Les associations locales de défense des droits de l’Homme chiffrent à environ quatre millions les déplacés internes, et indiquent que 4000 villages environ ont été détruits. Les autorités turques admettent quant à elles le chiffre de 380 000 personnes déplacées, mais ont par contre toujours prétendu que ces déplacements étaient dus à la terreur instaurée par le PKK.
Il ressort des enquêtes, des témoignages des ONG locales comme des jugements de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (condamnations de l’Etat turc pour violation du droit de propriété) que de nombreuses personnes ont dû fuir leur village parce qu’ils ont été vidés, détruits ou brûlés par les autorités turques : armée, police, ou protecteurs de village ( gardes villageois armés par le gouvernement ; miliciens).
Les personnes déplacées, dépouillées de leurs biens, se sont réfugiées dans les agglomérations dans un état de pauvreté alarmant. De nombreux bidonvilles constitués de ces populations (comme par exemple celui d’Ayazma à Istanbul) ont grossi considérablement le nombre d’habitants des métropoles, telles Diyarbakir et Istanbul, et de nombreuses autres villes en Turquie.
Ces populations rurales n’ont pu retrouver d’emploi dans les villes, et exercent le plus souvent des « petits boulots » sans rapport avec leurs compétences professionnelles, les maintenant dans un état de précarité et de pauvreté dramatiques.
Sous la pression des associations de défense des droits humains locales et internationales et de l’Union européenne, les autorités turques ont annoncé des mesures pour permettre le retour au village des personnes déplacées. Ces mesures ont été dénoncées comme insuffisantes ou n’ont pu être suivies d’effet en raison de nombreux obstacles non levés par l’Etat, dénoncés par les ONG locales de défense des droits humains et confirmés par les enquêtes des ONG internationales.
obstacles principaux au retour des déplacés :
Les autorités turques ont de nombreuses fois exigé, pour délivrer l’autorisation de retour et une aide économique (dotation en poutres et briques), que les déplacés signent un document indiquant qu’ils avaient été déplacés par le PKK ou que leurs biens avaient été détruits par le PKK, de manière à empêcher toute demande d’indemnité contre l’Etat. Ce procédé a freiné les retours au village, de nombreux déplacés ayant refusé de faire cette déclaration contraire à la réalité.
Les autorités turques autorisent parfois les personnes à revenir dans leur région, mais pas le retour au village. L’Etat propose leur réinstallation dans des « villages centraux » ou « colonies de villages », sous contrôle.
les « gardiens de villages » (miliciens) s’opposent au retour des déplacés même munis d’autorisation de l’Etat. Ainsi, dans le village d’Urlak en septembre 2002, les gardiens de village se sont opposés au retour des déplacés, bien que munis d’autorisations officielles : trois anciens habitants ont été tués, et quatre blessés. Ce fut également le cas dans le village de Bayramli dans la région de Siirt. Les gardiens exigent aussi souvent l’enrôlement des déplacés dans leur milice comme condition du retour au village.
les déplacés, qui ont tout perdu, n’ont matériellement plus les moyens de se réinstaller : reconstruire leur maison, racheter des troupeaux, des arbres fruitiers, semences, etc...
les conditions d’exploitation et de commerce sont difficiles dans cette région soumise à des restrictions de circulation dues aux pouvoirs discrétionnaires des gardiens de village et de l’armée qui multiplient les barrages routiers, les péages illégaux (par exemple pour l’accès des troupeaux aux pâturages). Depuis la reprise des combats entre le PKK et l’armée turque en zone montagneuse (en 2004), l’armée interdit l’accès de nombreux pâturages pour éviter tout risque de ravitaillement des guérilléros.
la région de l’Est est totalement sous-développée en raison de plusieurs embargos gouvernementaux infligés aux populations pendant les 15 ans de guerre, et d’un manque de volonté de développement et d’investissements de la part de l’Etat même depuis la fin des combats en 1999.
les mines anti-personnel et autres explosifs jonchant le sol des régions montagneuses rurales du pays sont un obstacle sérieux au retour des déplacés, leur sécurité physique n’étant pas assurée. Ces populations rurales ne peuvent travailler la terre ou faire paître leurs troupeaux sans risque pour leur sécurité. De nombreux bergers ou enfants sont tués ou blessés encore à ce jour. Aucune politique sérieuse de déminage traduisant une volonté réelle de l’Etat de laisser les déplacés réinvestir
cette région n’est constatée.
Les programmes de retour aux villages sont donc dénués d’effet ou détournés. La volonté de l’Etat n’est donc pas réelle. En témoignent également les pressions effectuées sur les déplacés demandant une indemnisation devant les tribunaux, ainsi que les persécutions dont sont victimes les associations d’aide aux déplacés : procédures infligées à leurs responsables et membres pour atteinte à l’honneur de l’Etat, condamnations à des peines de prison et amendes, intimidations, gardes à vue arbitraires, tortures ; perquisitions et fermeture de l’association...).
Ce point sur les déplacés a été rédigé à partir du document d’ Enquête sur les populations victimes de déplacements
et mission d’observation à la fête du Newroz - Collectif méditerranéen pour le respect des droits de l’Homme en
Turquie. Ouvrage collectif sous la direction de Sophie ROUDIL. 100 pages. 8 € (contact pour
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