Hormis les atrocités que les Agents chimiques ont infligé et imposent encore aux hommes et à leurs petits, la destruction intentionnelle du règne végétal, animal, et l’empoisonnement de la terre minérale qui apportaient protection et subsistance aux habitants de leurs écosystèmes n’a pas de précédent dans l’Histoire de l’humanité.
Le mot « écocide » naît avec la guerre chimique au Viêt Nam. Ce désastre atteint les trois règnes depuis le simple organisme monocellulaire à l’être humain.
Le choc est immédiat et persistant sur les terres [1], les plantes, les éléments fertiles, les animaux, les pluies, voire le climat de la région. La forêt qui couvre la majeure partie du Viêt Nam est, dans un premier temps, l’écosystème atteint de plein fouet. Les Agents chimiques font tomber les feuilles aux centaines d’espèces d’arbres majeurs et dominants : Dipterocarpaceae (forêt primitive à feuilles persistantes qui comprend 580 espèces réparties en 16 genres), Fabaceae (qui comprend 18 000 espèces réparties en 650 genres), pour les couches de la canopée. Les espèces rares et donc précieuses : Afzelia xylocarpa , Hopea odorata , Pterocarpus macrocarpus , Sindora siamensis , disparurent.
Ainsi, l’humidité des sols, la lumière et la température deviennent inappropriées pour les arbres et les plantes. Les terres sont alors érodées par les moussons et les ruissellements dispersent les nutriments organiques et minéraux nécessaires et essentiels aux espèces végétales. Or, les plantes sont les seuls organismes à fabriquer leur propre nourriture. Tous les types de forêt du Viêt Nam sont concernés, y compris les forêts semi-inondées de Melaleuca qui ne poussent que dans le Delta du Mékong.
Les couches supérieures et cet écosystème furent détruites sur des millions d’hectares surplombants une trentaine de bassins fluviaux qui, aujourd’hui, subissent des inondations qui emportent les terres stériles et la dioxine là où elle n’était pas, tout en contaminant les rivières et la mer. La Mer de Chine avait déjà son compte puisque les forêts littorales de mangroves à palétuviers Rhizophora apicauda ont subit le même traitement que les forêts tropicales de l’intérieur en faisant disparaître le Dauphin Irrawaddy (Dauphin d’eau douce), poissons et autres amphibiens, crustacés et invertébrés, leur interdisant toute reproduction.
Les animaux, mammifères, oiseaux, reptiles, poissons, insectes, furent foudroyés sur le coup ou bien moururent plus tard des mêmes symptômes que les humains : cancers, difformités, contamination par la chaîne alimentaire et effets tératogènes donnant une effroyable progéniture. L’effondrement des écosystèmes qui offraient un habitat aux grands animaux endémiques du Viêt Nam provoqua leur disparition immédiate ou bien le supplice d’une extinction à petit feu : le Bateng (jolie Vache fine, jaune aux pattes blanches), Le Buffle sauvage, le Canard des bois à ailes blanches, le Chat sauvage, la Chèvre de forêt, le Chien sauvage, le Crocodile, le Douc langur (singe), le Daim, l’Eléphant [2] blanc et sombre, le Faisan lophura, le Gaur (la femelle ressemblait à l’Antilope et le mâle à un Cerf moucheté), le Gibbon, le Gorille, les Grands insectes, la Grue Antigone, l’Ibis géant et l’Ibis noir oriental, le Kouprey (Zébu pie, bicolore), le Léopard, le Muntjak d’Inde appelé Cerf aboyeur, l’Ours malais appelé aussi l’Ours chien ou l’Ours de soleil, la Panthère, les Perroquets, le Porc-épic, le Python et autres reptiles, le Rheinarte ocellé (magnifique Faisan saumoné à crête blanche), le Rhinocéros de Java, le Sambar (cervidé), le Sanglier, le Tigre, la Tortue, le Varan noir (saurien), etc., etc., etc., tandis que dans le même temps les rats et les moustiques prolifèrent ainsi que les épidémies qui vont avec, choléra et paludisme.
Les grues migratrices [3], symbole de longévité et de bonheur, ne vinrent plus agrémenter de leur présence gracieuse la vie paysanne vietnamienne. Dans la Plaine des Joncs, la Grue Sarus, le Marabout des Indes et le Tantale indien (Cigogne colorée) s’en vont.
Quarante ans après les forêts ne repoussent toujours pas naturellement et des essais de plantations d’arbres indigènes ont échoué. Mais la témérité vietnamienne reconstruit en replantant centimètre carré par centimètre carré - souvent dans l’indigence, la misère et l’oubli - la représentation de son monde disparu. Et même si les jeunes plants brûlent dans les feux d’herbes [4] qu’allume le soleil tropical, le génie vietnamien développe une technique qui consiste à établir un couvert végétal d’arbres résistants à croissance rapide de la famille Acacia [5] en raison de sa qualité d’ombre et, trois ou quatre ans plus tard, plante plusieurs espèces d’arbres forestiers indigènes sous ce couvert : il s’agit bien de redémarrer en miniature une forêt tropicale intervertie dans l’espoir qu’elle s’inverse. Mais la dioxine est toujours là.
André Bouny, père d’enfants vietnamiens, préside le « Comité International de Soutien aux victimes vietnamiennes de l’Agent Orange et au procès de New York » ( CIS )