13 décembre 2005
Dans l’île de Hong Kong, Wanchai est le nom du quartier où se trouve le centre des conférences, immense bâtiment aux formes futuristes qui a été construit sur la mer, comme la proue d’un navire qui avance dans la baie. Depuis dimanche, Wanchai est pratiquement en état de siège, avec un déploiement extraordinaire de moyens de sécurité allant jusqu’à des patrouilles navales dans la baie. Aujourd’hui, dans ce quartier, s’est ouverte la 6e conférence ministérielle de l’OMC.
Les gouvernements de 150 pays (l’Arabie Saoudite et Tonga viennent d’être admises) vont débattre pendant environ 100 heures, d’ici à dimanche, du texte de projet de déclaration ministérielle qui leur a été communiqué par les instances dirigeantes de l’OMC.
Outre les délégations officielles de 150 pays sont présents les journalistes et, en quelque sorte en observateurs parfois davantage, 3.200 personnes de la société civile qui compte tout à la fois des représentants des organisations patronales (les deux tiers) et des délégués d’associations et d’ONG.
Je retiens deux faits saillants de la cérémonie d’ouverture.
Le premier, c’est l’intense pression exercée par les différents orateurs (le chef de l’Administration de Hong Kong, le ministre du commerce de Hong Kong, M. Tsang, qui préside la conférence, Pascal Lamy, directeur général de l’OMC, Mme Amina Mohamed, ambassadrice du Kenya et présidente en exercice du Conseil général de l’OMC) pour que les ministres présents fassent des concessions et parviennent à un accord. Une insistance si forte quelle culpabilisait d’emblée celles et ceux qui se permettront de refuser les propositions avancées.
Ni Mme Mohamed, ni M. Lamy, ni M. Tsang, qui aurait chacun pu et dû le faire, n’ont signalé que le document soumis à la négociation comporte des annexes (elles représentent 36 des 48 pages de la version en français) dont aucune, sauf une, n’a fait l’objet d’un accord à Genève entre les représentants des différents Etats membres de l’OMC. On sait qu’une note introductive au projet de déclaration ministérielle indiquait cela dans la version présentée aux ambassadeurs à Genève, mais a disparu du document soumis aux ministres à Hong Kong. Il n’y est fait référence que dans une lettre adressée par Mme Mohamed et M. Lamy à M. Tsang. Une lettre qui n’a pas la valeur juridique du projet de déclaration et qui, au moins, aurait dû être lue à l’ouverture de la conférence. D’autant que M. Lamy, s’adressant la veille aux parlementaires de tous les pays présents ici, a souligné que son projet de déclaration ministérielle était soutenu par tous les Etats membres, omettant d’indiquer que c’est précisément parce qu’il contenait cette note introductive précisant les désaccords que le consensus avait pu être atteint à Genève. Bel exemple de coup tordu dont est capable M. Lamy.
Le second fait marquant de la cérémonie d’ouverture est la protestation exprimée par une délégation du réseau qui coordonne tous les réseaux altermondialistes « Notre monde n’est pas à vendre ». Alors que M. Lamy soulignait que son organisation n’est pas aimée, une vingtaine de militants parmi lesquels l’Américaine Lori Walach et le Philippin Walden Bello ont tenu à crier les injustices criminelles que provoquaient les accords de l’OMC. Faisant écho à ce que déclaraient lors de conférences de presse quelques heures plus tôt des délégations de pays du Sud, Walden Bello, directeur de Focus on the Global South (Bangkok), précisait : "We are protesting because we cannot continue to watch the WTO take away the lives and livelihoods of farmers, peasants and workers across the world” (Nous protestons parce que nous ne pouvons pas continuer à observer que l’OMC dégrade les vies et les conditions d’existence des fermiers, des paysans et des travailleurs à travers le monde) . Et il ajoutait : "There is nothing on the table at the WTO that is going to benefit developing countries. Developing countries must reject what is on offer. It is a case of ’no deal is better than a bad deal’. (Il n’y a rien sur la table de l’OMC qui va profiter aux pays en développement. On est dans la situation où pas d’accord, c’est mieux qu’un mauvais accord).
Au même moment, dans la rue, se déroulait la deuxième des trois grandes manifestations prévues et, comme lors de la première, cela se passait de la manière la plus pacifique qui soit. Comme dimanche, ils étaient plusieurs milliers à exprimer leur révolte par la parole, par les calicots, par des chants, des danses et des mimes. A la fin de la manifestation, un bateau couvert de slogans traversait la baie de Hong Kong et bravait les vedettes de la police maritime. Des fermiers coréens se sont jetés à l’eau et ont rejoint des collègues qui avaient plongé depuis les quais. Une manière à eux d’exprimer que l’OMC coule la petite paysannerie, mais qu’elle peut couler elle aussi.
Dans mon hôtel, je capte plusieurs chaînes de télévision (les émissions en anglais de la télé chinoise (Pékin) de la télé allemande, la BBC, CNN, TV5 qui donne les journaux télévisés belges, canadiens, français, et suisses). Je suis effaré de la manière dont on traite cette conférence de l’OMC, en particulier dans les chaînes francophones relayées par TV5 auxquelles je décerne sans difficulté le premier prix mondial de la caricature et de la désinformation : les seuls sujets abordés sont le dossier agricole et la violence redoutée des protestataires dont rien n’est dit, ou à peine, sur les motifs de leur protestation. Expliquer les différents accords, les enjeux de société qu’ils représentent et les controverses qu’ils suscitent, voilà une information de qualité qu’on ne trouve en fait qu’à la BBC. Pas un mot jusqu’à présent sur les chaînes francophones à propos du dossier capital des services alors qu’il concerne aussi bien les peuples du Nord que ceux du Sud. On en arriverait à espérer que le mode 4 de l’AGCS soit en priorité appliqué aux journalistes. Ils s’y intéresseraient peut-être.... Par contre, traiter de l’agriculture permet de faire croire que tout est bloqué à cause d’une minorité de paysans (qui ne sont qu’une minorité de téléspectateurs). On se garde de bien de dire que, chez nous, cette minorité nourrit 100% de la population et que sur la planète, les paysans constituent 62% de la population mondiale. Et surtout que la libéralisation à la manière de l’OMC détruit les fermes et les vies. Quant aux manifestants, comme ils n’ont pas été violents à Hong Kong et qu’il faut absolument diaboliser (en particulier sur les chaînes francophones) ceux qui n’acceptent pas la logique du profit, deux chaînes ont trouvé le moyen : elles ont rediffusé des images des moments violents de Seattle !
Demain, on entre dans le vif de la négociation.