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Analyse de l’arrêt rendu le 27 juin 2006 par la Cour d’appel d’Orléans |
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A - Sur l’annulation des autorisations des essais par le Conseil d’Etat
En guise d’introduction, la Cour écarte l’argument tiré de l’annulation des essais par le juge administratif.
Elle estime que la décision du Conseil d’Etat est fondée exclusivement sur le fait que la Commission du Génie Biomoléculaire n’avait pas connaissance de la localisation et de l’étendue des sites de dissémination.
La Cour souligne le fait que l’annulation n’est en rien fondée sur les autres moyens présentés par les requérants ; notamment les risques de dissémination pour la santé publique et l’environnement.
Pour la Cour, l’annulation des essais ne peut donc en aucun cas permettre de caractériser un danger auquel les prévenus entendaient se soustraire.
Elle précise par ailleurs que les prévenus ne vivaient pas dans les parcelles voisines des essais et qu’ils n’ont pas subi personnellement des dommages consécutifs aux essais litigieux.
Nota : cette remarque est inopérante puisque les prévenus sont fondés à invoquer l’état de nécessité pour la protection du bien d’autrui.
En tout état de cause, la Cour estime qu’au moment des faits, la Société MONSANTO était munie des autorisations administratives lui permettant de procéder aux essais et qu’aucune faute ne saurait lui être reprochée sur ce terrain.
Nota : ceux qui utilisaient l’amiante, ou les farines animales, ou le sang contaminé, ou l’hormone de croissance etc... étaient aussi munis des autorisations nécessaires !!
B - Sur l’effet direct et vertical de la Directive 2001/18/CE
La Cour rappelle les conditions devant être remplies pour qu’une norme juridique communautaire soit investie de l’effet direct et puisse être directement invoquée par les justiciables.
Pour se faire, la norme en question doit être suffisamment précise et inconditionnelle.
La Cour reproche aux prévenus de viser la Directive 2001/18/CE dans sa globalité et de ne pas invoquer l’application d’une disposition particulière et précise au soutien de leurs prétentions.
Par ailleurs, elle rejette l’argument tiré de l’impossibilité de poursuivre les prévenus sur la base des articles du Code Pénal en raison de la non transposition de la Directive 2001/18/CE.
Elle argue du fait que le juge français ne peut écarter les articles ayant servi de base aux poursuites dans la mesure où le domaine de la Directive est différent de celui de la loi pénale appliquée en l’espèce à l’encontre des prévenus.
Selon la Cour, les objectifs de la Directive n’ont aucun rapport avec l’infraction de destruction du bien d’autrui commise en réunion.
La Cour précise que la partie qui se présente comme la victime (en l’espèce la Société MONSANTO) n’a pas à faire la preuve de la régularité de son droit vis-à-vis des prévenus.
Nota : Sur ce point, il apparaît indispensable que nous arrivions à convaincre les juges que ce sont bien les prévenus qui sont les premières victimes de l’abus du droit exercé par la Société MONSANTO.
C - Sur l’état de nécessité
1. Sur la non transposition de la Directive 2001/18/CE
L’argumentation de la Cour va ici se concentrer sur le débat relatif à la réunion ou non des conditions constitutives de l’état de nécessité.
En tout premier lieu, la Cour estime que les prévenus ne peuvent se prévaloir de la non transposition de la Directive 2001/18/CE.
Elle qualifie d’ailleurs cette non transposition d’« inoffensive en tant que telle ».
Ce qui, en terme clair, signifie qu’elle ne peut caractériser un danger.
Elle s’appuie à nouveau sur l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat (ayant annulé les autorisations d’essais) pour étayer son argumentation.
En effet, elle estime que l’arrêté ministériel du 21 septembre 1994 qui « reprendrait » les dispositions de l’article 6 la Directive 2001/18/CE (la procédure standard d’autorisation) est suffisant pour pallier la non transposition de la Directive.
Nota : La jurisprudence de la Cour des Justices des Communautés Européennes affirme clairement qu’une disposition réglementaire interne déjà existante ne peut pallier la non transposition d’une norme communautaire.
En outre, l’arrêté en question ne reprend pas avec précision l’ensemble des obligations imposées par la Directive 2001/18/CE
La Cour poursuit son raisonnement en réaffirmant que la non transposition de la Directive 2001/18/CE ne peut pas représenter un danger puisque précisément elle n’interdit pas les expérimentations en plein champ.
Bien au contraire, dit-elle le droit communautaire organise la dissémination.
Au surplus, la Cour reproche aux « faucheurs volontaires » en général d’avoir agi bien avant 2002 (date limite de transposition de la Directive) et de refuser en réalité le principe même de la dissémination des essais dans l’environnement même si leurs avocats argumentent sur la non transposition de la Directive pour tenter d’établir l’existence de l’état de nécessité.
2. Sur le danger ou l’innocuité des OGM
La Cour reprend à son compte la controverse scientifique existante sur le danger du transfert de gènes dans l’environnement.
Elle considère que le danger n’est pas établi ; même si le risque est plus couramment admis.
Nota : On peut noter que la Cour ne tire pas toutes les conséquences de la définition qu’elle donne du danger et du risque.
En effet, selon ses propres termes, le danger est notamment « un risque qui compromet l’existence de quelque chose » tandis que le risque « est un danger (...)auquel on est exposé » !
Or, il est constant que la dissémination incontrôlée dans l’environnement de gènes modifiés est un risque certain qui entraîne selon nous un danger au sens ou l’entend le code pénal.
Que par ailleurs, la contamination des plantes non OGM par des plantes OGM est prouvée et que le caractère irréversible de cette contamination compromet l’existence des cultures conventionnelles et biologiques.
La Cour n’a pas tenu compte de la cohérence de ce raisonnement et a choisi de s’abriter notamment derrière la « compétence », « l’expérience » et « la probité » (sic) des membres de la Commission du Génie Biomoléculaire ...
La Cour écarte la preuve de la diffusion par pollinisation de maïs OGM vers des plants de maïs non OGM, ou par le biais des bactéries ou des champignons du sol au motif que la controverse sur ce point est trop grande.
Elle écarte également les éventuelles conséquences dommageables des OGM puisque la preuve de la contamination des parcelles voisines des essais détruits n’est pas rapportée.
Et qu’en outre, les prévenus ne peuvent invoquer le défaut d’assurance puisque la Société MONSANTO est son propre assureur.
Nota : Il convient de noter qu’aucun élément écrit n’a été produit par la Société MONSANTO à l’appui de cette affirmation.
La Cour rappelle que l’autorisation des essais en cause n’a pas été annulée parce que la Société MONSANTO aurait abusé de son droit de propriété puisque les cultures OGM sont encadrées et non pas interdites.
Nota : Ici encore, la Cour ne répond pas à notre argumentation.
En effet, pour caractériser l’abus de droit, il n’est pas nécessaire que le droit en cause soit entaché d’illégalité.
Bien au contraire. Cette théorie a été créée par les juges pour justement leur permettre de sanctionner les abus dérivant de l’exercice d’un droit reconnu et consacré.
3. Sur les autres voies de recours
Enfin, la Cour considère que les prévenus disposaient d’autres moyens pour agir.
Elle se sert à nouveau de l’annulation des autorisations des essais prononcée par le Conseil d’Etat pour faire valoir cet argument.
Cette analyse trouve notamment ses limites dans le fait que les juridictions administratives se prononcent souvent très longtemps après avoir été saisies et que pendant ce temps le danger de contamination irréversible se réalise.
L’échec du référé-liberté que nous avons tenté cet année à Clermont-Ferrand est à cet égard une bonne réponse à l’argumentation de la Cour.
D - Sur l’omission de statuer de la Cour
Il importe de noter que la Cour n’a pas répondu à notre argumentation fondée sur les articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, de l’article 1er du Protocole n°1 ainsi que sur la Charte de l’environnement.
Elle s’est contentée de faire une simple allusion « au droit à la vie et à un environnement sain et au principe de précaution » comme étant constitutifs de « principes et de règles qui bornent l’expérimentation scientifique ».
Il ne s’agit en aucun cas d’une réponse juridique à la caractérisation de l’état de nécessité invoqué par les prévenus sur le fondement des textes précités.
Plus précisément, la Cour a totalement éludé le débat fondamental relatif au droit de propriété collective tel que le Professeur Dominique ROUSSEAU l’a développé dans sa note (voir Charte de l’environnement et droit de propriété).
Tout comme elle a occulté le débat relatif à l’abus de droit de propriété de la société MONSANTO, étant rappelé que cet abus n’est nullement conditionné par la preuve de l’illégalité du droit dont celui qui en est titulaire abuse.
En conclusion, non seulement cet arrêt est bien sûr regrettable en ce qu’il infirme la décision de relaxe rendue en première instance et prononce des peines sévères mais au surplus il nous paraît juridiquement décevant et très contestable. Son seul mérite est de nous inciter à approfondir et à affiner encore plus nos arguments juridiques et scientifiques pour les prochains procès, et notamment pour la Cour d’Appel de Versailles.
Solpérières le 7 Juillet 2006
François ROUX
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Auteurs divers
Création de l'article : 10 juillet 2006
Dernière mise à jour : 17 juillet 2006
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