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Procès en appel des Faucheurs à Orléans les 15 et 16 mai 2006 |
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Le 15 mai 2006 au matin, les Faucheurs et leurs amis se retrouvent au Campo Santo d’Orléans pour accompagner en cortège les 49 prévenus, relaxés par le jugement de 1ère Instance mais cités en appel.
La Cour paraît à 9h40. Le Président rappelle la loi, toute personne qui le désire doit pouvoir assister à l’audience. En conséquence, il demande à l’autorité de police d’autoriser la présence de 40 personnes supplémentaires, debout au fond de la salle.
Le Président explique que deux affaires distinctes sont en appel : 1) les 44 comparants volontaires déboutés le 17 avril 2005 ont fait appel de cette décision et veulent toujours comparaître. 2) La société Monsanto et le Ministère Public ont fait appel du jugement du 9 décembre 2005 qui a relaxé les Faucheurs. Le Président souhaite disjoindre les deux affaires. Les deux parties en sont d’accord, ainsi que le Ministère Public.
L’audition de la première affaire commence. La partie civile s’en remet à la sagesse du Tribunal. Le Ministère public confirme qu’il ne poursuivra pas les comparants volontaires et, au nom de la séparation des pouvoirs de poursuite et de jugement, enjoint le Tribunal de ne pas s’auto-saisir des demandes de comparution volontaire. Au nom de cette même séparation des pouvoirs de poursuite et de jugement, les avocats des Faucheurs accusent le Parquet d’outrepasser ses fonctions et de rendre la Justice. L’affaire est mise en délibéré. L’arrêt sera rendu le 27 juin 2006. Pour plus de détails, voir Le procès en appel des comparants volontaires du 15 mai 2006 à Orléans.
La seconde affaire, celle de l’appel de Monsanto et du Ministère public du jugement de première instance du 8 décembre 2005, est à l’audience. Les 49 prévenus sont appelés. Ils se lèvent simplement pour signifier leur présence.
La défense fait une observation. Les prévenus d’aujourd’hui c’est à dire les relaxés du jugement de première instance, ne connaissent pas les moyens d’appel du Parquet. C’est contraire à la Convention européenne, c’est la première fois que ça se passe. L’Avocate générale répond que le Ministère public n’a pas à justifier son appel, qu’il agit comme il l’entend. L’Avocate générale vient de déposer des documents à caractère scientifique auprès du Tribunal, ce matin, sans en donner copie à la défence. La défense trouve ce comportement scandaleux.
Le Président lit le rapport : le 14 août 2004, 1880m² de maïs appartenant à Monsanto ont été détruits sur la parcelle de Monsieur Béchu à Gréneville en Beauce, le 7 juillet 2005, 3000m² de maïs appartenant à Monsanto ont été détruits sur la parcelle de Monsieur Béchu à Gréneville en Beauce et 4600m² sur la parcelle de Monsieur Gombault à Neuville aux Bois. Les 8 rangs de maïs non OGM qui ceinturaient les parcelles n’ont pas été détruits. Le Tribunal a poursuivi 49 personnes pour ces faits.
Le Président organise l’audition des témoins en concertation avec les deux parties et le Ministère public. Il propose d’entendre d’abord les premiers témoins de la défense, puis l’ensemble des témoins de la partie civile, puis les derniers témoins de la défense. Les témoins sont invités à quitter la salle.
Les trois premiers témoins de la défense sont entendus. Voir Procès en appel des Faucheurs à Orléans le 15 mai 2006 - Témoins de la défense (1). Gérard Onesta se présente comme un législateur européen en colère, il accuse l’État français d’être sciemment délinquant.
Philippe Martin est député, président du Conseil général du Gers, promoteur d’un référendum départemental sur les OGM en plein champ, il dénonce les dégâts démocratiques, les désordres sociaux et la précarité environnementale provoqués par ces essais. L’audience est suspendue le temps du déjeuner. Les Faucheurs vont déjeuner au Campo Santo.
Daniel Evain est agriculteur bio, ancien chercheur chez Monsanto, son témoignage est double, il explique l’agriculture traditionnelle qui n’a pas les problèmes que les OGM sont censés résoudre, il raconte aussi les turpitudes de Monsanto vues de l’intérieur.
Puis c’est au tour des témoins de la partie civile. Voir Procès en appel des Faucheurs à Orléans le 15 mai 2006 - Témoins de la partie civile. Michel Masson, responsable de la FNSEA du Loiret vient dire qu’il croit au progrès que représentent les OGM, à leur réussite économique semblable à celle de la télévision couleur, il témoigne que les agriculteurs victimes de fauchage sont traumatisés et justifie que le bureau de la Ministre de l’environnement fût saccagé par les troupes de son syndicat.
Yann Fichet est appelé ensuite. Comme il est employé de Monsanto, Il y a un doute qu’il puisse s’affirmer non allié d’une des parties et donc prêter serment. En attendant que le Tribunal ait la réponse, Stéphane Pasteau est appelé à la barre. Il était employé de Monsanto au moment des faits et compte Monsanto parmi ses clients. Même interrogation, même doute, même report de son témoignage.
Philippe Gracien vient à la barre. Il est directeur du GIPS (Groupement interprofessionnel des semences). Le Président omet de lui demander son adresse ce qui provoque une protestation de la défense. Le Président explique que l’adresse des témoins ne présente que peu d’intérêt et qu’il veut éviter les risques de représailles. La protestation de la défense devient véhémente devant cette presque accusation de terrorisme... Le Président cède, se range à la loi et demande l’adresse de Philippe Gracien... Le témoignage se veut rassurant, la machinerie réglementaire et administrative est bien organisée, il n’y a pas de danger. Le témoin est mis en difficulté par la défense sur le chapitre des assurances. L’audience est suspendue, le temps de vérifier que les témoins de Monsanto ne sont pas alliés de Monsanto.
L’audience reprend. Les témoins de Monsanto peuvent témoigner. Le Président n’explique pas à la salle comment le doute a été levé. Les avocats de la défense soulèvent maintenant des problèmes de procédure liés au versement de pièces par l’Avocate générale sans que la défense en eût copie.
Yann Fichet, directeur scientifique de Monsanto, témoigne. Il reconnaît que la dissémination est inévitable, il condamne au passage l’agriculture bio dont les exigences de non contamination sont impossibles donc non pragmatiques. Sa rhétorique est circulaire, les expérimentations ne sont pas dangereuses... puisqu’elles sont autorisées. Sur le sujet des assurances, devant l’ardeur de la défense, il choisit de dire qu’il ne sait rien.
Stéphane Pasteau est l’ancien directeur scientifique de Monsanto. Sa prestation est plus solide, il parle moins, il affirme, il semble ne pas avoir de doute, il est sûr de son fait, les expérimentations sont sans danger, le transfert horizontal n’existe pas et, même s’il existait, il ne serait pas dangereux. Il attaque les Faucheurs qui ruinent la recherche française, obligeant les chercheurs à s’expatrier. Son témoignage semble très efficace. Le Président crée la surprise en demandant tout à coup que quelqu’un vienne apporter la contradiction à Stéphane Pasteau sur la dangerosité du transfert horizontal. La défense est surprise, il y a du flottement, ses experts ne seront présents que demain...
Vient ensuite à la barre, Jean-Louis Manceau, agriculteur qui croit dans l’avenir à base d’OGM. Son témoignage est très court, il est sacrifié à la récupération du temps perdu.
L’audition de la seconde partie des témoins de la défense commence tout de suite après. Voir Procès en appel des Faucheurs à Orléans les 15 et 16 mai 2006 - Témoins de la défense (2). Jean-Philippe Carrasco, agronome et membre de Greenpeace en Espagne explique le désastre écologique de l’Espagne ouverte à la culture des OGM.
Puis Maurice Coudoin raconte les abeilles, victimes des pesticides et vecteurs ô combien efficaces de la dissémination des OGM. Un très beau témoignage.
Ne pouvant être présent le lendemain, Yves Contassot fait, en tant que prévenu, une déclaration ferme, politique, pragmatique.
L’Avocate générale s’explique sur les pièces qu’elle a déposées ce matin dans le dos de la défense. Elle rappelle qu’aucun délai n’est prévu par la loi pour présenter des pièces au Tribunal. En tout été de cause, elle retire ces pièces puisque les témoins de la partie civile en ont parlé. L’audience est suspendue à 21h. Les Faucheurs vont dîner au Campo Santo.
Le 16 mai au matin, les Faucheurs se retrouvent au Campo Santo. La presse locale est lue et commentée. Il y a un titre encourageant : "Au Tribunal, Monsanto reconnaît la réalité de la dissémination". Pourtant l’ambiance n’est pas à l’euphorie, il y a le sentiment pénible que le Tribunal est rétif aux arguments de la défense. Le cortège se rend au Palais de justice. L’audience reprend à 9h15.
La partie civile présente des documents scientifiques qui sont donnés à la Cour et à la défense. Les témoins de la défense sont appelés à la barre, ils déclinent leurs titres et l’ordre de passage est établi.
Jean-Baptiste Libouban est le fondateur des Faucheurs volontaires. Il livre le témoignage de l’inlassable combattant de la non-violence avec son physique d’ascète, sa force, sa conviction. Un malheureux incident vient perturber ce témoignage. Le réveil-matin d’un prévenu se met à sonner au fond de son sac, le Président tonne contre les téléphones portables, le prévenu fouille son sac, ses voisins lui demandent de sortir, il perd son sang-froid et profère un "merde" tonitruant, provoquant l’ire du Président, son expulsion du Tribunal, la désolation sur les bancs de la défense...
Christian Vélot est appelé à la barre. Son témoignage est très dense, très complet. Il use de pédagogie, il cherche à forcer l’attention du Tribunal, à intéresser, à prouver. Mais les trois juges semblent distraits, parfois ils n’écoutent pas, ils parlent entre eux. L’assistance ressent très mal ce désintérêt qui contraste avec l’attitude studieuse de la veille quand les témoins de Monsanto parlaient. Christian Vélot est sollicité intensément, tant par l’avocat de Monsanto que par les avocats des Faucheurs. Il contredit les affirmations de Stéphane Pasteau dans une démarche scientifique. Il tente de remettre des documents à la Cour mais il faudrait des copies pour la partie civile et le Ministère public...
Gille-Éric Séralini intervient ensuite. Il est expert de la Commission de génie biomoléculaire (CGB), du Comité de biovigilance et du Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (CRII-GEN). Il parle du danger des expérimentations pour l’environnement, de la légèreté des contrôles administratifs, de la prépondérance des intérêts économiques dans cette affaire.
Gérard Soula est le dernier témoin de la défense. Il est pressé par le Président qui commence à s’inquiéter de la longueur des débats. Il a quand même le temps de dire son angoisse et l’angoisse de tous les paysans bio.
L’audience est suspendue pour le déjeuner. Ça se passe comme la veille à part qu’il pleut sur Orléans.
À la reprise, à 14h45, l’avocat de Monsanto produit 3 attestations d’assurance qui couvrent la période de mars 2004 à mars 2006 pour des essais d’OGM en plein champ. Les avocats de la défense répliquent en pointant que ces contrats d’assurance comportent des exclusions et demandent quelles sont ces exclusions. Maître Lebreton dit que ce sont des exclusions génériques dont il n’a pas le détail. Marie-Christine Ételin explique que chez Groupama dont elle connaît bien les polices, le risque lié aux OGM est explicitement exclu. L’avocat de Monsanto n’insiste pas.
Le Président aimerait que seulement quelques prévenus s’expriment au nom de tous les autres. Les avocats des Faucheurs exigent que tous ceux qui veulent s’exprimer s’expriment. Le Président accepte mais l’ambiance se tend. Les impératifs de temps, puisque l’audience doit se terminer obligatoirement ce soir, semblent entamer la sérénité du Tribunal. Les prévenus viennent à la barre, par ordre alphabétique. Voir Procès en appel des Faucheurs à Orléans les 15 et 16 mai 2006 - Déclarations des prévenus . Ils expliquent pourquoi ils ont fauché. C’est un moment émouvant, contrasté. Le Président, tantôt s’agace de la longueur des professions de foi, tantôt se laisse aller à un paternalisme bienveillant. Une interruption d’audience suit la déclaration du dernier prévenu.
À 18h30, l’audience reprend pour les plaidoiries et le réquisitoire. Voir Procès en appel des Faucheurs à Orléans le 16 mai 2006 - Réquisitoire et plaidoiries. Maître Lebreton, avocat de Monsanto, proclame que les masques sont tombés, que les prévenus se sont dévoilés, ce sont des gens violents, organisés, soumis à une idéologie anti-Monsanto, qu’avec les essais, il n’y a danger ni actuel, ni immédiat, que sa cliente Monsanto réclame 398 000 euros.
L’Avocate générale assène un réquisitoire sans nuance. Tout ce qu’ont dit les témoins de Monsanto, en particulier Monsieur Pasteau, est vrai, tout ce qu’ont dit les témoins de la défense est douteux. Comme il n’y a pas de danger, les prévenus sont coupables de destruction grave en réunion, pire, ils sont coupables du déclin de la France dans le domaine de la recherche. Elle réclame des peines plus lourdes que le Procureur en 1ère instance, jusqu’à 4 mois de prison ferme. À l’issue de ce morceau de bravoure, l’audience est suspendue.
À 20h, François Roux commence sa plaidoirie pour la défense. Il met le Tribunal devant ses responsabilités historiques, il en appelle à l’ardeur combative du magistrat, celle qui permet au droit de s’adapter à la vérité de l’époque. Il rend hommage aux Faucheurs et, dans un élan prophétique, déclare qu’ils ont de toute façon déjà gagné.
Marie-Christine Etelin intervient ensuite. Elle tente d’asticoter l’Avocate générale, en vain, celle-ci ne lève pas la tête de sa lecture. L’agriculture bio a une espérance de vie de 7 ans, pas plus si les essais continuent. Et le Conseil d’État a beau les avoir interdits, ils continuent, à l’abri de l’impéritie de l’État.
L’heure se fait tardive, la salle se vide peu à peu. Jean-Paul Susini et Antoine Comte plaideront les derniers... Après mon départ.
Le verdict sera rendu le 27 juin 2006.
Louis Amigo
Création de l'article : 26 juin 2006
Dernière mise à jour : 26 juin 2006
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