Contexte
Hakkari se situe dans une région proche de la frontière iranienne et irakienne dans l’extrême Sud-Est de la Turquie, région kurde. Hakkari, « capitale régionale », se situe dans une haute vallée à 1700 mètres d’altitude. La province d’Hakkari est une zone montagneuse où de nombreux villages ont été détruits et leurs populations déplacées par l’armée turque au plus fort des affrontements entre l’armée et le PKK (années 1993, 1994...). Environ 80 villages ( 200 si on compte les petites
communautés) ont été détruits ou brûlés par l’armée turque, la plupart au cours des années 93 et 94. Aucun de ces villages n’a été reconstruit jusqu’à aujourd’hui.
Des déplacés sont venus habiter dans le centre de Hakkari, d’autres sont partis dans les grandes métropoles comme Diyarbakir ou Istanbul, d’autres ont fui en Irak (notamment les réfugiés de l’actuel camp de Makhmour, situé à 80 km d’Erbil en Irak du Nord). Après un cessez le feu de quelques années, de nouveaux incidents se déroulent aujourd’hui dans cette province entre l’armée turque et le PKK. Les déplacés n’ont pu reconstruire leurs villages d’une part faute de moyens, d’autre part en raison des pressions subies de la part de l’armée et des « protecteurs de village » (miliciens payés par l’Etat turc), enfin en raison des troubles politiques secouant la région, et notamment la reprise de combats entre l’armée et le PKK dans cette zone depuis 2004.
La population de cette région s’est au surplus trouvée fragilisée par les conséquences d’un important tremblement de terre en janvier 2005.
Certaines personnes retournent actuellement dans leur village pour cultiver leurs terres, mais n’y demeurent que pendant l’été. Les retours sont en principe autorisés à condition que la gendarmerie en soit informée. Mais dans les faits, les gens ne peuvent rester dans le village pendant toute l’année. Il y a en effet de nombreux obstacles qui s’opposent à l’installation définitive. En premier lieu, dans la mesure où les maisons n’ont pas été reconstruites, les villageois habitent pour la plupart sous des tentes, ce qui n’est possible que pendant la saison chaude. En second lieu, les villages ne sont pas reliés au réseau d’eau et d’électricité. Enfin, les écoles y sont inexistantes. De plus, pendant l’hiver, les voies de communication avec la ville sont totalement fermées du fait des chutes abondantes de neige. En raison de ces obstacles, les retours définitifs sont très rares.
Les seuls villages constamment habités sont ceux des « protecteurs de village » qui se trouvent près de la route principale et qui reçoivent l’eau et l’électricité. Les protecteurs de village sont sont des individus choisis parmi la population locale dans différentes tribus kurdes et payés par l’Etat pour combattre le « mouvement de libération nationale kurde ».
La plupart des personnes déplacées habitent dans des bidonvilles à la périphérie de la ville. Leurs conditions de vie sont extrêmement précaires du fait du taux élevé du chômage qui est d’environ 70% (ils étaient en effet cultivateurs ou éleveurs avant d’arriver en ville). Ils ne reçoivent l’eau que trois heures par jour et ont par ailleurs d’importants problèmes de canalisation.
De nombreuses plaintes pour violation de la propriété privée ont été déposées depuis 1995. Aucune n’a abouti jusqu’à aujourd’hui et plusieurs sont actuellement pendantes devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Une nouvelle loi turque adoptée en 2004 organise la réparation des préjudices liés à des activités de lutte contre le terrorisme. Cependant, son application est subordonnée à des conditions difficiles. L’une de ces conditions est que l’Etat reconnaisse que le village a été détruit par l’armée. Il incombe par ailleurs au demandeur d’apporter la preuve du lien direct entre le préjudice qu’il a subi et les activités de lutte contre le terrorisme. Plus d’un millier de demandes ont été faites par les habitants de Hakkari en application de cette loi, mais aucune réparation n’a été accordée jusqu’à ce jour.
En outre, au mois de novembre 2005, selon différentes sources concordantes (presse, déclarations d’élus de partis politiques de bords différents et communiqués d’associations locales) ont éclaté plusieurs scandales dans la province d’Hakkari qui mettent en cause les services secrets turcs et l’armée. L’assassinat d’un civil à l’explosif dans la ville de Semdinli (plastiquage de sa boutique) par des militaires en civil tentant de s’enfuir dans un véhicule de la Jendarma a provoqué des manifestations de plusieurs milliers de personnes dans plusieurs villes (Semdinli, Yüsekova et Hakkari). Ces manifestations ont été réprimées de manière violente, l’armée ayant tiré dans plusieurs villes dans la foule, blessant notamment le Maire de Semdinli, M. Hursit TEKIN .
Le bilan total s’élèverait à 7 morts et 41 blessés par balle, tous civils. La région est depuis sous extrême tension et sous contrôle militaire encore plus lourd qu’avant.
source : collectif rennais