|
|
Le nucléaire : "grand retour" ou "déclin irréversible" ? |
|
Note du Réseau "Sortir du nucléaire" : nous vous proposons de comparer les informations et analyses proposées par deux textes bien différents :
- la dépêche AFP titrée "Le nucléaire, une option de plus en plus envisagée dans le monde" ;
- la tribune "Le nucléaire, énergie marginale et en déclin, joue sa survie"
Energie : le nucléaire, une option de plus en plus envisagée dans le monde
AFP - 06/01/2006 - De plus en plus de pays dans le monde sont tentés par le nucléaire pour faire face à l’après-pétrole et aux risques de conflits gaziers, à l’image de la France qui s’ancre pour longtemps dans le nucléaire en lançant le projet de réacteur de quatrième génération.
Le pétrole et le gaz représentent à eux seuls 57% de l’énergie utilisée dans le monde. Or leur maximum de production pourrait être atteint dans les trois prochaines décennies, estiment les experts.
Le récent conflit gazier entre l’Ukraine et la Russie, qui a affecté l’approvisionnement en gaz naturel d’une grande partie de l’Europe, pousse aussi les pays à vouloir mieux garantir leur indépendance énergétique.
"Pour l’Europe, le nucléaire est une réponse à la crise gazière", juge ainsi le PDG du groupe énergétique français Suez, Gérard Mestrallet.
Mais l’épuisement des ressources fossiles, qui en fait une arme stratégique pour les pays producteurs, n’est pas le seul enjeu de ce siècle : le monde doit aussi trouver une solution au réchauffement climatique.
Pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre, le nucléaire est une partie de la réponse, souligne David Proult, économiste au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) dans un point de vue paru dans le quotidien Les Echos.
De plus, les réserves d’uranium peuvent assurer jusqu’à 80 ans de consommation au rythme actuel et le coût final de l’électricité d’origine nucléaire est peu dépendant du prix du combustible, analyse cet expert.
Dans ce contexte, la France, qui veut garder une longueur d’avance sur les autres pays, a résolument fait du nucléaire le pilier de sa politique énergétique.
Le chef de l’Etat français Jacques Chirac a annoncé jeudi le lancement dès maintenant de la conception d’un prototype de réacteur de 4e génération, qui devra entrer en service en 2020, alors que les travaux pour implanter en France le réacteur de troisième génération, l’EPR, n’ont pas encore commencé.
En Allemagne, la "guerre du gaz" russo-ukrainienne a relancé les discussions sur le nucléaire, dans un pays jusque là fermement opposé à la politique de l’atome.
En Grande-Bretagne, le Premier ministre Tony Blair, favorable à une relance du programme nucléaire, a annoncé le mois dernier un recensement complet des besoins énergétiques du pays et envisagé la construction de nouvelles centrales nucléaires. Un rapport sur la question est attendu pour le milieu de l’année.
Les Etats-Unis, où le nucléaire fait moins débat dans l’opinion, ne cachent pas leur volonté de se doter du réacteur EPR mis au point par le groupe français Areva et l’allemand Siemens, pour remplacer leur parc nucléaire actuel.
La Chine, en quête d’énergie pour nourrir sa forte croissance, a pour sa part lancé un vaste programme nucléaire représentant un investissement de près de 50 milliards de dollars pour se doter de 40 réacteurs d’ici 2020. La part du nucléaire dans la production d’électricité, actuellement de 2,4%, doit passer dans ce pays à 4% à cette date.
Au Brésil, certains estiment que le pays a besoin de développer son programme d’énergie nucléaire pour contribuer à l’augmentation de la puissance installée du pays au cours des prochaines années.
Au Venezuela, le président Hugo Chavez a confirmé son souhait de développer un programme nucléaire dans le cadre de la diversification énergétique.
D’autres pays, comme l’Afrique du sud, pourraient aussi se doter de réacteurs nucléaires de troisième génération, ce qui les engagerait dans le nucléaire pour plusieurs décennies.
Le nucléaire, énergie marginale et en déclin, joue sa survie
La "4ème génération" de réacteurs est annoncée... pour justifier la troisième !
En annonçant le 5 janvier 2006 le lancement d’un projet de réacteur nucléaire dit "de 4ème génération", le Président de la République a apporté de l’eau au moulin de ceux qui prétendent que l’atome est non seulement indispensable - pour assurer l’indépendance énergétique - mais aussi écologique - pour lutter contre le réchauffement climatique.
En réalité, le nucléaire est une énergie marginale et sur le déclin. Marginale car elle ne couvre que 6,5% de l’énergie consommée dans le monde : une part bien trop faible pour influer de façon quantifiable sur le réchauffement climatique. Et sur le déclin : dans ses prévisions (World Energy Outlook), l’Agence internationale pour l’énergie, pourtant favorable à l’atome, a reconnu qu’il passerait sous les 5% vers 2030. C’est que, dans les trente ans à venir, au moins 200 des 440 réacteurs actuellement en fonction sur Terre seront fermés car arrivés en fin de vie.
"Mais justement, répondent les nucléocrates, il n’y a qu’à construire des milliers de réacteurs nucléaires sur la planète afin de changer réellement la donne". Faisons nous l’avocat du diable atomique et envisageons un instant cette hypothèse, en "oubliant" que cela entraînerait une démultiplication insensée des risques de catastrophe et des déchets radioactifs. Prenons comme "exemple" la France qui compte 58 réacteurs nucléaires, pratiquement 1 par million d’habitants : rapporté à la planète, cela ferait plus de 6000 réacteurs, dont 1000 en Inde et 1300 en Chine, pays qui est d’ailleurs souvent mis en avant : ce serait le nouvel "eldorado" de l’atome, avec un gigantesque parc nucléaire en projet.
Gigantesque ? Il s’agit en fait de 30 et peut-être 40 nouveaux réacteurs. Bien sûr, pour qui est conscient du risque nucléaire, ce sont 40 réacteurs de trop. Mais, en fin de compte, c’est un projet absolument ridicule par rapport aux milliers de réacteurs évoqués ci-dessus. Et même si ces 40 réacteurs sont réellement construits, la Chine passera simplement de 2% à 4% d’électricité nucléaire en 2030. Soit à peine 1% de l’énergie chinoise. Infime. Tant qu’on comptera sur le nucléaire, le réchauffement climatique aura... de beaux jours devant lui !
Pourtant, continuons à jouer au diable : saisissons une baguette magique et faisons apparaître subitement sur Terre plusieurs milliers de réacteurs nucléaires. Mettons 4000 : on arrive ainsi à 4400, soit dix fois plus qu’actuellement. Or, pour fonctionner, les réacteurs ont besoin de combustible, c’est-à-dire d’uranium. Au rythme actuel de consommation, les réserves mondiales de ce minerai sont estimées à 80 ans. Aussi, avec 10 fois plus de réacteurs, en 8 ans au maximum, l’humanité se retrouverait à la tête d’un gigantesque parc nucléaire... définitivement arrêté.
C’est là qu’intervient la fameuse "4ème génération". En effet, dans le cœur des réacteurs actuels, il n’y a que 0,7% du minerai qui soit utile : l’uranium 235, contrairement à l’uranium 238 qui représente pourtant 99,3% du total.
Consciente qu’elle est amenée à disparaître, l’industrie nucléaire se débat depuis des décennies pour essayer de mettre au point des réacteurs qui arriveront à utiliser une part de l’uranium 238, réglant pour des millénaires le problème du combustible nucléaire. Ces réacteurs seraient d’ailleurs capables de divers miracles, comme "brûler" le plutonium, et même les "actinides mineurs", ces déchets extrêmement dangereux qui sortent de nos archaïques réacteurs actuels.
Hélas pour le nucléocrates, malgré des décennies de tentatives dans divers pays, en particulier aux USA, en Russie, en France, ces "nouveaux" réacteurs... refusent obstinément de fonctionner. Aujourd’hui, ils ressortent des tiroirs sous un bel emballage publicitaire : ils seraient de "4ème génération IV". Au besoin, on ajoute qu’ils sont "du futur", et le tour est joué : personne ne peut se prononcer contre le futur !
Le spectre de Superphénix va encore frapper : ce surgénérateur devait "produire plus de matières fissiles qu’il n’en consomme". Encore un "miracle nucléaire" qui n’a pas eu lieu... à part la désintégration de la somme inouïe de 10 milliards d’euros.
Peu importe pour l’industrie nucléaire : le lancement aujourd’hui de la supposée "4ème génération" a en réalité pour seul objectif de "démontrer" que le nucléaire a de l’avenir. Et donc que l’on peut :
- fabriquer des réacteurs comme l’EPR (lui-même présenté comme étant de "3ème génération" alors qu’il est quasiment identique aux réacteurs actuels.)
continuer à produire des déchets nucléaires : aucune solution n’a pu être trouvée en 50 ans, mais... les réacteurs de "4ème génération" règleront le problème !
N’oublions pas, parmi ces belles promesses, le réacteur ITER et la fusion nucléaire qui doit - elle aussi ! - nous procurer une énergie illimitée. Quelle profusion ! (Sans jeu de mot).
En fin de compte, la seule certitude est que les citoyens vont continuer à payer très cher pour les beaux joujoux de l’industrie atomique. Tiens, au fait, les citoyens : personne ne leur demande leur avis ! La Commission nationale du Débat public s’échine à organiser des débats, mais elle est saisie par les autorités... après que toutes les décisions aient été prises !
Ainsi, la construction de l’EPR a été définitivement votée par les parlementaires le 13 juillet et le "débat" a commencé... le 3 novembre. Ainsi, la construction d’ITER a été signée avec les partenaires étrangers... et le débat va être organisé après coup à partir du 26 janvier. Quant à la "4ème génération", le Président de la République a clairement dit que la décision est prise. Le lobby nucléaire n’est décidément pas une fiction : il lance ses projets et les fait annoncer par son VRP de luxe.
Une manifestation internationale contre la relance du nucléaire est prévue à Cherbourg les 15 et 16 avril prochain, à l’occasion des 20 ans de Tchernobyl. Il faut espérer que cela permettra de réveiller une opinion publique anesthésiée, même si tous les sondages montrent qu’elle reste imperturbablement opposée à l’atome.
Mais, si le nucléaire est sur le déclin, pourquoi s’insurger ? Tout simplement parce que, en prétendant sauver la planète, les nucléocrates espèrent en réalité parvenir à sauver... le nucléaire en France. Lorsque l’opinion s’apercevra qu’elle a été abusée, ils diront : "On a des réacteurs nucléaires tout neufs. Il ne fallait pas les construire, mais maintenant qu’ils sont là, autant les utiliser." C’est donc contre un tel coup de force - la politique du fait accompli, ou plutôt "de la centrale construite"-, qu’il faut que les citoyens se mobilisent.
Pour finir, tordons le coup à quelques idées fausses, imposées à l’opinion par EDF et Areva à coup de puissantes campagnes publicitaires.
Concernant l’indépendance énergétique, la France est en réalité encore plus dépendante avec le nucléaire qu’avec les hydrocarbures, car 100% de l’uranium est importé. On nous rétorque souvent que ce minerai n’est pas très cher : mais il ne s’agit plus alors d’indépendance énergétique, on entre dans le débat sur le prix de l’énergie et, dans ce cas aussi, l’atome est perdant lorsqu’on veut bien considérer l’ensemble de la facture nucléaire. La stagnation de l’action EDF en bourse est d’ailleurs principalement due au coût incommensurable du démantèlement des installations et de la question des déchets, qui restent à financer.
Par ailleurs, c’est le dérèglement climatique qui s’attaque au nucléaire et non l’inverse ! Après la tempête de 1999, c’est la canicule de 2003 qui a mis à mal le nucléaire français. Certes, grâce aux importations d’électricité, la France atomique a évité le flop. Mais tout le monde reconnaît aujourd’hui que le réchauffement climatique est en marche et que, même si les mesures nécessaires étaient immédiatement prises au niveau mondial - ce qui est hélas loin d’être le cas -, le phénomène s’aggraverait encore pendant quelques décennies avant de se ralentir.
Donc, c’est inéluctable, les canicules, les sécheresses, les tempêtes... les évènements climatiques brutaux vont être de plus en plus fréquents et intenses. Non seulement les centrales nucléaires ne vont rien empêcher, mais elles vont au contraire être mises en grande difficulté et faire courir d’importants risques d’accident ou de pénurie. La sécheresse 2006 s’annonce d’ailleurs terrible, le refroidissement des réacteurs en bord de rivière pourrait être compromis. En fin de compte, contrairement à l’idée que la propagande officielle tente d’imposer, le réchauffement climatique est une raison de plus, et non des moindres, pour sortir du nucléaire au plus vite.
Comment ? En réduisant considérablement notre consommation énergétique. Tout le monde sait bien que c’est la seule solution, mais personne ne veut la mettre en œuvre. C’est d’ailleurs le message subliminal des annonces tonitruantes concernant l’EPR, ITER, la 4ème génération : "Bientôt, nous aurons une énergie propre et illimitée. Alors pourquoi changer notre mode de vie ?" Comme le déclarait il y a peu un certain Jacques Chirac, "La maison brûle et nous regardons ailleurs". Tout est dit.
Stéphane Lhomme, porte-parole du Réseau "Sortir du nucléaire"
Auteurs divers
Création de l'article : 10 janvier 2006
Dernière mise à jour : 10 janvier 2006
Page visitée 2820 fois (1)
|