15 décembre 2005
PING PONG A HONG KONG
Après une réunion informelle qui a commencé hier soir et s’est prolongée tard dans la nuit (3 h du matin), force est de constater que, même quand on entre dans la technicité des dossiers, les protagonistes en présence consacrent plus de temps à se renvoyer la balle qu’à faire des ouvertures. Ils ont consacré une bonne heure sur chaque dossier et sélectionné les questions sur lesquelles ils pensent pouvoir rechercher un accord. Ils n’ont pas cherché un accord sur le fond, mais seulement sur les modalités futures de la poursuite des négociations. A l’exception de l’UE, tous ont affirmé que l’élimination des subventions à l’exportation des produits agricoles devait être terminée en 2010.
Des ouvertures très conditionnées ont toutefois été faites sur le dossier développement en ce qui concerne ce qu’on appelle dans le jargon « quota free - duty free » (pas de quantités limitées à l’importation, pas de taxes sur les produits importés) en faveur des pays les plus pauvres (PMA - voir in fine de la note). Mais il n’y a pas d’accord sur la liste des produits concernés ainsi que sur la liste des pays bénéficiaires. Et UE et USA conditionnent ces ouvertures à des concessions de la part des PMA sur d’autres dossiers. En cela, les Européens font exactement ce qu’ils reprochent aux autres d’exiger d’eux-mêmes dans le dossier agricole.
Un nouveau groupe a été mis en place par la présidence : le groupe consultatif qui réunit 33 pays. Toutes les catégories de pays sont réunies. Mais on n’y a observé aucun mouvement sur l’un ou l’autre dossier. Et la réunion des chefs de délégations n’a pu qu’enregistrer cette stagnation. Par contre, la succession des discours en séance plénière a fourni une confirmation des attentes des pays du Sud et en particulier de l’Afrique.
La question des services a beaucoup occupé les discussions. Les Européens, le Commissaire Mandelson en tête, continuent d’affirmer que la libéralisation des services est une condition nécessaire pour le développement (mais ils oublient de préciser qu’il s’agit du développement des grandes entreprises européennes du secteur des services, pas des pays du Sud). Ils défendent le contenu de l’Annexe C tout en considérant d’une part qu’il est insuffisant et doit être complété de précisions chiffrées et, petite carotte pour ceux qui veulent se laisser abuser, en affirmant que les modalités de mise en œuvre de l’AGCS contenue dans cette Annexe C respectent la flexibilité initiale de l’Accord.
Une réunion du Conseil européen des ministres, ici à Hong Kong, a confirmé cette position à l’unanimité. Elle a reçu l’appui explicite de Pascal Lamy qui, sur ce dossier, s’engage beaucoup plus que sur les autres. Par contre, en fin d’après-midi, ce jeudi, une lettre signée par Cuba, l’Indonésie, le Kenya, les Philippines et le Venezuela demandait la suppression de l’Annexe C. Lors d’une conférence de presse, la ministre française, Mme Lagarde, a confirmé l’opposition des pays ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique) aux propositions sur les services. Des parlementaires européens, des pays ACP et de l’Asie du Sud-Est ont créé une plate-forme commune et, lors d’une conférence de presse, ont souligné que l’Annexe C représente un danger pour le développement.
Dans le dossier agricole, on a noté que le Conseil européen des ministres a conforté la position française. Sur la question du refus de fixer une date pour le démantèlement des subventions aux exportations de produits agricoles, la Grande Bretagne s’est abstenue, le Danemark, les Pays-Bas, la République Tchèque et la Suède n’étaient pas favorables au refus et les 20 autres pays ont soutenu le refus. L’UE et les USA continuent de s’envoyer des critiques mutuelles sur la question de l’aide alimentaire, mais on éprouve beaucoup de difficulté à les prendre au sérieux. Cette apparente querelle fournit un trop utile écran de fumée aux pratiques en cours : on apprend de la part de certaines délégations que des démarches (il serait plus correct de parler de pressions) sont entreprises par l’UE et les USA vers les capitales d’un certain nombre de pays en développement afin que des instructions soient envoyées à leurs représentants à Hong Kong pour qu’ils se montrent plus flexibles.
Dans le dossier de l’ouverture des marchés aux produits non agricoles, le blocage est total. On ne cherche même plus un accord sur le fond, mais seulement sur les modalités de la poursuite de la négociation après Hong Kong. Onze pays en développement ont adressé une lettre précisant leurs objections au texte proposé et réclamant une grande flexibilité.
De nombreuses ONG européennes ont dénoncé les propositions de l’UE pour un « paquet en faveur du développement ». Ces propositions visent à dissimuler que les négociations en cours ne servent pas le développement des pays du Sud, mais uniquement les intérêts offensifs des pays riches. Il s’agit de détourner l’attention sur ce qui est en jeu à Hong Kong : une mise en oeuvre contraignante de l’AGCS, la suppression des flexibilités afin d’imposer les dérégulations et les libéralisations qui mettront la planète sous la coupe des firmes transnationales. Ce « paquet pour le développement » de l’UE contient six éléments trompeurs :
1. quota free-duty free pour les produits en provenance des PMA : c’est en fait déjà accordé depuis 2001 ;
2. traitement spécial et différencié pour la mise en œuvre des accords de l’OMC : les pays en développement ont déposé en 2001, 170 propositions qui reflètent leurs priorités et leurs besoins. Après quatre années de négociations où elles n’ont pas été prises en considération par l’UE, la proposition européenne ne concerne que 5 d’entre elles qui ne devraient bénéficier qu’aux PMA ;
3. accès aux médicaments : l’insertion dans l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle de la décision de 2003 a pour effet d’imposer comme solution définitive un accord temporaire qui s’est avéré impraticable ;
4. aide pour le commerce : les fonds qui sont annoncés à ce titre ont déjà fait l’objet d’autres promesses ;
5. l’érosion des préférences tarifaires : c’est l’UE elle-même qui provoque cette érosion dans l’Accord de Cotonou ainsi que dans les accords bilatéraux déjà signés ou en cours de négociation ;
6. coton : la générosité de l’UE ne trompe pas dans ce dossier qui ne la concerne que marginalement ; en parlant du coton, l’UE évite de traiter du sucre et de la banane où ses choix sont infiniment dommageables pour les pays producteurs.
La réunion informelle de ce jeudi soir va-t-elle apporter des changements ? Demain vendredi, la conférence se trouvera à mi-parcours. On annonce une nouvelle version du projet de déclaration ministérielle. L’impression demeure que tout reste possible.