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CNE : les parquets sommés de faire front avec les patrons |
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Tollé après une circulaire partiale du ministère de la Justice sur la marche à suivre en cas de plaintes aux prud’hommes.
par Dominique SIMONNOT
Libération, lundi 27 mars 2006
Chez Pascal Clément, on le jure : « C’est sans arrière-pensée. Ne faites pas du délit de sale gueule ! » Mais comment empêcher les mauvais esprits de persifler sur la dernière circulaire du garde des Sceaux ? Datée du 8 mars et adressée aux procureurs généraux, elle a tout d’une défense en règle du contrat nouvelle embauche (CNE) prédécesseur du CPE pour les plus de 26 ans dans les très petites entreprises. Et tout d’une tentative politique de Clément pour secourir son ami Villepin.
Failles. Sur trois pages, Marc Guillaume, directeur des Affaires civiles, détaille d’abord l’ordonnance qui a créé le CNE. « Quoi de plus normal, rétorque-t-on à la chancellerie, le ministre de la Justice est le ministre du droit ! Il éclaire les magistrats sur la loi en vigueur, leur rappelle la jurisprudence. » C’est vrai. Sauf que des esprits malicieux détectent des failles dans cette information. Le ministère de la Justice passe très vite sur les motifs de contestation d’un licenciement devant les prud’hommes. La circulaire précise que le juge peut vérifier s’il s’agit d’une rupture abusive de CNE décidée « en méconnaissance des dispositions [...] prohibant les mesures discriminatoires ». Sans autre développement, alors que l’article L 122-45 énumère plus de quinze situations : de l’orientation sexuelle à l’origine ethnique, en passant par l’appartenance à une mutuelle ou un syndicat, la participation à une grève, ou l’état de santé...
La circulaire ne dit pas un mot de la convention 158 sur le licenciement de l’Organisation internationale du travail, ratifiée par la France, qui précise : « La charge de prouver l’existence d’un motif valable devra incomber à l’employeur. » Tout le contraire du CNE, puisque le salarié peut être licencié sans motif. Le Conseil d’Etat, en validant ce contrat, avait relevé la contradiction. « Le silence total sur ce point dit assez l’embarras de la chancellerie, analyse Pierre Lyon-Caen, avocat général honoraire à la chambre sociale de la Cour de cassation. La décision du Conseil d’Etat ne lie pas les juges. Ni ceux des prud’hommes, ni ceux des cours d’appel, ni ensuite ceux de la Cour de cassation, qui devront se pencher sur cette opposition. »
« Partisan ». Le plus grave vient en fin de circulaire. Il est précisé que les procureurs « devront intervenir aux audiences pour rappeler les termes de l’ordonnance du 2 août 2005 » créant le CNE, et que les procureurs généraux devront veiller « à ce que le parquet fasse appel », après « analyse des décisions des prud’hommes ». Appel pourquoi, pour qui ? La réponse est plus haut. Selon l’étrange analyse de la chancellerie, les pouvoirs du juge seraient très restreints : « Il n’est pas chargé d’apprécier le caractère réel et sérieux du licenciement survenu dans les deux ans » d’essai du CNE. Le juge « est seulement tenu de vérifier que le licenciement ne constitue pas un abus de droit ou ne repose pas sur une cause discriminatoire ». C’est clair, non ? Tout laisse à penser que les parquets devront faire appel aux côtés de l’employeur.
Outre le fait rarissime que le parquet se mêle d’affaires prud’homales c’est même du jamais vu sous forme d’ordres ministériels , « il s’agit d’une trahison de la mission du ministère public, poursuit Me Lyon-Caen, car il ne peut pas être partisan au point de soutenir une catégorie de citoyens contre une autre. Et il est inconcevable qu’il intervienne pour soutenir exclusivement les intérêts de l’employeur ».
Vendredi, le Syndicat de la magistrature a demandé « le retrait immédiat de cette circulaire illégale » et « invité les magistrats du parquet à ne pas s’y plier et à exercer leurs prérogatives en toute indépendance ». Force ouvrière dénonce « une pression politique sur la justice ». Pour la CGT, « le gouvernement s’affole ». Pas faux.
Auteurs divers
Création de l'article : 17 avril 2006
Dernière mise à jour : 27 mars 2006
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