) : c’est pas vrai çà ?
T : mais non, c’est faux, archifaux, tu le sais bien, ensemble nous serons plus fort, plus concurrentiels
M : c’est ce que tu veux, dis, être concurrentielle ? tant pis pour les droits, les libertés, si tu es concurrentielle et flexible ! et si tu choisissais une autre voie, on peut être heureux sans accumuler des cochonneries, en limitant les dépenses, en évitant le gaspillage, la pollution et les déchets ; penses à tes futurs enfants, quelle vie tu veux leur réserver ?
Scène des libertés fondamentales
M - mais ce qui me fait le plus peur avec cette Constitution, c’est ce qu’ils ont fait des libertés fondamentales
C - et qu’est-ce qu’ils veulent en faire ?
M - pour toi, c’est quoi les "libertés fondamentales" ?
C - (elle répond en réflechissant) ben, la liberté d’expression ... la liberté d’opinion, le droit de se réunir ... de participer à la vie politique
M - alors, écoute ... Monsieur Traité Constitutionnel ? / ou Monsieur Giscain d’Estard ?
T - oui ?
M - dites-moi, les libertés fondamentales, elles figurent dans le contrat ?
T - mais bien sûr voyons et en bonne place, dès l’article 4
M - ah, vraiment ?
T - écoutez donc, article 4-1
L - "Libertés fondamentales : la libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux ainsi que la liberté d’établissement sont garanties par l’Union et à l’intérieur de celle-ci" (blanc)
C - et la suite ?
M et T en même temps - c’est tout
M - tu vois !? tu auras le droit de suivre ton petit mari, avec son carnet de chèque, son assurance-vie et ses valises dans tous les pays européens, et de créer votre petite entreprise en Hollande ou en Pologne, c’est chouette, non ? quant à tes libertés d’opinion, d’expression ou de réunion, elles sont dans la seconde partie, celle où rien n’est garanti ; plutôt que de l’appeler Charte des droits fondamentaux, on devrait la baptiser "déclaration des droits de la marchandise et du capital" ; l’homme et le citoyen, c’est ringard ...
Scène finale
C (à un moment où elle commence à trouver que ça tourne mal pour ses droits et que le public se lasse) : est-ce-que j’aurai le droit de divorcer ?
T : t’es pas encore mariée, tu penses déjà à divorcer ?
C : (au public, montrant qu’elle commence à avoir beaucoup de réticences) on ne sait jamais ...
T : (genre disque rayé) mais ma biche, la question ne se posera pas, tu verras, ce sera tellement bien toi et moi, la paix, le bonheur, la prospérité
M : (le coupe et s’adresse au public) de toute façon tu ne pourras pas divorcer ; tu as seulement le droit de te marier et de fonder une famille - article 69 ; avec ce traité constitutionnel, en réalité, tu perds tes droits. Certains de tes droits sociaux seront même anticonstitutionnels !
C (au public) : mais est-ce-qu’on ne pourra pas changer en cours de vie, améliorer le texte ? c’est ce qu’il disent à la télé, ça doit être vrai
M (au public) encore un mensonge !
G (au public) pardon, mais il y a plusieurs procédures de révision de la constitution
M (au public) : ah oui ? l’article 443 ?
L (sort de sa boîte et lit :) "procédure de révision ordinaire :
1. Le gouvernement de tout État membre, le Parlement européen ou la Commission peut soumettre au Conseil des projets tendant à la révision du présent traité. Ces projets sont transmis par le Conseil au Conseil européen et notifiés aux parlements nationaux.
2. Si le Conseil européen, après consultation du Parlement européen et de la Commission, adopte à la majorité simple une décision favorable à l’examen des modifications proposées, le président du Conseil européen convoque une Convention composée de représentants des parlements nationaux, des chefs d’État ou de gouvernement des États membres, du Parlement européen et de la Commission. La Banque centrale européenne est également consultée dans le cas de modifications institutionnelles dans le domaine monétaire. La Convention examine les projets de révision et adopte par consensus une recommandation à une Conférence des représentants des gouvernements des États membres telle que prévue au paragraphe 3.
Le Conseil européen peut décider à la majorité simple, après approbation du Parlement européen, de ne pas convoquer de Convention lorsque l’ampleur des modifications ne le justifie pas. Dans ce dernier cas, le Conseil européen établit le mandat pour une Conférence des représentants des gouvernements des États membres.
C (le coupe, au public) : en clair ?
M - (au public) : en clair, la procédure de révision est longue et complexe, et nécessite l’accord des 25, autant dire que toute révision sera impossible, et comme le dit l’article 446
L - "le présent traité est conclu pour une durée illimitée"
C - (reste un moment sans voix puis, au public) : je récapitule : il est séduisant, il parle bien, il me promet la paix, le bonheur et la prospérité, mais il ne me garantit aucun droit, ni aucune liberté, aucun service gratuit mais l’ingérence permanente de l’oncle Sam dans nos affaires, alors aidez-moi, je dis oui ou je dis NON ?