Comme l’ont démontré les commentaires entourant le 60ème anniversaire du bombardement de Hiroshima et Nagasaki, l’Occident, et principalement l’Occident francophone semble avoir tout oublié du contexte dans lequel se sont inscrit ces événements.
En cette époque où les visées expansionnistes et les convictions racistes de Hitler sont constamment remémorées par quelque rélisateur de film, auteur de roman ou pamphlétaire, celles de Hiro Hito sont totalement passées sous silence. Pire encore, il s’en trouve maintenant bon nombre pour prétendre que le Japon ne fut qu’une "pauvre victime" du méchant américain et que son gouvernement, qui n’avait "jamais causé le moindre tort à des populations civiles", fut traitreusement dupé par le géant étatsunien...
Le monde francophone, qui n’a pas eu à pâtir des exactions japonaises, s’insurge donc à grands cris contre "la barbarie américaine". Cela est surtout vrai pour la génération manga qui s’est laissée bernée par la vision révisionniste d’un pays qui, contrairement à l’Allemagne, n’a jamais dédommagé ses victimes et qui, maintenant qu’il lorgne un siège au conseil de sécurité des Nations Unies, s’excuse du bout des lèvres d’avoir commis "des actes regrettables".
Mais quels sont ces "actes regrettables" ? Dans quel contexte les bombardements atomiques se sont-ils produits ?
LES ATROCITÉS JAPONAISES
Les atrocités japonaises débutent en 1932 avec l’invasion de la Mandchourie. Aussitôt installée, l’armée japonaise y met en place à Harbin l’unité 731, un département de récherche bactériologique. Avec les succès de la conquête, d’autres unités seront notamment constituées à Nanking, Xinjing, Guangzhou, Beijing, Singapour et Hiroshima.
Crée par décret impérial et dirigé par Shiro Ishii, ce département avait pour mandat de développer des armes bactériologiques afin de les utiliser contre les pays voisins. Les maladies principalement étudiées étaient la peste, le choléra et la typhoïde. Les sujets des expérimentations étaient des prisonniers, en majorité des civils chinois, coréens ou russes, dont des femmes et des enfants, appelés marutas (billots). Dans ces laboratoires-prisons qui pouvaient contenir plusieurs centaines de prisonniers, on procédait également à des tests sur l’impact du froid sur le corps humain. La vivisection était le sort ultime de chaque prisonnier.
En raison d’un pacte conclu avec Douglas MacArthur, Shiro Ishii et son équipe ne furent jamais accusés de crimes de guerre ni même cités à comparaitre au procès de Tokyo. Ce pacte avait pour objet de permettre à l’armée américaine de saisir les résultats des recherches menées sur les cobayes humains afin de les utiliser éventuellement contre
le nouvel ennemi soviétique. L’URSS condamna quant à elle quelques bourreaux des unités 731 et 1644 dans un procès tenu en 1949 à Khabarovsk.
L’unité 731 sombra ainsi dans l’oubli jusqu’en 1993 où une exposition itinérante basée sur des documents à nouveaux accessibles se mit en branle au Japon. Lors de cette exposition, d’anciens membres de l’équipe de Ishii ainsi que des kempeitai témoignèrent de leurs crimes. En voici quelques extraits rapportés dans l’ouvrage de Hal Gold : "Unit 731 Testimony" 2004
Nakagawa Yonezo, médecin : "(Lors de mon stage préparatoire) l’instructeur nous apprit qu’il fallait procéder à des tests expérimentaux sur des humains. Dans un des films projetés on y injectait de l’air comprimé dans les bras de sujets pour en vérifier les effets sur la circulation sanguine. Le film montrait la condition progressive des victimes et leurs souffrances jusqu’à la mort. Certaines expérimentations n’avaient rien à voir avec la recherche bactériologique, C’était une simple curiosité professionnelle : Qu’arrivera-t-il si nous faisons ceci ou cela ? C’était simplement du divertissement. Les professionnels aiment jouer aussi."
Kurumizawa Masakuni, médecin-biologiste : "Nous étions en train de disséquer une chinoise enceinte. Elle était anesthésiée et avait le ventre ouvert. Soudain, elle ouvrit les yeux et se mit à hurler : Mon enfant ! Mon enfant ! Tuez-moi mais sauvez mon enfant ! Elle est morte et son enfant aussi évidemment."
Yoshimura Hisato, médecin : "J’ai pris un bébé de 3 mois et je lui ai planté une aiguille-thermomètre dans le bras. Après, je l’ai plongé dans l’eau glacé et j’ai observé les variations de température jusqu’à ce qu’il meurre."
Yuasa Ken, médecin : "Avec moi, des dizaine de milliers de médecins ont pratiqué des vivisections. La majorité d’entre eux sont encore vivants au Japon. La plupart ont tout oublié...On dit qu’il y a eu environ 20 millions de morts en Chine mais seulement 10 à 20 pour cent ont été tués par des tirs de fusil. La plupart, des vieillards, des femmes et des enfants ont été capturés et torturés...Tout le monde a oublié aujourd’hui. J’ai demandé à mes collègues s’ils avaient des cauchemars pour ce qu’ils avaient fait et personne ne semble s’en soucier."
Comme le Japon ne se sentait pas lié par la Convention de Genève, les prisonniers étaient traités comme des larves. Une description exhaustive des crimes de guerre commis contre les populations civiles ou dans les camps de prisonniers serait fastidieuse. L’ouvrage classique "The knights of Bushido" de Edward Russell of Liverpool écrit en 1958, faisant notamment référence aux pratiques documentées de cannibalisme, en constitue un compendium exhaustif. Un événement toutefois mérite une attention particulière en raison de la qualité de sa documentation : le massacre de Nanking.
En décembre 1937, après avoir lancé l’invasion à grande échelle de la Chine, l’armée japonaise se trouva aux portes de la capitale, abandonnée par l’armée de Tchang-Kai-Cheik. Sous les ordres du prince Asaka, oncle de Hiro Hito, les soldats s’y livrèrent à un carnage qui dura près de 5 semaines. Au moins 200 000 hommes, femmes et enfants furent éventrés, égorgés, violés sous les yeux impuissants des observateurs occidentaux retranchés dans le quartier international. Après le massacre, Hiro Hito convoqua son oncle et le félicita d’avoir accompli "un extraordinaire exploit millitaire". Les photos qui accompagnent cet article décrivent ce "fait d’armes", raconté en détail notamment dans "The rape of Nanking" de Iris Chang 1998.
- cadavres d’enfants de Nanking 1937
LES BOMBARDEMENTS NUCLÉAIRES
Il est maintenant d’usage auprès d’une certaine élite intellectuelle de blâmer le gouvernement américain et de le tenir pour seul responsable des bombardements de Hiroshima et Nagasaki. La chronologie des événements après les test d’essai d’Alamogordo est toutefois révélatrice de la part de responsabilité qui doit être assumée par chacun.
1) 16 juillet-ultimatum lancé par les alliés à Postdam demandant une reddition sans condition des forces japonaises.
2) Dissensions entre le nouveau premier ministre Suzuki et les chefs millitaires sur les suites à donner à l’ultimatum. Refus de Hiro Hito d’abdiquer en faveur de son fils en dépit des pressions de ses frères et oncles. L’ultimatum est "ignoré" (mokusatsu).
3) Intensification par l’armée nipponne des mesures de représailles à l’encontre des populations civiles des pays conquis ainsi que des prisonniers de guerre. Directives du général Aozu considérant acceptable le cannibalisme des prisonniers afin d’économiser les vivres.
4) 30 juillet- début des raids aériens sur le Japon. Hiro Hito s’accroche au pouvoir et mate un mouvement de rébellion dirigé contre les bellicistes.
5) 6 août- bombardement de Hiroshima. Suzuki fait part de sa volonté de capituler au conseil de guerre qui refuse et choisit de ne pas divulger la nouvelle du bombardement pour ne pas démoraliser le peuple. Hiro Hito tente d’obtenir des E-U la garantie qu’il ne sera pas obliger d’abdiquer.
6) 8 août- déclaration de guerre des soviétiques.
7) 9 août- bombardement de Nagasaki et début de l’invasion soviétique en Mandchourie.
8) 14 août- Devant le nouveau refus du conseil des ministres d’accepter la capitulation , Suzuki en appelle à Hiro Hito qui, ayant reçu l’assurance des E-U qu’ils lui permettront de conserver son trône, informe son cabinet de sa décision d’accepter l’ultimatum de Postdam.
6) 15 août- mutinerie rapidement écrasée des millitaires bellicistes qui accusent le gouvernement Suzuki de "tromper l’empereur". Discours de reddition de Hiro Hito. Fin du cauchemar pour des milliers de prisonniers de guerre comme le canadien Roger Cyr qui déclare : "Si la guerre avait duré 3 ou 4 mois de plus, aucun d’entre nous n’en serait sorti vivant."
Comme l’a déclaré Hideki Tojo au procès de Tokyo : "Personne n’aurait osé contredire l’empereur." Les faits démontrent clairement que Hiro Hito possédait le pouvoir de mettre un terme à la guerre bien avant les bombardements nucléaires. L’empereur a eu toutes les chances d’empêcher ces bombardements. Il a pourtant choisi de ne pas le faire afin d’obtenir les garanties suffisantes pour conserver son trône. La simple décence lui recommandait d’abdiquer en faveur de son fils, mais Hiro Hito était prêt à sacrifier son peuple pour s’accrocher au pouvoir.
LES CONSÉQUENCES DU NÉGATIONNISME
Grâce à la complicité de MacArthur, obsédé par sa candidature présidentielle et la lutte contre le communisme, la famille impériale et la majorité des criminels de guerre japonais ont échappé à la justice internationale. Certains ont même atteint les plus hautes fonctions comme Nobosuke Kishi, le ministre responsable des travaux forcés, élu premier ministre en 1957.
Contrairement à l’Allemagne, le Japon n’a jamais offert d’excuses officielles à ses victimes et encore moins de dédommagements. Aujourd’hui encore, la majorité des politiciens nie l’existence du massacre de Nanking et minimise le dossier des prostituées forcées et des expérimentations sur les humains. Alors que le chancelier allemand célébrait la fin de la seconde guerre en réaffirmant au nom de son gouvernement son aversion envers "l’horreur nazie", le premier ministre japonais se contentait de s’excuser à titre personnel pour "les actes regrettables" commis par son pays et ce, après avoir rendu hommage aux criminels de guerre reconnus comme Tojo lors de son pélerinage annuel au sanctuaire de Yasukuni. Peut-on imaginer le chancelier allemand rendant hommage à Goering ou Himmler ?
Quant aux recours civils entrepris par les victimes de l’agression nippone, ils se heurent à une fin de non-recevoir du gouvernement japonais qui va jusqu’à manipuler les manuels scolaires pour masquer la vérité. Pire encore, ce même gouvernement utilise les mouvements pacifistes internationaux pour tenter de démontrer que le Japon n’est qu’une victime innocente de la guerre.
Il serait grotesque et malsain d’approuver les bombardements de Hiroshima, de Nagasaki, de Dresde et de Berlin sous prétexte qu’ils ont été faits au nom de la liberté. Il est toutefois aussi déplorable de blâmer unilatéralement les E-U pour les bombardements nucléaires et de se faire le jouet des négationnistes japonais. Au nom des victimes de criminels comme Hiro Hito, Ishii et Asaka, les pacifistes doivent cesser de s’attarder au caractère spectaculaire de ces bombardement en escamotant le contexte des événements.
Les bombes atomiques ont été lancées et cela ne doit pas se reproduire. Aujourd’hui toutefois, des survivants de la barbarie japonaise demandent excuses et réparation et leur action ne doit pas être entravée par les intentions louables des porte-parole de la paix. Il faut regarder par-delà le reflet de nos craintes personnelles et exprimer notre solidarité envers toutes les victimes peu importe leur nationalité.
- soldat japonais avec une tête tranchée 1937
Sites d’intérets et bibliographie :
Sur l’abominable expérience du vétéran canadien Roger Cyr dans un camp de prisonnier japonais : http://www.waramps.ca/heritage/2e/f...
Sur Hiro Hito : Sterling and Penny Seagrave, The Yamato dynasty 1999 et Herbert P. Bix Hiro Hito and the making of modern Japan 2001
Sur la propagande impériale : Barak Kushner The tought war 2005
Sur Shiro Ishii : Daniel Barenbatt, A plague upon humanity 2004 et Sheldon H. Harris, Factories of death : Japanese biological warfare 2001 ainsi que le documentaire de Serge Viallet Kizu : les fantômes de l’unité 731 www.
Sur le négationnisme dans les manuels scolaires et les manga : Japon : l’offensive des négateurs de l’histoire http://www.amnistia.net/news/articl... http://www.monde-diplomatique.fr/20...
Sur le massacre de Nanking : Joshua A. Fogel The Nanjing massacre 1997, John E. Woods The good man of Nanking, the diaries of John Rabe 1998, Hua-Ling Hu American goddess at the rape of Nanking : the courage of Minnie Vautrin 2000
Sur les atrocités japonaises lors de la seconde guerre mondiale : Gavan Daws Prisoners of the japanese 1994, Peter Li Japanese war crimes 2003, The other holocaust http://www.skycitygallery.com/japan... , Les crimes de l’armée impériale http://www.monde-diplomatique.fr/20..., Japanese war crimes http://www.centurychina.com/wiihist/, Japan’s war crimes //vikingphoenix.com/public/JapanInc...