|
Une étude sur la "tolérance zéro" |
|
CHICAGO (AFP) - La "tolérance zéro" invoquée par le ministre français de l’Intérieur Nicolas Sarkozy dans sa lutte contre la criminalité en banlieue pourrait conduire à l’inverse du résultat recherché et faire augmenter les tensions, selon une étude réalisée par un universitaire franco-américain.
Pour Bernard Harcourt, 43 ans, professeur de droit à l’université de Chicago, le choix de lutter contre la petite criminalité quotidienne dans l’espoir de décourager la grande est "dangereux".
"On s’appuie sur une politique qui ne fait baisser ni les meurtres ni les vols et on gaspille les ressources (policières). Les relations de plus en plus tendues entre la police et les populations dans les quartiers favorisent aussi un embrasement de la situation" comme lors des émeutes de banlieue en France, dit à l’AFP M. Harcourt qui a mené une étude approfondie de cinq grandes villes américaines.
Dans un essai récent, intitulé "L’illusion de l’ordre : incivilités et violences urbaines, tolérance zéro ?", paru aux éditions Descartes et Cie en France, et Harvard University Press aux Etats-Unis, il établit un parallèle entre les Etats-Unis et la France. "J’essaie de montrer que l’expérience des villes américaines souvent citées en exemple en France pour justifier la politique de tolérance zéro n’est soutenue ni par les faits ni par les statistiques", dit-il.
La "tolérance zéro", invoquée par Nicolas Sarkozy, découle de la publication en 1982 de la théorie des "fenêtres cassées" selon laquelle pour faire baisser la criminalité, il faut d’abord s’attaquer aux désordres urbains mineurs, des graffitis à la mendicité en passant par la réparation des fenêtres cassées.
Selon M. Harcourt, ce concept, popularisé par l’ancien maire de New York Rudy Giuliani crédité d’avoir "nettoyé" sa ville de cette manière, s’attaque aux symptômes et pas aux causes du problème.
Le chercheur fait valoir que la baisse de la criminalité constatée alors à New York (-60,1% sur les vols entre 1993 et 1996) ne faisait en réalité qu’accompagner une tendance identique à l’échelon national. Selon lui, elle est due surtout à la fin de "l’épidémie" de crack, toute une génération de jeunes y ayant renoncé après avoir été témoin de ses ravages.
Il souligne qu’à Los Angeles, la chute du pourcentage de vols a été la même qu’à New York dans le même temps, avec des moyens en hommes inférieurs dans une police engluée de corruption.
Le chercheur ajoute que dans le même temps, les plaintes pour bavures policières ont augmenté à New York de quelque 68%. Il cite le cas de personnes désarmées abattues par la police, ou celui d’un homme battu et agressé sexuellement par la police.
Tous les procès et les 190.000 arrestations qui ont suivi à l’intérieur de la police, ont coûté quelque 400 millions de dollars, selon lui.
L’un de ses arguments les plus probants porte sur le suivi de 4.600 familles à très bas revenus vivant dans des quartiers violents de cinq grande villes (New York, Los Angeles, Chicago, Baltimore et Boston) à qui l’on a donné la possibilité de déménager dans des quartiers plus calmes pour échapper au cycle de la violence.
Trois à cinq ans plus tard, l’étude montre qu’il n’y a aucune différence de taux de criminalité entre ceux qui sont partis et ceux qui sont restés dans les quartiers.
"Vivre dans un quartier calme n’a pas changé les comportements comme nous l’aurions pensé" dit le chercheur.
Créer l’apparence de l’ordre est important, dit-il, mais si l’on se sert de la police pour régler des problèmes sociaux, au lieu de s’attaquer à la vraie criminalité, on utilise mal ses ressources limitées. Selon lui, la criminalisation des problèmes sociaux ne sert qu’à exclure un peu plus des cohortes de gens déjà marginalisés.
"Il devrait y avoir une police plus ciblée sur les crimes sérieux" comme "la drogue et les gangs".
Auteurs divers
Création de l'article : 21 juin 2006
Dernière mise à jour : 20 juin 2006
Page visitée 700 fois (3)
|