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Le Libéralisme contre la République

lundi 13 juin 2005

L’expérience de la crise de la République romaine, il y a déjà plus de 2000 ans, révèle une leçon frappante sur la menace du libéralisme commercial sur le tissu économique et social des démocraties. Cette épisode de l’Histoire éclaire d’un nouveau jour le danger sur la civilisation que représente la Constitution Européenne aujourd’hui.

Le débat sur l’Europe n’est pas seulement une polémique sur un traité à adopter ou à dénoncer, et qui rend nécessaire une lecture détaillée et contradictoire, mais un débat sur les valeurs qui fondent le Contrat social des français.
Et finalement on peut dire que les français se montrent à la hauteur de la situation et se révèlent aptes à répondre à une question si importante qu’elle engage définitivement leur avenir en tant que peuple. Il faut dire qu’à travers les rédactions successives d’un même texte portant sur « La Communauté Européenne » se dessine chaque fois d’avantage le douteux projet d’éclatement de l’identité française et la ruine de la Nation.

On pourrait dire et croire que la nation française appartient au passé et que l’idée de souveraineté d’un peuple n’est pas de celles qui ouvrent la voie du progrès et de l’avenir. Mais une réflexion plus soutenue et fondée sur l’expérience du passé - le cas de la civilisation romaine par exemple - nous démontre qu’une « Grande Europe » fondée sur le libéralisme serait plutôt la voie de la décadence et le suicide de la civilisation que celle de l’avenir de prospérité et de Paix dont on fait la propagande.

Il suffit pour cela de démontrer que le libéralisme en tant que doctrine économique ne saurait survivre de ses contradictions originelles et que les valeurs fondatrices de la démocratie, de la justice et de la paix sociale ne peuvent exister en dehors de la République et de la volonté d’un peuple souverain.

Le libéralisme antique et moderne

Premièrement on peut dire que la mode du Libéralisme n’est pas nouvelle. Sous la République entre 509 à 31 av. J-C, les riches romains investissaient dans des entreprises en recherchant de gros intérêts [1], les sociétés par actions existent déjà [2], la banque et la spéculation également [3] L’activité bancaire est étroitement vérifiée par l’Etat.

L’économie romaine bascule au moment des grandes conquêtes.
Les trésors, les esclaves, les ressources minières ou agricoles et les autres marchandises vont bientôt converger vers la petite république romaine et faire éclater l’économie citoyenne basée sur l’agriculture familiale et l’artisanat.

De riches aristocrates et de gros propriétaires se sont lancés dans le commerce et la spéculation, alors que la classe moyenne se retrouve décimée par ces guerres de conquête coloniale. De plus ces petits propriétaires n’ont souvent d’autre ressource que d’emprunter pour remettre en état des champs tombés en friches durant leur absence. Mais la concurrence des céréales d’importation fait chuter les prix et ils doivent voir leur propriété saisie faute de pouvoir rembourser. Ceux qui n’avaient pas emprunté doivent également vendre leur terres à vil prix faute de pouvoir vendre leur production au-dessus du prix de revient. Ils se retrouvent pour la plupart ruinés et forcés de partir vers les centres urbains pour travailler comme ouvriers. Leurs terres sont rachetées et tombent entre les mains de grands propriétaires.

Mais le problème n’est pas résolu pour autant. Sur les ports sont déversés des foules d’esclaves et des masses de marchandises. De gros commerçants offrent une main d’oeuvre bon marché et des marchandises à un coût inférieur au prix normal. C’est une nouvelle concurrence qui détruit l’activité artisanale et industrielle après l’activité agricole des citoyens. Ceux-ci se retrouvent au chômage forcé, réduits à offrir leurs services à ceux qui précisément sont la cause de leur ruine, les spéculateurs, les propriétaires et les commerçants qui sont maintenant archi-millionnaires et envisagent une brillante carrière politique. « Les petits propriétaires de naguère n’ont eu d’autre ressource que de chercher un « patron » parmi ceux qui les ont réduits au chômage ». [4]

Donc pour résumer la notion de Libéralisme, c’est-à-dire cette liberté du commerce et la mise en concurrence « libre et non faussée » du système économique, n’est pas nouvelle.
Il reste à savoir quels en sont les paradoxes destructeurs.

Le philosophe Karl Marx dans sa théorie du Capital développe l’idée selon laquelle le Capitalisme par sa recherche de nouveaux marchés et de plus gros revenus, abouti à la concentration financière d’une part et à la ruine de l’économie réelle de l’autre. C’est-à-dire plus le système libéral évolue, plus il accumule les moyens de production mais moins il se développe en raison de la baisse constante des taux d’intérêt et du rétrécissement du marché. L’exploitation du travailleur ne lui permet pas de récupérer cette contrepartie équitable de son travail qui lui permettrait d’acheter sa propre production et maintenir un commerce équitable.

Pour lui ce capitalisme « c’est la guerre ». Une guerre sociale par la fracture de la société entre riches qui ne dépensent plus assez et pauvres qui ne peuvent plus travailler, et c’est une guerre impériale entre blocs qui aspirent à la conquête de nouveaux marchés [5].

L’économiste Keynes qui se veut « infirmier du Capitalisme » a vu dans les grandes crises libérales les limites réelles du système. Il propose de « relancer » la production par le soutien artificiel de la demande solvable via l’intervention de l’Etat dans le circuit de l’activité économique et de la monnaie. C’est la naissance, grâce à des ouvriers mieux payés, des fonctionnaires plus nombreux, des syndicats puissants chargés de défendre le pouvoir d’achat et de grands chantiers publics, de cette « société de consommation » qui offre les remarquables années de prospérité et de paix social de la deuxième partie du XX siècle.

Mais cette situation de prospérité reste bien précaire puisque dans la réalité on a vu dés les années 80 une résurrection de ce libéralisme que l’on croyait condamné et son retour en force dans le lot des théories économiques susceptibles de recevoir une application politique. Cette résurrection n’a été possible que par l’oubli de la mémoire collective des réalités d’une crise libérale, de ses conséquences pour les populations. Et on a présenté avec constance l’ouverture au commerce international et l’acceptation de règles morales plus relâchées, d’une course au profit égoïste, immédiat et maximum sinon de la corruption comme des signes du « progrès » et de « modernité ».

Le plus étrange dans cette résurrection, c’est que ce libéralisme n’est plus une arme de domination de l’Europe, mais semble vouloir être utilisée contre les peuples européens par ceux qui ont été autrefois victimes de cet impérialisme économique. Depuis l’instauration d’un salaire minimum et de puissants syndicats ouvriers, il n’est plus possible faire de dumping commercial depuis les pays occidentaux, mais le fort pouvoir d’achat en font des marchés attractifs pour dégager de grosses plus-values. Des marchés mondiaux, c’est celui de l’Europe qui reste le moins résistant aux tentatives de conquête et qui offre des opportunités les plus lucratives.

Il semble alors y avoir un retournement de la stratégie « libérale » puisqu’il s’agit de la conquête du marché européen et que l’enjeu reste celui de la déstabilisation et la prédation de l’économie actuelle.
Mais il s’agit d’une seule et même situation puisque le libéralisme fonctionne, on l’a vu chez les Romains, uniquement en terme de conquête de main-d’œuvre et de marché par le commerce des marchandises ou de services, dans l’unique projet d’un rendement maximum. On peut même envisager la négociation diplomatique, ou la conquête militaire ou un coup d’Etat contre une république comme un service fait à la cause du libéralisme en vue de l’ouverture et la garantie d’accès à certains marchés.

Faudrait-il voir le Traité d’une Constitution pour L’Europe, en tant qu’elle interdit la protection tarifaire, le système de quotas et en général le contrôle des importations et des capitaux [6], et qu’elle garantie et valorise, en tant qu’objectif et fin en soi, l’instauration d’une concurrence « libre et non-faussée », comme « un service » rendu aux puissants agents du Libéralisme ?

"Peut-être !" nous dira-t-on... "Mais en quoi cette économie libérale serait-elle contraire aux valeurs républicaines ?"

Le renversement de la République

Pour répondre à cette question il faut reprendre en compte l’expérience dramatique de l’histoire romaine.

Aucune réforme politique n’a réussit à Rome à reconstituer une classe moyenne sur la base de la propriété. Or le droit de citoyen libre n’a pas suffit pour maintenir un niveau de vie satisfaisant et bloquer le glissement du peuple vers la misère et l’assistanat.

La pression constante des importations a rendue vaine toute politique de redistribution des chefs plébéiens. La tentative des Gracchus de rétablir une classe moyenne par une réforme agraire se solde par un échec.

Mais l’essentiel du pouvoir est soustrait aux assemblées populaires pour être mis au service de l’ambition et de la démagogie. La réplique « Que demande le peuple ? - Du paix et des jeux » correspond bien à cette période où le blé des provinces, d’abord vendu par l’administration au peuple à prix coûtant, puis à perte, sera bientôt distribué gratuitement. Le ravitaillement en céréales coûte en 46 av. J-C prés de 77 millions de sesterces. C’est une sorte de RMI pour l’époque qui pèse de plus en plus lourd sur les finances publiques.

On voit ici la perte de la dignité humaine à la fois dans sa cause et ses conséquences politiques. Les citoyens n’ont d’autres recours pour survivre que de vendre leurs suffrages et défendre la candidature de leur « protecteur ». Par ces manifestations parfois violentes, on dira de ces hommes libres : « Tourbe qui a perdu tout esprit civique et dont les suffrages vont au plus offrants » [7].

Cette lutte pour la conquête du pouvoir politique, se perpétue par la violence jusqu’à la guerre ouverte entre les chefs de partis [8].

Sous l’effet de cette crise sociale, la guerre civile et la dictature, imposent alors un pouvoir plus centralisé et autoritaire, reposant essentiellement sur les familles influentes et sur l’armée de métier.
C’est la fin de la République romaine qui aura duré presque cinq siècles et réalisé la « pax romana » par les plus grandes conquêtes. Mais les difficultés ne cessent pas sous l’Empire puisque les causes restent les mêmes.

Ainsi, sous l’Empire, la grande difficulté des administrateurs sera de financer les charges nouvelles qui s’ajoutent au poids des autres dépenses ; frais du culte d’Etat ; dépense militaires croissantes puisque avec la fin de la conscription des citoyens, il faut recruter des mercenaires ; coût des indemnités des magistrats ; financement des travaux publics et de l’entretien des infrastructures (env. 20 % des impôts) ; le ravitaillement en céréales, etc.
L’Etat trouvant la plupart de ses revenus dans les droits de douane et de l’impôt payé par ces entreprises et ces colonies qui sont à l’origine de la déstabilisation économique et comme l’impôt sur le revenu est inexistant [9]
, on comprend pourquoi les autorités ont encouragé l’importation et le libéralisme commercial et négligé de fait la perte de revenu des travailleurs citoyens. [10]

Les valeurs républicaines sont bel et bien compromises par le libéralisme économique qui sape, par la concurrence du travail : le fondement économique des familles modestes. Il remplace par la misère, l’assistanat ou la criminalité : l’indépendance, la morale, la responsabilité et l’esprit civique des citoyens. Il favorise ainsi la fracture sociale et la conquête du pouvoir par des élites enrichies par la spéculation ou la corruption au dépens de l’intérêt général du peuple.

C’est bientôt la naissance de la féodalité puisque les grandes familles fuiront elles-mêmes l’impôt et s’établiront, avec leurs serviteurs sur des domaines agricoles, loin des centres urbains laissés à l’abandon.

Un réveil de la démocratie est nécessaire

Pour nous un sursaut démocratique est la dernière chance pour l’avenir, pour le maintien de la stabilité économique et de la paix sociale.

Il n’est jamais trop tard pour garder ou rétablir la souveraineté de la loi sur les affaires intérieures de notre pays. Et c’est une loi qui soit l’expression réelle de la volonté du peuple qu’il faut faire respecter.

De plus il est souhaitable et nécessaire de voir émerger un contre-projet pour sauvegarder la démocratie et la République de la crise sociale et de l’anarchie libérale.

Il s’agit dans un premier temps de contrecarrer le discours hypocrite et trompeur des propagandistes du libéralisme. Non ! Cette vision du monde n’est pas valable. Elle a déjà montré ses limites et ses horreurs. Elle est une impasse de la civilisation humaine, une contradiction de la culture humaniste.

Dans un deuxième temps nous avons besoin d’un sursaut républicain et en particulier d’une réforme fondamentale qui, par le moyen de la démocratie directe et notamment par l’institution d’une procédure de référendum à initiative populaire, permettra « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ».

Le but est ici de rendre le peuple responsable :

- des institutions de la démocratie locale, régionale et nationale ;
- d’une nouvelle charte des droits et des devoirs du citoyen ;
- du contrôle par le peuple des lois, des traités et des choix politiques fondamentaux ;
- du choix d’un programme économique qui permettra de dessiner en toute indépendance un modèle économique viable conforme à ses ambitions et à ses valeurs ;
- d’une politique internationale de neutralité, favorable au dialogue, à la non-prolifération nucléaire et au désarmement multilatéral.

C’est un projet de société qui devra remettre des priorités sur :
- Le développement durable, la réduction des pollutions, l’économie d’énergie ;
- La recherche scientifique théorique et pratique pour valoriser le potentiel de développement français ;
- Une économie sociale orientée vers le développement intérieur grâce à la protection raisonné de l’économie nationale. La réévaluation des droits de douane, des quotas d’importation ayant pour objectif la re-industrialisation et la protection de l’activité agricole, industrielle ou artisanale, et commerciale favorable à une prospérité équitable de tous les citoyens et de leurs entreprises ;
- Des services publics qui tiennent en compte d’un certain équilibre entre les recettes et les dépenses publiques, qui permettent une certaine redistribution du revenu national et l’exécution des politiques et programmes d’intérêt général ;
- Une mobilisation citoyenne tant dans une force militaire de défense territoriale, que dans une force civile mettant en oeuvre des programmes de sécurité et de protection civile ;
- Une vie culturelle positive et valorisante comme message d’espoir et de fraternité.

Doit-on préciser qu’il est urgent de résister aujourd’hui contre tout projet d’économie libérale imposant la soumission de la France aux dogmes faux et criminels de « la concurrence libre et non-faussée » et de la « liberté de circulation des personnes et des biens » ? C’est bien le leitmotiv d’une mondialisation de l’économie et l’ouverture des ports et du marché au profit d’une minorité égoïste et crapuleuse qui se moque de réduire au chômage et à la misère la majorité des citoyens !

D’ailleurs il est intéressant de noter que « l’économie sociale de marché » que l’on veut nous imposer n’est qu’une version dévoyée et tronquée du projet de la résistance allemande. Quant à la résistance française et au Comité National de la Résistance français ses membres avaient bien compris que l’enjeu de la Paix était dans le projet de réaliser un modèle de société opposé au libéralisme. Ici le projet de résistance devient alors résistance à l’oppression du citoyen par « les grandes féodalités financières » qui ont contribué à la crise sociale et politique. Nous n’oublierons jamais que ces grandes entreprises s’accommodent bien de la tyrannie absolue, et on les a vu profiter pendant la guerre de la main d’oeuvre des camps de concentration, pour poursuivre leurs activités industrielles et commerciales toujours financièrement profitables et sécurisées.

Souvenons-nous de la Rome antique pour en éviter les erreurs ! Et du temps qu’il a fallu supporter l’esclavage des puissants pour en refuser les chaînes !


Texte publié le 1 avril 2005 sur http://marseille.naros.info


[1Caton l’Ancien place sa fortune et la fait fructifier dans le commerce maritime. Homme politique romain (234-149 av. J.-C.) Également surnommé Caton le Censeur. Le livre qu’il écrivit pour son fils Marcus sur l’Agriculture est le premier modèle des encyclopédies romaines que nous possédions. On lui doit aussi la célèbre formule latine "Delenda quoque Carthago" ("et en outre, il faut détruire Carthage"), qu’il répétait inlassablement dans ses discours.

[2A l’origine les sociétés par action se développent dans le fermage de l’Impôt, puisque qu’il faut réunir l’avance faite à l’Etat de la somme à percevoir, qu’il s’agit ensuite de récolter en pressurant la population.

[3Les opérations bancaires sont l’oeuvre de spéculateurs privés. Elles portent sur le contrôle et le change des monnaies, sur le prêt à intérêt, des dépôts et le placement des fonds. Des virements peuvent s’effectuer de banque à banque et de ville à ville.

[4Georges Hacquard, Dautry et Maisani, Guide Romain Antique, ed. Hachette.

[5Malgré les critiques notamment sur la vision philosophique et matérialiste on s’étonne de la remarquable pertinence de la réflexion sur l’actualité de la société libérale. On peut facilement relier les deux guerres mondiales et les problèmes du XXème siècle à une crise capitaliste. Celle liée à la conquête des marchés coloniaux et une crise financière et sociale récurrente

[6Voir le système ClearStream et autres chambres de compensation, ainsi que l’indépendance d’une Banque Centrale et les compétences monétaires des autres banques sont dégagés du contrôle de l’Etat. C’est ce qui conforte l’idée d’une volonté de soustraire les capitaux au contrôle et à la régulation fiscale.

[7Cit. Humbert

[8« Depuis longtemps, toutes les richesses de toutes les nations sont tombées entre les mains d’un petit nombre d’hommes. » Cicéron.

[9Il faut également ajouter que sous la République romaine les comptes de l’Etat sont soigneusement tenus mais aucune balance des dépenses et des recettes n’a jamais été tenue. Une attitude étrange à rapprocher de celles des finances en France qui s’autorisent des déficits sans tenir compte des recettes. Caton l’Ancien disait : "le peuple ne veut pas que les magistrats soient économes".

[10Seule une dîme est payée par les non-citoyens des provinces conquises. C’est « l’impôt de César » de la Bible. C’est une justification de la conquête coloniale et de l’activité économique des colonisés (qui concurrence le peuple romain), mais aussi une cause de troubles et de dépenses militaires supplémentaires.

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